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DISCOURS ET TRANSCRIPTIONS 10 février 2020

Développement et dette dans les pays à faible revenu — Échange entre Kristalina Georgieva et David Malpass

Visionnez la rediffusion de l’événement en anglais sur Banque mondiale Live

M. MALPASS : Avant toute chose, je tiens à souhaiter la bienvenue à tout le monde et vous prie de réserver un accueil très chaleureux à Kristalina Georgieva, qui est de retour à la Banque pour une journée. Nous sommes très heureux de l’avoir ici, pour échanger sur un sujet passionnant.

Mme GELPERN : C’est un privilège particulier pour moi de me retrouver ici aujourd’hui et de souhaiter en quelques mots la bienvenue à tous ceux qui sont présents dans cette salle, ainsi qu’à tous ceux qui nous regardent en ligne. Nous avons un échange très important sur le développement et la dette dans les pays à faible revenu.

Je m’appelle Anna Gelpern et je suis ravie d’être ici avec David Malpass, le Président de la Banque mondiale ; et avec Kristalina Georgieva, la Directrice générale du FMI. Cela peut sembler étrange de devoir présenter ces personnalités dans leur propre maison. Mais, pour le bénéfice du grand public qui nous suit dans le monde entier, je dirai juste quelques mots pour planter le décor, notamment par rapport au débat qui nous réunit aujourd’hui.

David, bien sûr, fréquente depuis fort longtemps le monde de la dette ; et je pense que nous avons vraiment beaucoup à apprendre de votre longue expérience de ces questions. Vous avez travaillé au Trésor américain. Vous avez servi dans le monde multilatéral et dans le secteur privé. Vous comprenez parfaitement pourquoi nous revenons sans cesse sur ce sujet, souvent en désespoir de cause, et vous connaissez le chemin que nous avons parcouru. Avons-nous beaucoup progressé ?

Et puis Kristalina, bien sûr : avant votre poste actuel, vous avez travaillé à la Banque mondiale, puis à la Commission européenne, et vous avez une expérience incroyablement vaste des questions d’aide humanitaire en général et des questions de coordination en particulier, qui constituent un énorme enjeu de nos jours eu égard à tous les nouveaux acteurs et aux instruments à disposition. C’est pourquoi je suis très heureuse et privilégiée de me retrouver ici aujourd’hui.

Bon, je suis juriste, pas économiste. Mon angle d’attaque du sujet sur lequel nous allons échanger est donc un tout petit peu différent. Le Fonds et la Banque ont publié un excellent document conjoint, et je pense qu’il est très important de le situer dans son contexte. Ils ont publié de très nombreuses données et études stratégiques sur ce sujet, et je suis d’avis que cela témoigne à suffisance de la valeur que la communauté internationale accorde à la transparence dans ce domaine, même si nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir.

Et je pense que le rapport qui est publié aujourd’hui s’inscrit un peu dans cette logique, n’est-ce pas ? D’une part, il y a de nombreuses façons d’améliorer la situation dans les pays à faible revenu. Ils ont accès à un financement provenant de nouvelles sources. Les niveaux d’endettement se stabilisent dans certains d’entre eux.

En revanche, l’envers du décor est que le financement mobilisé auprès de nouvelles sources est porteur de nouveaux risques et de nouveaux défis. Et puis, vous savez, que peut-on faire quand on sait que des pays qui viennent de bénéficier d’un allégement de la dette, hier me semble-t-il, sont à nouveau vulnérables pour la moitié d’entre eux ? Que peut-on faire quand on sait que, d’une part, ils ont un meilleur accès au marché, mais que, d’autre part, les coûts d’intérêt surpassent la croissance ?

Nous avons 45 minutes devant nous, probablement moins, et nous essayerons d’aborder trois thèmes — du moins, je l’espère.

D’abord, comment nous en sommes arrivés là. Qu’est-ce que cela nous renseigne sur toutes les initiatives prises avant ? Qu’avons-nous appris ?

Qu’est-ce qui a changé cette fois ? Chaque fois est différente, mais de quoi s’agit-il à présent ? Quels sont les défis auxquels nous sommes confrontés actuellement ? Et surtout, que faisons-nous à ce sujet ? Nous, c’est-à-dire les institutions, les bailleurs de fonds bilatéraux et les créanciers, la société civile, nous tous.

Une note administrative que vous connaissez peut-être déjà. Chacun de vous a trouvé une carte sur son siège. Veuillez la remplir, s’il vous plaît. Je vous invite d’ailleurs à nous bombarder de questions si vous en avez. Je crois qu’il y aura quelqu’un le long des allées pour récupérer les cartes. Faisons au plus vite afin de ne pas avoir à nous précipiter pour poser des questions à la dernière minute. Si vous êtes en ligne, je crois qu’il y a des façons de poser des questions à travers la plateforme World Bank Live et, bien sûr, de tweeter sur #Devtanddebt. Et c’est écrit juste là, je n’ai donc pas besoin de l’épeler.

Sur ce, David, vous êtes dans ce milieu depuis très longtemps et vous parvenez à rester optimiste. Ou vous y êtes encore, tout au moins. Comment en sommes-nous arrivés là ? Est-il juste de dire que quelque chose a mal tourné depuis l’IADM en faveur des PPTE jusqu’à ce jour ?

M. MALPASS : Bonjour, merci. Et je pense que c’est très bien d’avoir une juriste dans cet échange. Il y a de cela 30 ou 40 ans, on avait des prêts bancaires syndiqués. Les types de dette ont beaucoup évolué, du point de vue de l’économie et de la finance comme du point de vue du droit. Donc, ces éléments convergent presque tous vers ce que je crois être — je pense que nous devrions être optimistes.

L’idée est de mobiliser l’épargne des autres pour l’orienter vers le meilleur projet ou vers la meilleure utilisation de l’argent dans le monde. Donc, je pense vraiment que nous devons percevoir tout ça de façon positive. La Banque a récemment publié un rapport important sur les quatre vagues de l’endettement. Et nous sommes déjà entrés dans la quatrième vague.

Donc, pour ce qui est de savoir comment nous sommes revenus au point actuel, la nature des choses — et j’en ai parlé l’année dernière — est qu’il y a un conflit d’incitations avec l’administration publique. Les dirigeants politiques et les responsables de l’administration veulent une action rapide, et cela signifie qu’ils ne font pas assez pour se conformer aux normes régissant les emprunts qu’ils contractent ou la sélection des projets qu’ils pourraient faire, et qu’ils n’ont pas vraiment de stratégie sur les moyens de faire avancer leurs pays.

