DÉFIS
L’existence de lois discriminatoires constitue un obstacle crucial à la participation des femmes la vie économique ; elles entravent le développement et maintiennent des millions de personnes dans la pauvreté. De telles lois couvrent de multiples domaines. La dernière édition du rapport Les femmes, l’entreprise et le droit (2014) de l’IFC indique que sur les 143 pays pour lesquels des données sont disponibles 128 établissaient en 2013 au moins une distinction juridique entre hommes et femmes ; dans 54 économies, ces distinctions étaient au moins au nombre de cinq et, dans la moitié de celles-ci, au nombre de 10 ou plus.
Cette dernière édition ajoute la législation sur la violence domestique et le harcèlement sexuel à son corpus de connaissances. Elle examine 100 pays dont les progrès ont été suivis par la base de données 50 ans de droits des femmes ; parmi eux, 76 ont explicitement légiféré sur la violence domestique, 32 ont adopté des dispositions sur le harcèlement sexuel à l’école et seulement 8 ont promulgué des lois relatives au harcèlement sexuel dans l’espace public. De plus, 39 pays seulement ont fait du viol conjugal une infraction pénale.
Cependant, le rapport constate aussi que le rythme des réformes s’est accéléré. Depuis 2011, 44 économies ont institué 40 changements juridiques grâce auxquels les femmes peuvent plus facilement devenir entrepreneurs ou salariées, l’accélération la plus marquée étant observée en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et dans les Caraïbes. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à l’égalité de conditions entre hommes et femmes.
Des réformes significatives doivent être effectivement mises en œuvre et leur exécution doit être contrôlée ; la sensibilisation aux recours judiciaires et la confiance en ceux-ci sont essentiels, bien que les pays en développement se heurtent souvent à des problèmes de capacités. Au Brésil, malgré la loi Maria da Penha de 2006 sur la violence domestique et familiale, qui va pourtant dans le bon sens, les services juridiques ne peuvent pas s’occuper de tous les cas de violence à l’encontre des femmes.
Du côté de la demande, les femmes risquent plutôt de manquer de moyens financiers pour payer une assistance juridique et les frais judiciaires. Non seulement les femmes pauvres sont dès le départ moins nanties, mais elles sont aussi juridiquement moins à même de protéger les quelques actifs qu’elles peuvent posséder ou acquérir.
SOLUTIONS
La défense des droits juridiques des femmes contribuera à remédier aux relations de pouvoir inégales qui les désavantagent par rapport aux hommes et à libérer leur potentiel économique, ce qui fera progresser les deux grands objectifs du Groupe de la Banque mondiale : mettre fin à l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée. Les réformes dans ce sens peuvent également induire un changement dans des normes sociales défavorables aux femmes. Afin de parvenir à des règles du jeu équitables entre les sexes, le Groupe de la Banque mondiale doit mettre en évidence les lois discriminatoires, appuyer le déploiement effectif de la législation et aider les personnes ayant peu ou pas de moyens à payer les procédures juridiques.
Les récents travaux de la Banque ont mis en lumière les avantages économiques découlant de la réforme de lois discriminatoires à travers des ateliers et des campagnes de plaidoyer en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo, en Turquie, en Tunisie et au Kenya. L’extension des droits fonciers aux femmes constitue un autre axe important de ses activités. Les droits fonciers sont en effet primordiaux pour les femmes, car ils leur apportent une sécurité et un capital à même de renforcer leur autonomie, de multiplier les opportunités qui s’offrent à elles et d’accroître leur bien-être. Grâce aux droits fonciers, les femmes disposent des fondements sur lesquels prospérer.
La Banque adopte également diverses approches en vue de renforcer les capacités des services juridiques dans les pays en développement. Une solution innovante déployée à Rio de Janeiro s’appuie sur le réseau de métro urbain pour proposer aux femmes des centres d’aide juridique. Ailleurs, des initiatives financées par la Banque procurent gratuitement aux femmes un conseil et une représentation auprès des tribunaux via des centres d’assistance juridiques régionaux plus traditionnels.
La prise en compte systématique des questions d’égalité hommes-femmes associée à une approche communautaire produit des résultats positifs. Des projets s’attachant à lutter contre ces inégalités et qui permettent d’accroître la participation et l’engagement des femmes leur donnent l’occasion d’identifier des initiatives importantes pour elles. Avec le soutien de la Banque mondiale, ces initiatives ont été portées à l’attention des autorités régionales et nationales.
Le Groupe de la Banque mondiale entend encore étoffer la base de données pertinentes sur le sujet, dans les différents pays et secteurs.