Et puis il y a de l’autre côté les bailleurs de fonds qui disent : « Hé, j’ai de l’argent à prêter, allons-y. » Or, ce que les populations du pays veulent, c’est une croissance durable à long terme qui fait augmenter le revenu médian.

Et ces deux objectifs sont quelque peu distincts. Donc, l’une des choses que la Banque essaie de faire est d’impulser cette transparence — je l’appelle la transparence de la dette et de l’investissement —, et nous voulons que les entités souveraines, c’est-à-dire les gouvernements, disent quelles sont les modalités de la dette et quel est le but de l’investissement. Ensuite, il faut dégrouper les deux pour que l’on puisse évaluer la situation, parce qu’il est très difficile pour nous qui sommes assis ici de dire quelles devraient être les limites de la dette. Je pense que c’est une option plus plausible. Et nous pouvons parler de la façon de promouvoir la transparence de manière à ce que les gens puissent l’évaluer.

Mme GELPERN : C’est très utile.

Kristalina, si vous me permettez de dire un mot de plus sur ce point, je pense que le but est l’accès aux marchés, la gestion prudente de la dette et la mobilisation des billions de dollars dont ces pays ont besoin pour des choses élémentaires comme l’eau potable, l’adaptation au changement climatique et la lutte contre la faim. Quel est le bon dosage ?

Mme GEORGIEVA : Eh bien, permettez-moi d’abord de dire au personnel de la Banque que je suis heureuse d’être de retour. Je vais vous livrer un petit secret. Lorsque je me préparais, j’ai réfléchi aux grandes lignes de mon propos, mais j’ai aussi mis un veston rouge spécialement pour vous.

Mon premier point est que je suis très heureuse de voir que nous commençons par le développement, puis nous parlons de la dette, et c’est exactement ce que le président Malpass vient de faire.

Félicitations pour la reconstitution des ressources de l’IDA, avec à la clé 82 milliards de dollars à mettre à la disposition des pays qui ont le plus besoin de financement.

Mais nous sommes confrontés à la réalité que le financement n’arrive pas facilement là où on en a le plus besoin. Le Fonds a mené une étude qui conclut que pour que les pays à faible revenu puissent atteindre les objectifs de développement durable, ils doivent accroître leurs investissements de 15 %, jusqu’à 15 % du PIB. Ça, c’est du lourd.

À l’évidence, nous devons reconnaître que si nous comptons uniquement sur l’emprunt pour mobiliser tout cet argent, nous ferions une grave erreur dans nos conseils aux pays. Il y a donc un aspect important de la réflexion d’aujourd’hui qui concerne la mobilisation des ressources nationales, en veillant à ce que les pays renforcent leur propre capacité à lever des fonds pour investir, mais aussi leur capacité à assurer le service de la dette à l’avenir. Et nous savons tous que la marge d’amélioration est assez importante. Le Fonds estime que 3 % à 5 % du PIB peuvent être destinés à l’effort de mobilisation supplémentaire des ressources nationales.

Et puis nous avons la question de la dette. En d’autres termes, mon premier point important est qu’avant de savoir chez qui emprunter, nous devons voir ce qui peut être fait d’autre. Et ce qu’on peut faire d’autre, c’est de mobiliser les ressources nationales, puis d’accroître l’efficacité dans l’utilisation de l’argent.

Nous regardons les investissements publics dans les pays à faible revenu, et nous ne pouvons retracer que 60 centimes par dollar afin de savoir exactement ce que l’argent achète. Cela ne signifie pas que seuls 60 centimes peuvent acheter quelque chose sur un dollar. Cela signifie simplement que l’on peut encore améliorer la qualité des investissements.

Ensuite, nous nous demandons comment emprunter, chez qui, et la structure de la dette. De toute évidence, nous sommes enclins à considérer les sources privées comme celles auprès desquelles il est plus facile de lever des fonds. Et David a beaucoup insisté sur l’importance de cette ressource.

Mais cela ne peut se faire que si nous avons de bons projets qui peuvent être financés. Par conséquent, le secteur public a un rôle très important à jouer, aussi bien pour la qualité de ce qui peut être financé que pour ce que le secteur public emprunte et à qui.

Nous connaissons tous les tendances. Nous savons qu’il y a eu une augmentation très importante des prêts contractés auprès de sources non traditionnelles et non concessionnelles. Il s’agit là clairement d’une préoccupation. L’an dernier, les euro-obligations représentaient en moyenne 16 milliards d’euros dans les pays à faible revenu. C’est un chiffre trois, quatre fois plus élevé qu’il y a six ou sept ans. Et, bien sûr, le coût est plus élevé.

Ensuite, il y a les prêteurs non traditionnels qui ne font pas partie des mécanismes de coordination comme le Club de Paris. Alors, la façon dont nous équilibrons tout cela est en fait le gros travail des pays et de nos institutions.

Le principal objectif de ce document est de faire comprendre que la dette peut être mieux gérée. Nous avons un cadre durable pour la gestion de la dette. Il peut être appliqué. Et, comme David l’a dit, nous pouvons apporter beaucoup plus de transparence : qui prête à qui, qui emprunte à quel prix et pourquoi ?

Permettez-moi enfin de faire observer deux choses.

Premièrement, nous reconnaissons que nous nous retrouvons dans ce creux de la vague depuis longtemps. Les taux d’intérêt sont bas. L’argent est bon marché.

Mais pas pour ces gens. Lorsque vous regardez le prix des euro-obligations pour les pays à faible revenu, il n’est pas aussi bas qu’il y paraît. Huit, neuf pour cent, ce n’est pas donné.

Mais si vous recherchez le rendement, si vous avez de l’argent et que vous cherchez à obtenir un rendement, où allez-vous ? Vous allez là où vous pouvez obtenir un rendement de l’ampleur voulue. Donc, nous avons une conséquence fortuite des faibles taux d’intérêt dans les économies avancées, qui est que la recherche de rendement dans les pays en développement et, en particulier, dans les pays à faible revenu, accentue le risque.

Et, deuxièmement, la deuxième remarque que je voudrais faire est que nous avons maintenant dans de nombreux pays des bureaux de gestion de la dette plus sophistiqués. Mais si vous regardez le document, l’une des observations qui donne le plus à réfléchir est qu’il reste encore beaucoup à faire. Donc, il s’agit d’une énorme responsabilité pour nous.

Mme GELPERN : Si je pouvais vous pousser un peu et demander peut-être ensuite à David d’intervenir, parce que vous avez réussi à nous faire entrer dans le deuxième thème, qui est de savoir ce qui a changé cette fois-ci, n’est-ce pas ? On a beaucoup d’acteurs différents.

Mais l’une des constantes, ce qui me frappe — et c’est une chose que vous avez évoquée —, c’est que la gouvernance est importante à la fois pour l’investissement et pour la gestion de la dette, pas vrai ? Donc, et si les pays empruntent sur les marchés, c’est en dehors du cadre du G20 — et cela devrait aussi se faire à un certain niveau. Peut-être devrions-nous avoir un éventail plus complet de normes. Mais comment vous assurez-vous qu’au moment où ces pays auront accès aux marchés, ils auront une certaine capacité et la capacité de gouvernance interne, si vous voulez, pour gérer à la fois l’utilisation du produit de la vente et l’emprunt ?

Peut-être David, puis Kristalina, vous pourrez intervenir.

M. MALPASS : Et je vais ajouter quelque chose à ce qu’a dit Kristalina. Un impact de cette situation qu’elle décrivait dans le creux de la vague depuis longtemps est l’inégalité qui en ressort. Et je vais mentionner deux parties.

La première est que les pays en développement, de par leur nature, auront un rendement plus élevé, c’est-à-dire un coût plus élevé, alors il y a une inégalité qui est en quelque sorte, vous pouvez l’appeler nord/sud, ou alors pays développé contre pays en développement.

Mais, à l’intérieur des pays, il y a aussi les inégalités qui découlent du fait que des entreprises plus grandes et mieux établies obtiennent plus de fonds. Nous sommes donc dans un environnement qui cristallise manifestement le problème des inégalités que nous nous attelons à traiter.

Je pense donc qu’une partie importante de la transparence vise à aplanir un peu les difficultés — nous devons donc avoir des situations de financement pour les pays où l’éducation et les soins de santé peuvent réellement être financés et, pourtant, il s’agit là d’un environnement qui est presque fondamentalement asymétrique par rapport à ce genre de financement. C’est pourquoi je pense qu’il est urgent d’aller de l’avant avec cette initiative.

Maintenant en ce qui concerne la gouvernance, je dirai qu’elle est au cœur de la façon dont les pays prennent leurs décisions. Donc, à ce sujet, vous savez, la Banque mondiale a une pratique de gouvernance bien établie qui fonctionne précisément dans les pays pour essayer de renforcer les capacités — capacité, c’est un mot fantaisiste, mais cela peut vouloir dire quels ministres ont le pouvoir de signer un contrat. Si vous signez un contrat, est-ce que celui-ci sera divulgué ?

Vous savez, l’un des problèmes pratiques auxquels nous faisons face au moment où je vous parle est que certains des nouveaux prêteurs, ceux qui ne sont pas membres du Club de Paris — je suppose que lorsque nous disons cela, les gens pensent parfois à la Chine. Ils ne sont pas membres du Club de Paris. Ils ont augmenté leurs prêts, ce qui est une bonne chose d’une certaine façon. Nous voulons plus de prêts aux pays en développement. Mais cela signifie aussi que les conditions contractuelles doivent être repensées d’une façon qui incite à la coopération à l’échelle internationale. Il arrive donc souvent que leurs contrats comportent une clause de non-divulgation qui interdit à la Banque mondiale ou au secteur privé de voir quelles sont les modalités du contrat.

Donc, sur le plan pratique, lorsque nous parlons de gouvernance, une chose est assez simple : veuillez ne pas inclure une clause de non-divulgation dans les contrats avec des gouvernements souverains. Laissez le gouvernement divulguer les conditions, tant de la dette que de l’investissement.

Nous avons récemment dépêché une équipe en Chine pour échanger sur ce sujet. La Chine a voulu – s’attelle à trouver des moyens de travailler avec le monde sur des obligations contractuelles plus cohérentes avec ce à quoi le monde est déjà habitué.

Mme GEORGIEVA : Eh bien, laissez-moi –

Mme GELPERN : Kristalina, si vous me permettez juste de compléter un peu votre réponse, je dirai que j’essaye de comprendre ce qui est en jeu pour la Chine, c’est vrai, en toute franchise. La clause de non-divulgation est bien prévue dans le cadre du G20. Si je suis un nouveau prêteur, et si je n’ai pas vécu les années 80 et 90 et la première décennie des années 2000, et que j’ai des instruments différents et des clauses de non-divulgation, pourquoi devrais-je aller au Club de Paris ?

Mme GEORGIEVA : Eh bien, permettez-moi de répondre à cette question en premier, puis je reviendrai à votre question plus générale sur ce qui peut être fait pour que les pays soient mieux préparés.

Nous vivons tous dans un monde où il y a un degré élevé d’interdépendance, et c’est un monde plus prédisposé à subir des chocs. Je n’ai pas besoin d’en dire plus aujourd’hui compte tenu de l’inquiétude qu’un choc particulier — le coronavirus — fait déjà peser sur les populations et l’économie.

Dans ce monde plus choquant — plus interdépendant et plus prédisposé à subir des chocs —, il est dans l’intérêt de chacun d’améliorer la transparence et l’établissement des rapports, parce qu’au bout du compte, il y aurait des prêteurs qui pourraient pâtir de la situation. Et nous le savons.

Mais surtout, les pays qui fonctionnent sans une totale transparence et qui ne savent pas exactement quelle est la situation dans leurs livres, ne réussiront probablement pas à obtenir d’aussi bons résultats en termes de croissance et d’édification de leurs économies. Un groupe d’économistes a fait une analyse qui montre que la dette insoutenable entrave la croissance.

Donc, qui que vous soyez, la Chine ou n’importe qui, si vous voulez avoir un bon retour sur vos investissements, vous avez intérêt à agir avec plus de transparence. Bon, c’est quoi le problème ? Il se situe à court terme et à long terme. À court terme, si vous pouvez extraire plus, être mieux protégés, vous serez tentés de le faire. Mais à moyen et à long terme, vous vous ferez taper sur les doigts.

Maintenant, ce que nous constatons, c’est que la Chine et d’autres nouveaux prêteurs sont de plus en plus sensibilisés à la question, car ils sont déjà confrontés à des situations de dette insoutenable qui compromettent leur investissement.

Et en fait, comme David et moi le savons très bien, il y a comme une appétence pour des programmes de prêt plus coordonnés en Chine, et une connaissance en Chine de qui prête quoi à qui, parce que vous avez des entreprises publiques, vous avez les prêts officiels, ce qui ne signifie pas forcément que la main gauche et la main droite soient entièrement alignées.