RÉSULTATS
De récents résultats illustrent les diverses approches adoptées par la Banque pour favoriser l’égalité et la protection juridiques des femmes :
Réforme juridique
En République démocratique du Congo, le département Finances et développement du secteur privé de la Banque mondiale appuie la révision du Code de la famille afin d’améliorer le climat des affaires pour les femmes. Au cours de l’année dernière, il a soutenu des ateliers, organisés par le ministère du Genre, de la Famille et de l’Enfant, qui ont mis en avant les bénéfices d’une réforme du Code de la famille à l’intention des députés parlementaires, des sénateurs, du secteur privé et de la société civile. Suivant le Code actuel, une femme mariée a besoin de la permission de son époux pour signer un contrat, ouvrir un compte en banque, contracter un emprunt, faire enregistrer une société ou un terrain foncier ou aller en justice. Avec le Code tel qu’il est proposé, ces autorisations ne seront plus nécessaires. En outre, le Code de la famille révisé porte l’âge minimum du mariage des filles de 15 à 18 ans. Le nouveau Code a été approuvé par la Commission politique, administrative et judiciaire, et soumis au Sénat pour un vote attendu en 2014. Ce projet, approuvé en 2008 et toujours actif en 2014, a été financé par le Département britannique pour le développement international (DFID)[1].
En Côte d’Ivoire, l’IFC, à travers ses services-conseil sur le climat d’investissement et son initiative sur les femmes, l’entreprise et le droit, appuie une réforme des dispositions discriminatoires du Code de la famille. Parmi les premiers résultats, il faut citer une nouvelle loi pour les couples mariés, adoptée, en janvier 2013, qui dispose que les deux époux ont désormais la possibilité juridique de choisir où vivre, s’ils veulent travailler en dehors du domicile et où, et que le mari aussi bien que la femme peuvent désormais être juridiquement désignés « chef du ménage ».
Assistance juridique
En juin 2012, la Banque mondiale a lancé le Centre pour l’assistance juridique (JCLA) en Jordanie et a ouvert six centres d’aide juridique qui fournissent gratuitement conseils et représentation juridique à ceux qui manquent de moyens financiers. Dans ce pays, les honoraires et frais de justice sont relativement élevés, si bien que les pauvres et surtout les femmes, lesquelles ont moins de maîtrise sur leurs actifs économiques, sont particulièrement désavantagés. Le JCLA est désormais le principal prestataire de services d’assistance juridique en Jordanie, et 70 % de ses bénéficiaires sont des femmes[2]. Ses services apportent un soutien juridique essentiel aux femmes qui subissent chaque jour des menaces et des violences physiques et psychologiques visant à les tenir éloignées de leurs biens personnels et de leurs actifs économiques. À ce jour, le JCLA a conseillé 3 400 hommes et femmes et représenté plus de 1 480 d’entre eux en justice. Le JCLA vise également à sensibiliser le public à l’aide juridique gratuite. Il a dispensé 275 sessions d’information, qui ont renseigné plus de 6 800 bénéficiaires. [Ce projet est encore en cours en 2014]
En 2010, la Banque mondiale[3] a eu à superviser un projet visant à aider les victimes de violences sexuelles dans la province du Sud-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo, une région ravagée par la guerre où se sont déroulés certains des actes de violence sexuelle les plus barbares de l’histoire récente[4]. Ce projet, qui a apporté des soins médicaux et thérapeutiques à 3 951 victimes, comportait également des initiatives de réintégration dans la communauté et un recours accru à la justice. Grâce aux efforts de plaidoyer du projet, les victimes munies d’un certificat médical peuvent s’adresser gratuitement aux tribunaux pour demander justice, une mesure importante à la fois pour les victimes et pour briser le cercle de l’impunité. [Ce projet est aujourd’hui terminé]
D’un montant de 500 millions de dollars, le prêt à l’appui des politiques de développement accordé par la Banque mondiale au Brésil permettra d’améliorer les raccordements et de moderniser et unifier le réseau de transport urbain de Rio de Janeiro. Mais il s’intéresse aussi à la problématique de l’égalité entre les sexes et s’emploie à faire en sorte que les femmes victimes de violences sexuelles ou sexistes aient accès à une assistance juridique. Le réseau urbain, qui va du centre de la ville jusqu’aux favelas à flanc de colline, disposera, dans cinq des plus grandes stations, d’un centre juridique proposant des services de conseil. En outre, 107 terminaux d’information électroniques seront installés dans l’ensemble du système. L’initiative « Via Lila » viendra en aide à 300 000 passagères qui utilisent quotidiennement le réseau urbain. [Le projet a été approuvé en 2009 et est toujours en cours en 2014]
Délivrance de titres de propriété foncière