Et je pense que l’intérêt personnel aura un rôle à jouer. Le fait que le pays soit beaucoup plus préparé à se défendre contre le risque de défaillance joue un rôle. Et, bien sûr, des institutions comme les nôtres — Banque mondiale, FMI, entre autres — ont un rôle très important à jouer.

Je veux — vous nous avez demandé ce qui est fait, ce qui peut être fait, et je veux apporter un élément de positivisme, parce que l’année dernière — était-ce en juin ou en juillet lorsque nous avons adopté le cadre de soutenabilité de la dette, le nouveau cadre de soutenabilité de la dette dans les deux institutions au même moment ? Je pense que c’était en juin ? Plutôt en juillet. D’accord. L’année dernière, juillet. Désolée, c’est en juillet 2018 que nous avons adopté ce cadre. Ça ne fait pas longtemps. Mais, depuis lors, sur les 69 pays couverts par ce cadre, 53 ont fait l’objet d’une analyse de soutenabilité de la dette et pris des mesures visant à améliorer la qualité de leurs rapports. Et, dans 11 pays, la transparence en matière de dette s’est nettement améliorée.

Et je veux citer ici l’exemple du Sénégal ; nous en savons aujourd’hui plus sur la dette du Sénégal, 10 % pour être plus exact. Lorsque j’ai rencontré le ministre sénégalais des Finances, il n’était pas si content que ça, car la dette semble avoir augmenté. Ce n’est pas le cas. Elle est désormais visible, et elle est visible pour les décideurs de manière à ce qu’ils sachent de quelle marge de manœuvre ils disposent pour emprunter et investir dans l’avenir.

Et tout le monde dans ce domaine me dit que, même si nous avons assisté à une sorte d’accumulation de la dette, ces deux dernières années, l’on tend en réalité vers une stabilisation. Et j’oserais dire qu’une transparence accrue et une meilleure reddition de comptes participent de l’amélioration de la tendance à l’égard de la dette.

Mme GELPERN : Et c’est certainement une bonne nouvelle qui découle du rapport. C’est l’une des évolutions très impressionnantes mises en relief dans le rapport. Mais je veux me faire l’avocat du diable pour une minute, en disant que vous percevez 10 % en plus, alors qu’il y a une forte proportion qui reste invisible — peut-être pas au Sénégal, mais est-ce que la divulgation et la capacité de divulgation suivent, faute d’un meilleur terme, la capacité d’arbitrage de ceux qui ne sont pas membres du Club de Paris ?

Et ce n’est pas seulement la Chine. Je veux dire, c’est une chose. Vous savez, le système est très fragmenté, n’est-ce pas ?

Mme GEORGIEVA : Mais, en fait, si vous lisez le rapport, il est assez discret sur cette question. Il indique que la capacité de la direction est encore relativement faible à bien des égards dans les pays à faible revenu. Donc, nous faisons face à une dualité. La sophistication des instruments de prêt augmente. La multiplicité des sources aussi. Et la capacité à gérer tout ça est à la traîne. Et je pense qu’il est si important que nous ayons ces échanges, que nous en parlions et, surtout, que nous venions avec des exemples concrets de la façon dont on peut apporter des améliorations.

Il y a dans cette salle des gens qui ont donné leur cœur et leur âme pour renforcer la capacité des pays à faible revenu à investir mieux, à améliorer la vie des populations. Je pense que plus nous pourrons faire prospérer cette idée dans le secteur privé, chez ceux qui n’ont peut-être pas encore rejoint la tente, et mieux ce sera.

Et n’oubliez jamais : en fin de compte, ce sont les pays. Nous pouvons les aider. Les gens savent qu’à ce stade, je voudrais faire valoir un point que beaucoup connaissent déjà. On peut emmener un cheval à l’abreuvoir. Mais on ne peut pas le forcer à s’abreuver. Donc, pour que le cheval puisse s’abreuver, nous devons faire plus en lui fournissant de bonnes preuves et en lui montrant quels sont ses propres intérêts à s’abreuver.

Mme GELPERN : J’aimerais que nous passions le temps qui nous reste avant la séance de questions et réponses à parler de certains types de pratiques et d’interventions stratégiques qui sont possibles ou qui ont peut-être déjà cours pour les institutions comme pour les donateurs, et pour nous tous, en fait.

Je manquerais à mon devoir si j’oubliais de mentionner la restructuration de la dette, n’est-ce pas ? Et c’est une chose que vous connaissez tous les deux du bout des doigts. Les deux institutions ont passé des décennies à vraiment innover dans ce domaine, ce qui est à la fois merveilleux et profondément navrant.

Et avec les nouveaux acteurs et les nouveaux instruments, même si tout le monde agit en toute bonne foi et essaie de faire de son mieux, il y a absolument beaucoup de travail à faire pour mettre tout le monde sur la même longueur d’onde et engagé dans un processus qui peut déboucher sur des résultats concrets.

David, vous pourriez peut-être commencer par nous parler de ce sujet. Kristalina, j’aimerais surtout savoir où nous en sommes avec l’examen des politiques du Fonds dans ce domaine.

M. MALPASS : Il y a plusieurs aspects à cela. Alors, je veux lancer une série de mots qui feront le buzz pour que les gens puissent appréhender l’ampleur du défi à relever.

En ce qui concerne la transparence de la dette, les entreprises publiques représentent un enjeu. Sur lesquelles voulez-vous compter, et quelles sont les conditions du passif éventuel que les pays ont prises en charge ?

Vous avez énuméré les avantages que la Chine pourrait tirer d’une transparence accrue. Mais je pense que ce que Kristalina disait en réalité, c’est que si vous amenez un cheval à l’abreuvoir, il en est de même d’ailleurs pour les pays emprunteurs, l’enjeu est de savoir ce qu’il faut faire pour convaincre ce cheval de s’abreuver. Parce que la tentation est de donner des garanties, d’accorder des privilèges sur les actifs lorsque les pays n’obtiennent pas la pleine valeur de ces actifs, ou de créer un environnement de prix où un produit donné est sous-vendu sur une longue période de temps afin d’obtenir de l’argent en avance.

Il s’agit donc de problèmes individuels très réels. Donc, au moment où nous pensons à la restructuration de la dette, je pense que nous devons être ramenés à, pour ainsi dire – il va falloir subdiviser les divers types de dettes et savoir quels sont les outils à utiliser pour y parvenir. Quels pays en ont besoin et lesquels en ont besoin d’une façon qui leur permettra de mieux se développer à long terme ? Si vous y allez de but en blanc en disant que je contracte cette dette mais j’ai l’intention de la restructurer, ce ne sera pas une très bonne voie vers le développement.

Donc, je pense qu’on pourrait avoir besoin d’un processus pour les pays IDA, qui sont les pays les plus pauvres. Dans le cadre d’IDA19, nous avons un nouveau processus connu sous l’acronyme SDFP, qui désigne un cadre durable pour le développement et qui sera très puissant dans ces pays. Nous aurons besoin de quelque chose de spécial ou il faudra quelque chose de particulier pour l’Argentine parce que c’est un si grand pays, qui se retrouve en bas de la liste. Je ne voulais pas anticiper.

Mme GEORGIEVA : Non, en fait, je vais continuer là où David s’est arrêté. Dans un monde où le cadre conventionnel d’échanges sur la restructuration de la dette qu’était le Club de Paris n’est plus la solution, nous devons travailler sur deux angles.

Le premier est d’élargir la coopération internationale sur la soutenabilité de la dette. Là encore, la Banque mondiale et le Fonds ont un rôle majeur à jouer. Le G20 a un grand rôle à jouer. Et ceci doit mobiliser l’attention.

Mais ensuite, deux — c’est une piste à explorer pour qu’il y ait une capacité de réunir les prêteurs privés, les émetteurs d’euro-obligations, les bailleurs de fonds non traditionnels — désolé, les prêteurs, les prêteurs traditionnels, que l’on doit rassembler.

Mais le deuxième angle porte simplement sur l’amélioration du processus d’accumulation de la dette. On voit maintenant beaucoup plus d’attention accordée aux clauses d’action collective dans les nouvelles émissions. Il m’a été rapporté que 87 % des pays à faible revenu recensés dans le document se lancent sur cette voie.

Le document nous dit également que, même si c’est vrai et positif, relativement parlant, en même temps, la restructuration globale de la dette qui a eu lieu récemment a été douloureuse et peu efficace. Soit il y aurait une sous-estimation des besoins en matière de restructuration de manière à ce qu’il y ait une deuxième restructuration, soit il s’agit d’une restructuration prolongée, soit alors toutes les parties n’interviennent pas. Il faut donc reconnaître que c’est une réalité très douloureuse pour les pays qui sont confrontés à ce processus.

Enfin, dernière chose et non des moindres, nous devons garder à l’esprit que, dans ce monde en proie à une pression en faveur de la restructuration de la dette, le mieux que nous puissions faire, c’est de mettre plus d’accent sur la prévention, car prévenir vaut mieux que guérir. Il faut avant tout éviter de se retrouver dans une situation inconfortable.

Et, pour de nombreux pays, je dirais vraiment que lorsqu’ils ont des problèmes de dette, ils devraient se pencher sérieusement sur le microcadre qui a peut-être fait en sorte qu’ils se retrouvent dans cette situation. Et je pense que, quelle que soit la façon dont vous le dites, rien ne peut se substituer à des politiques responsables.

M. MALPASS : Puis-je — ?

Mme GELPERN : Oui, je vous en prie.

M. MALPASS : Un bref commentaire, et c’est le premier que j’ai fait, sur le conflit des incitations. Donc, lorsque vous parlez de restructuration de la dette, nous devons être conscients du fait que les dirigeants du pays peuvent être satisfaits de quelque chose inférieure à ce qui est vraiment nécessaire pour la population du pays, parce qu’ils l’examinent et se disent : eh bien, si vous retardez mes paiements de quatre ans, cela correspond à la durée du mandat ou à l’horizon à court terme. Il faut donc trouver une solution, je pense que l’on peut appeler cela la coopération internationale, pour dire que nous devons rechercher le meilleur intérêt des populations, et l’avoir à cœur — quand il y a une restructuration de la dette, nous devons l’évaluer équitablement et voir si cette restructuration est suffisamment efficace pour améliorer véritablement la qualité de vie des populations.

Mme GELPERN : C’est super important, et j’aimerais vous encourager tous les deux à le faire. Et nous commençons même à anticiper sur les questions — nous répondons aux questions comme elles arrivent sans savoir celles qui nous pourraient être posées. Alors, c’est bien.

Donc, le document souligne que de plus en plus de restructurations ont lieu en dehors du programme du FMI, sans qu’un programme du FMI ne soit en place, n’est-ce pas ? Donc, dans le passé, vous auriez eu — et c’est assez stylisé comme vous le savez j’en suis sûre — à faire face au risque de surendettement. Vous seriez allés au FMI. Puis vous seriez allés au Club de Paris. Vous auriez obtenu un traitement comparable de la part de tous les autres, et un financement supplémentaire jusqu’à l’échéance. Ça n’a jamais été aussi simple, mais c’est une séquence.

Dans un monde où, comme vous l’avez dit, le Club de Paris n’est plus le centre de gravité et où il existe des autres sources de financement alternatives, comment est-ce que vous faites pour garantir que le cadre stratégique est propice à des résultats tangibles, trop peu trop tard —

M. MALPASS : Puis-je ajouter deux mots avant de passer la parole à Kristalina ? Il y a d’autres banques multilatérales de développement en dehors de la Banque mondiale. Je tiens donc à accentuer la complexité de votre question. S’il y a d’autres entités qui ont accès à un financement à très faible coût sur les marchés internationaux, et qui insistent pour accorder des prêts à des pays à très faible échéance, alors cela ajoute à la difficulté.

Puis-je ajouter le secteur privé à cela ? Donc, il y a dans cet environnement à faible rendement où les banques centrales achètent des montants énormes de la dette publique, de la dette publique à long terme, et qui s’étale sur la courbe de rendement, ce qui laisse une situation où les restructurations ne sont pas aussi prospectives qu’il y paraît.

Mme GEORGIEVA : Le problème auquel nous faisons face exige un travail beaucoup plus intensif qu’il ne l’était dans les jours que vous décrivez. Je veux dire, voyons les choses en face. Le monde a changé. Il continuera d’évoluer. Quand j’étais enfant, je vivais au centre-ville d’une capitale et je quittais mon appartement sans fermer la porte parce que personne n’allait me dérober quoi que ce soit. Ce monde n’existe plus.

Nous devons reconnaître que le monde est devenu plus complexe. Il est multipolaire, multifonctionnel. Et ce que cela signifie pour des gens comme nous, et pour les institutions que nous représentons, et pour quiconque d’ailleurs, c’est simplement plus de travail, plus de sensibilisation, un engagement plus constant. Parce que si nous ne faisons pas notre travail comme l’exige le monde d’aujourd’hui, nous laisserons tomber les pays pauvres.