En 2007, le Rwanda a demandé à la Banque mondiale de mener une évaluation d’impact d’une initiative pilote d’enregistrement foncier. Il en ressort que le programme a conduit à une hausse de 17 points de pourcentage des droits fonciers documentés pour les femmes mariées. Une plus grande sécurité foncière est également associée à une augmentation nettement plus forte de la conservation des terres et de l’investissement. Les investissements réalisés par des hommes se sont accrus de 10 % et ceux réalisés par des femmes de 19 %, avec à la clé des perspectives d’amélioration des rendements agricoles et de la sécurité alimentaire. Ce bond dans les investissements réalisés par des femmes laisse à penser que si elles n’obtiennent pas de titres fonciers en bonne et due forme, les femmes estiment qu’il est trop risqué d’investir dans la terre. La propriété foncière assortie de titres de propriété a augmenté de 8 points de pourcentage chez les femmes non mariées. Le projet pilote a été déployé dans tout le pays en 2011, en incluant une disposition qui protège le droit des femmes non mariées à la propriété[5]. Le Ghana s’est lancé dans le même processus et la Banque mondiale a réussi à mettre en rapport des équipes d’Accra et de Kigali afin qu’elles engagent de fructueuses discussions sur les bénéfices associés à une augmentation de la délivrance de titres de propriété à des femmes et qu’elles examinent les questions de mise en œuvre. La mise en place de modèles rapides à déployer, financièrement accessibles et modulables pour résoudre les problèmes de propriété foncière en Afrique correspond à une forte demande. Cette coopération entre le Rwanda et le Ghana constitue un bon exemple d’apprentissage Sud-Sud, fortement axé sur la lutte contre les inégalités hommes-femmes.
Le Groupe de recherche pour le développement de la Banque mondiale a conçu un cadre d’évaluation pour une initiative qui accorde des attestations du droit d’occupation aux habitants de bidonvilles à Dar es Salaam, en Tanzanie. Dans le cadre des efforts déployés par de nombreux pays d’Afrique pour accroître la proportion de femmes mentionnées sur les titres fonciers, le projet a distribué des coupons conditionnels « roses » qui ne pouvaient être remboursés que si une femme était inscrites comme copropriétaire sur le certificat. Le projet comportait également des actions de sensibilisation aux titres de propriété conjointe, qui ont permis d’accroître le nombre de ménages indiquant qu’ils allaient obtenir un tel titre : la proportion est passée de 24 à 89 %. Les résultats finals, publiés en 2013, font apparaître que les ménages qui ont reçu un coupon conditionnel étaient 29 à 30 points de pourcentage plus susceptibles que les autres de chercher à obtenir un titre de propriété conjointe. Cela a représenté une hausse significative par rapport aux 5 % inscrits sur les licences résidentielles utilisées plus couramment avant le projet pilote des coupons conditionnels. Les conclusions de recherche suggèrent que les programmes qui proposent une solution créative à la question de la propriété foncière des femmes parviennent à améliorer nettement les droits et les actifs économiques des femmes[6].
Développement local
En Bolivie, les services de conseil et d’assistance de la Banque mondiale ont fixé au deuxième Programme d’investissement rural participatif l’objectif suivant : au moins 30 % de femmes devaient bénéficier des services proposés. Les spécialistes des questions d’égalité hommes-femmes ont encouragé la présence des femmes, lesquelles ont commencé à identifier les initiatives qu’elles jugeaient les plus importantes pour elles-mêmes. Les femmes participantes ont massivement appelé à ce que le projet s’attaque au problème de la maltraitance physique et psychologique à laquelle sont confrontées au quotidien les femmes au sein de leur foyer, de leur communauté et des institutions publiques. La violence faite aux femmes est désormais traitée aux échelons local et régional, et la Cour suprême examine actuellement des propositions. [Projet approuvé en 2007, financé par l’IDA et clôturé en 2013]
De même, au Pérou, un plan pilote pour l’égalité hommes-femmes recourant à une méthodologie participative, élaboré et soutenu par le Plan d’action pour l’égalité des sexes de la Banque mondiale, a mis en évidence les effets positifs d’une plus grande présence des femmes dans les associations d’usagers de l’eau. Il a abouti à ce que les autorités régissant ces associations définissent en 2011 des objectifs pour la participation des femmes et à ce que l’Agence nationale de l’eau prenne un arrêté, la Resolucion Jefatural 266-2012 ANA, qui rend obligatoire la participation des femmes dans ces associations. C’est un important pas en avant, grâce auquel les femmes peuvent faire valoir leur droit à être associées à la prise de décisions. Le vote de ce texte a permis de rejeter l’élection d’un conseil uniquement composé d’hommes à Cajamarca, en 2012.