Ce n’est pas comme si les pays à faible revenu veulent se retrouver pris dans l’étau de l’endettement. La plupart du temps, ils ne le souhaitent pas. Ils ont la dimension politique des élections et des choses comme ça. Mais reconnaissant qu’il y a une grande différence dans la connaissance et en termes de capacité et de compétences par rapport à ce qui est offert comme produits de la dette et de sources de ces produits, et comment cette dette est gérée dans un grand nombre de pays à faible revenu, et que cet équilibre doit être corrigé activement avec toutes les complications que cela implique — alors, vous savez, probablement que je terminerais avec ce seul terme : le travail de fond.

M. MALPASS : Je vais peut-être repréciser mon point de vue et inviter le FMI à nous aider sur ce plan. Nous nous retrouvons dans une situation où d’autres institutions financières internationales, et dans une certaine mesure les institutions de financement du développement dans leur ensemble, précisément les organismes officiels de crédit à l’exportation, ont tendance à prêter trop rapidement et à aggraver le problème de la dette des pays.

Donc, au Pakistan, la Banque asiatique de développement investit des milliards de dollars dans un pays qui traverse une période difficile sur le plan budgétaire. Dans le cas de l’Afrique, la Banque africaine de développement injecte d’importantes sommes d’argent au Nigéria, en Afrique du Sud et dans d’autres pays qui ne disposent pas du programme le plus efficace pour appuyer cette démarche et la faire prospérer. Au Kazakhstan, la BERD s’efforce d’octroyer des prêts au titre desquels d’autres institutions abattent un travail remarquable, ce qui permet de revoir à la baisse les taux d’intérêt.

Nous avons donc un problème très réel, à savoir que les IFI elles-mêmes alourdissent le fardeau de la dette. Des pressions sont exercées sur le FMI pour qu’il fasse le tri et détermine le meilleur intérêt pour un pays.

Mme GEORGIEVA : Je dirai simplement que j’ai dit la moitié de ce que j’aurais dû dire. L’autre moitié est qu’il y a une énorme responsabilité dans ce monde plus complexe, qui nous oblige à être plus exigeants envers nous-mêmes : à qui devons-nous prêter, pour quelle raison et dans quelle mesure sommes-nous certains que les programmes que nous soutenons ne sont pas la face immergée d’un iceberg de dette que le public ne voit pas ? Cette exigence vis-à-vis de nous-mêmes est extrêmement importante.

Et aussi, je tiens à dire que nous avons 26 programmes en Afrique. Ce n’est pas comme si le Fonds n’y travaille pas. Nous sommes présents dans bon nombre de ces pays. Et je reconnais pleinement, tout comme mon personnel, que la responsabilité de promouvoir la transparence de la dette et la soutenabilité de la dette dans ce nouveau monde complexe est beaucoup plus grande.

Mme GELPERN : Vous savez, ce qui est fascinant dans ce dernier échange, c’est bien que les institutions que vous avez mentionnées ne sont pas les nouvelles plurilatérales, n’est-ce pas ? Ce sont des institutions qui existent depuis le milieu du XXe siècle. Et le fait que nous ayons de la difficulté à coordonner les institutions établies avec les parties prenantes qui tirent les ficelles depuis des décennies est un peu inquiétant par rapport à ce que cela nous renseigne sur notre capacité à créer de nouvelles institutions.

M. MALPASS : Laisser de côté la Banque européenne d’investissement, la BEI, c’est aller encore plus loin à des conditions plus basses que celles que j’ai déjà énumérées. Donc, on a beaucoup insisté sur la BAII, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, mais, d’une certaine façon, elle coordonne mieux ses activités. Elle a son siège à Beijing, mais elle s’est efforcée d’établir des normes équivalentes à celles de la Banque mondiale et le faire savoir de façon explicite. Et donc, cela a en pratique donné lieu à moins de problèmes dans ce domaine que pour certaines autres institutions.

Cela ne nous dit pas ce que l’avenir nous réserve. Mais vous avez tout à fait raison. C’est la coordination traditionnelle qui pose le plus de problèmes jusqu’à présent.

Mme GELPERN : Alors, très simplement — en fait, pourquoi ne pas passer aux questions, parce que nous nous sommes approchés de certaines d’entre elles, mais nous n’avons pas tout à fait réglé le problème.

Donc, la toute première question, vous ne serez pas surpris : est-ce qu’un mécanisme mondial de restructuration de la dette souveraine pourrait entraîner une plus grande coordination des créanciers ? Permettez-moi de revenir un peu en arrière et de vous situer un peu plus dans le contexte. Vous avez parlé des clauses d’action collective, Kristalina. C’est exactement ça. Et nous avons un modèle solide sur la table, et dans la mesure où la catégorie de la dette qui croît le plus rapidement dans bon nombre de ces pays est celle des euro-obligations et des obligations en devises, 87 % ce n’est pas 100 % mais nous sommes en assez bonne posture. Mais une partie de la complication, bien sûr, vient de ce que pour la plupart de ces pays, il ne s’agit pas là du gros de la dette. C’est peut-être la catégorie qui croît le plus rapidement, mais c’est un stock de la dette très hétérogène.

Et certaines des conditions — lorsque vous avez parlé plus tôt de la garantie, de différents emprunteurs, de différents prêteurs, de différentes garanties, c’est un monde terriblement compliqué. Avec la dette privée et même la dette municipale, c’est à cela que sert la faillite, n’est-ce pas ? Pourquoi ne pas revoir cette idée ? Est-ce que le secteur privé n’aurait pas maintenant une appétence pour cela maintenant qu’à certains égards, il est minoritaire à la table ?

Mme GEORGIEVA : La complexité signifie que nous sommes sur un terrain de jeu plus difficile qu’auparavant. Mais cela ne signifie pas que nous ne devrions pas essayer d’élargir le cadre qui nous permet d’être plus efficaces dans la restructuration de la dette. Je comprends donc votre point de vue. La réponse à votre question est oui, nous devons trouver des voies et moyens de renforcer la coordination et la coopération en matière de dette, ça c’est sûr et certain.

Nous devons également reconnaître que nous devons être honnêtes et agir en conséquence dans des situations de dette insoutenable. Je regarde l’Afrique. Le Mozambique me vient à l’esprit, une situation qui n’était pas durable et qui nécessitait que des mesures soient prises. Et là je réfléchis pour nous, qui sommes dans le monde des organisations internationales : comment pouvons-nous être inclusifs et faire le travail de fond tout en étant très honnêtes et décisifs dans l’action ? C’est quelque chose que nous devons accepter, sinon je ne pense pas que David et moi rendrions service.

N’oublions pas pourquoi je m’inquiète tant de la dette des pays à faible revenu. Parce que cela signifie que si cette dette n’est pas bien gérée, les taux d’intérêt, souvent élevés, engloutissent des ressources précieuses qui auraient pu être utilisées pour investir dans l’éducation, la santé et l’infrastructure, et les taux d’intérêt enlèvent ces ressources aux personnes qui ont le plus besoin d’investissements de qualité. Et nous avons l’énorme responsabilité de défendre de tels pays.

M. MALPASS : C’est tout à fait exact. Tout d’abord, puis-je plaider en faveur de la transparence de la dette et de l’investissement ? Donc, je pense qu’il est très difficile aujourd’hui de régler les questions de restructuration et de savoir quoi faire avec les questions du secteur privé. Mais un point de départ qui est assez difficile pour le monde, pour les débiteurs comme pour les créanciers et pour les institutions internationales, est simplement d’identifier la dette et d’essayer d’obtenir la divulgation des conditions.

Alors, je veux vraiment me focaliser là-dessus et reconnaître que c’est une chose urgente à faire. La prochaine fois — je veux dire, cela ne semble pas insurmontable. Ne peut-on pas savoir quelle est la dette, comme vous l’avez dit, du Sénégal par exemple ? Mais nous avons trouvé que c’était tellement difficile à la Banque que nous avons choisi une voie différente, c’est-à-dire que nous essayons toujours de schématiser toute la dette, mais nous nous limitons à des pays pilotes individuels. Prenons l’exemple de l’Angola, du Sénégal ou d’autres pays, et essayons de comprendre tout ce que nous pouvons faire au sujet des différents types de dettes qui sont contractées et au sujet des conditions qui s’y rattachent. Cela s’avère bien plus difficile à faire.

Et vous avez dit, Anna, que chaque fois que les gens identifiaient un type de dette ou une façon d’accumuler plus de dette, les prêteurs et les emprunteurs ont trouvé une nouvelle façon de le faire et une façon différente qui n’a pas trouvé écho auprès du système existant. Donc, nous essayons d’agir le plus rapidement possible pour mettre en évidence la plus grande partie de la dette que nous pouvons, avec l’idée que cela mènera à une gestion adéquate plus tard.

Mme GELPERN : Nous avons beaucoup de questions très sensibles, et j’essaye de les regrouper en catégories. Et il y en a une en particulier que je veux être certaine d’aborder ici. Nous reviendrons à la restructuration de la dette, qui se trouve être l’amour de ma vie. Mais n’oublions pas le financement du développement, qui est un point sur lequel vous vous êtes d’abord exprimée, Kristalina.

Donc, voici deux questions.

Qui va financer les pays en développement si nous arrêtons les institutions financières internationales, les agences de crédit à l’exportation, en Chine ? Je ne suis pas certaine que quelqu’un ait suggéré de les arrêter, mais j’estime que l’essentiel est de savoir d’où proviendra tout cet argent ? Et si tout le monde doit être honnête, jouer cartes sur table et divulguer tous les coûts, cela ne va-t-il pas créer des frictions — peut-être le bon genre de frictions ?

Donc, si vous me permettez d’ajouter une autre question qui me semble du même tonneau, comment est-ce qu’un programme comme le mécanisme mondial de financement concessionnel contribue-t-il — et je vais reformuler — la question se pose déjà avec acuité pour les pays endettés et ceux à revenu intermédiaire. Mais comment cela s’inscrit-il dans la réflexion plus globale concernant la soutenabilité de la dette ? Et quelle est la manière de traiter de la dette sans mettre fin à des programmes comme celui-ci ni les restreindre ?

M. MALPASS : Puis-je essayer votre première question, celle de savoir qui doit apporter le financement ? Les données empiriques montrent que si les pays font preuve de transparence, ils peuvent lever des financements à un taux d’intérêt plus bas. Donc, je pense que nous devons adopter notre modèle, à savoir qu’il y a beaucoup d’épargne dans le monde qui ne demande qu’à trouver des emprunteurs qui veulent être transparents et qui ont un projet d’investissement transparent dans lequel ils peuvent s’engager. Donc, je suis un peu moins — je suis d’accord que c’est une question qui mérite d’être posée, mais ce n’est pas tellement — le projet n’est pas de couper le financement. Il s’agit en fait de favoriser le financement et d’en mobiliser davantage.

Mme GEORGIEVA : Je suis d’accord avec David pour dire que la transparence dans la gestion de la dette est un moyen d’accroître le financement des pays à faible revenu. Mais je veux répondre à votre deuxième question, qui porte sur le mécanisme mondial de financement concessionnel et sur ce qu’il en est des facilités de même nature.

Pour ceux qui ne connaissent peut-être pas le terme, il s’agit d’une facilité qui permet de réduire les taux d’intérêt des prêts octroyés aux pays à revenu intermédiaire secoués par des facteurs exogènes, je pense ici particulièrement aux réfugiés syriens en Jordanie ou au Liban, ou même aux Vénézuéliens en Colombie. Le mécanisme permet aux bailleurs de fonds non pas d’injecter de l’argent dans le pays en tant que tel, mais de réduire le coût de l’emprunt pour qu’il puisse y avoir un investissement à grande échelle, y compris dans des domaines qui pourraient se révéler plus rentables. Je pense que c’est un bon modèle pour permettre à l’argent d’aller plus loin et d’apporter la capacité institutionnelle et la préparation des projets, la supervision des projets. Et, en fait, au Fonds, nous ne pouvons pas soutenir la comparaison avec la Banque en termes de concessionnalité. Nous ne disposons que d’un milliard de dollars environ par an dans nos facilités à taux d’intérêt zéro. Nous envisageons de nous pencher sur ces instruments. Y a-t-il un meilleur moyen de servir les pays qui ont désespérément besoin de plus de financements ? En fait, nous estimons que le modèle de facilité de financement concessionnelle mondiale pourrait s’avérer utile. Étendez l’utilisation de votre argent afin de pouvoir faire beaucoup plus pour générer de la croissance et des emplois dans les pays en difficulté.

Mme GELPERN : Nous avons donc — c’est très riche et instructif. Je disais que nous avons cinq minutes et huit questions. Je ne pense pas que nous allons toutes les examiner, mais permettez-moi de les regrouper encore une fois. Il y a donc une série de questions qui portent sur l’assistance technique, votre travail commun dans le domaine de l’assistance technique, en particulier en ce qui concerne la capacité d’endettement. Et le temps est-il venu de passer de l’assistance technique axée sur la demande à une assistance technique obligatoire ? Maintenant, je ne sais pas très bien comment vous y parviendrez — pour reprendre votre métaphore sur l’eau potable —, mais je pense qu’il y a une autre question qui utilise le mot « obligatoire », dirions-nous. Comment rendre obligatoire la divulgation des contrats ? Comment la Banque mondiale et le FMI améliorent-ils la reddition de comptes des pays à faible revenu pour chaque centime investi ?

Et si vous me permettez d’ajouter une idée que nous n’avons pas vraiment explorée, mais qui ressort dans tout ce que vous dites, les mandataires sont les populations du pays, n’est-ce pas ? Donc, l’idée selon laquelle la divulgation de la dette, la transparence de la dette, la transparence des investissements est quelque chose d’ésotérique, de technique pour la Banque mondiale et le FMI, est totalement erronée. La dette publique est publique. Les gens devraient être en mesure de demander des comptes à leurs gouvernements. Mais qu’en est-il de la divulgation obligatoire, de l’assistance technique obligatoire, pour qu’ils le fassent ?

Mme GEORGIEVA : Devrais-je le faire ? D’accord. Bon, écoutez, je pense que je milite activement pour la mise en place de normes de divulgation, de leur conception adéquate et de l’abandon de la divulgation volontaire au profit d’une divulgation obligatoire. Je pense que c’est la bonne voie à suivre. Ça ne veut pas dire que c’est facile. Ça me met dans le pétrin. Je fais boire le cheval. Mais en fait, à bien y réfléchir, ce n’est pas le choix que font les pays. Ils peuvent encore emprunter de façon moins responsable. Il s’agit du devoir qu’ils ont envers leurs propres populations et envers la communauté mondiale au sein de laquelle nous opérons, et cela me paraît tout à fait logique. Que pouvons-nous faire à notre manière, si modeste soit-elle ? C’est dans nos propres opérations que nous devons être plus exigeants vis-à-vis de nous-mêmes, dans ce que nous faisons et que nous ne faisons pas lorsque l’information n’est pas disponible. Et tel est entièrement — en fait, nous sommes mandatés pour le faire, pour utiliser le mot « mandaté ».

Mais je vous dirai avec plus d’optimisme que nous voyons beaucoup d’intérêt pour le renforcement des capacités techniques de gestion de la dette, beaucoup d’intérêt dans le renforcement de la capacité de gestion financière, c’est-à-dire dans la mobilisation des ressources pour la réforme nationale. Donc, franchement, le cheval veut s’abreuver.

Mme GELPERN : Certainement.

S’il vous plaît.

M. MALPASS : Et j’ajouterai, à l’intention des juristes, que la Banque, lorsqu’elle prête, a une clause de non-préférence de tiers, ce qui signifie que les autres prêteurs ne sont pas censés venir avec des privilèges ou des exigences de garantie. Donc, en utilisant cette clause, il y a la politique d’emprunt non concessionnel, qui n’a pas été poussée comme il se doit. Le FMI — en ce qui concerne la clause de non-divulgation, le FMI a, en vertu de l’article 4 et d’autres parties du règlement du FMI — la capacité de vraiment faire pression et de demander des informations. Donc, je pense que si nous, dans notre communauté, sommes tous d’accord sur cette orientation et devons tout faire pour la mettre en application.

Mme GELPERN : Devinez quoi ? Vous avez répondu à deux questions que je n’ai même pas posées. Alors, qu’est-ce que vous faites au sujet de la dette garantie, et la clause pari passu en fait grandement partie. Et une autre question nous ramène aux PPTE et à l’IADM et à la façon dont — en fait ce que nous avons d’autre dans notre boîte à outils —

M. MALPASS : À ce sujet, l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) est toujours en cours. Ça a commencé à la fin des années 90.

Mme GEORGIEVA : Oui, la Somalie va —

M. MALPASS : Kristalina l’a créée, peut-être, et d’autres dans cette salle. Donc, en Somalie, nous travaillons à parachever cela, et il y en aura d’autres.

Il y a donc certaines de ces initiatives qui, à mon avis, étaient bonnes dans leur conception. Elles ont pris de l’âge maintenant, et l’on a de l’affection pour elles. Nous pouvons donc nous appuyer sur cela en tant que processus, dans le cadre de l’IADM.

Mme GELPERN : Donc, la seule chose qui reste dans la pile vraiment riche de questions — eh bien, il en reste beaucoup, mais je pense qu’il vaut la peine de conclure en rappelant que, bien sûr, les pays pauvres ne sont pas les seuls lourdement endettés. Et le problème est — et vous avez évoqué le problème d’inégalité, n’est-ce pas ? Il y a des pays dont l’encours de la dette représente plusieurs fois — plusieurs fois la taille de leur économie, et pourtant ils sont en bonne santé. L’environnement des taux d’intérêt les aide et la structure des échéances de leur dette est telle que nous ne sommes pas aussi inquiets que nous pourrions l’être. Mais ce groupe particulier de pays ne peut pas se le permettre. Et donc, il s’agit d’un ensemble de vulnérabilités qui ne nous permettent malheureusement pas de rester assis et détendus pendant les 10 prochaines années sans nous en inquiéter.

M. MALPASS : Cela me préoccupe. Donc, l’inégalité fait en outre que les nouveaux entrants n’obtiennent pas l’argent pour démarrer une entreprise, qu’une femme ne puisse pas avoir la possibilité d’emprunter auprès des banques.

Pour ce qui est de la politique générale en vigueur, nous avons les trois grandes banques centrales — le Japon, les États-Unis et l’Europe, en l’occurrence la Banque d’Angleterre — qui acquièrent des titres de créance à long terme au moyen d’emprunts à court terme. Elles empruntent donc du jour au lendemain et classent ces emprunts dans la catégorie des actifs à long terme. C’est donc une recette spécifique pour l’inégalité, laquelle représente un enjeu majeur. Cela signifie littéralement que les entreprises bien établies et de grande taille obtiennent beaucoup plus de capitaux, à moindre coût, et ce n’est pas vraiment un modèle de croissance.

Et nous le voyons apparaître en Europe avec des chiffres de croissance très faibles décennie après décennie, en réalité année après année, mais il en est ainsi depuis plus d’une décennie, ce n’est tout simplement pas suffisant pour tirer vers le haut les pays en développement.

Mme GELPERN : En parlant de « pas assez », je dirai justement que nous n’avons pas assez de temps. Peut-être pourrions-nous réserver une journée complète de votre temps un jour, mais nous avons beaucoup de questions sans réponse, même si vous avez répondu à un si grand nombre de questions qui n’avaient même pas encore été posées.

Merci beaucoup. Nous remercions le Président, la Directrice générale et tous ceux qui ont contribué à l’organisation de cet échange.

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