Washington, le 16 mai 2022 — Selon un nouveau rapport de la Banque mondiale, il est essentiel que les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) permettent au secteur privé d’accéder aux marchés et de concurrencer à armes égales les entreprises publiques, et ce, afin de créer des emplois dans une région où le chômage des jeunes est le plus élevé du monde.
Le rapport, intitulé Le défi de l’emploi : Repenser le rôle des pouvoirs publics envers les marchés et les travailleurs dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, recommande aux gouvernements de la région MENA des mesures pour remédier au marasme du marché du travail qui, dix ans après le Printemps arabe, continue de saper le développement économique et le progrès social.
Selon cette publication phare, la lutte contre le fléau du chômage, en particulier chez les jeunes et les femmes de la région, passe par un secteur privé plus développé et dynamique, ainsi que par des réformes réglementaires sur les marchés du travail et des produits.
« D’après ce rapport, les gouvernements se doivent de redéfinir leurs relations avec le secteur privé, les travailleurs et surtout avec les femmes, un facteur d’une importance égale, explique Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Plutôt que d’intervenir dans les secteurs économiques, l’État doit créer les conditions pour un secteur privé concurrentiel et réglementé. Plutôt que de se reposer sur un code du travail obsolète, l’État doit repenser ses programmes de protection sociale et son approche au marché de l’emploi. Enfin, plutôt que de chercher à préserver l’héritage de certaines normes historiques et sociales, l’État se doit d’être le gardien de l’équité entre les genres dans la région MENA. »
L’emploi dans les pays de la région MENA a progressé de 1 % par an en moyenne dans les entreprises du secteur privé, bien loin des 5 % enregistrés parmi les autres économies à revenu intermédiaire. Avec un taux d’activité féminine de 20 % seulement, la participation des femmes sur le marché du travail est la plus faible au monde, tandis que le taux de chômage chez les jeunes est élevé et estimé à 26 %.
S’appuyant sur deux séries d’enquêtes de la Banque mondiale auprès des entreprises — les enquêtes WBES — disponibles pour la première fois pour la région MENA, le rapport offre un nouvel éclairage sur les difficultés auxquelles se heurte le développement du secteur privé, pourtant crucial pour la création d’emplois.
Le rapport montre en particulier comment le nombre et la qualité des emplois dans l’économie sont tributaires de la fluidité (ou « contestabilité ») des marchés — un marché est considéré comme contestable lorsqu’il est facile pour les entreprises d’y entrer et d’en sortir et que s’y exerce en permanence la pression de la concurrence potentielle. La publication présente de nouvelles données sur la réglementation des marchés de produits, qui rendent compte notamment des politiques favorisant ou entravant la fluidité des marchés, en Arabie saoudite, en Égypte, en Jordanie, au Koweït, au Maroc, en Tunisie, aux Émirats arabes unis et en Cisjordanie et Gaza. Ces données permettent pour la première fois d’établir des comparaisons au sein de la région MENA et avec 51 pays ailleurs dans le monde.
Selon le rapport, les marchés de la plupart des pays de la région ne sont pas contestables. Cela s’explique en grande partie par le fait que les entreprises publiques jouent un rôle prépondérant et bénéficient d’un traitement préférentiel en matière de taxes, de financements et de subventions. En outre, de nombreux pays de la région MENA disposent d’entités qui font à la fois office d’organismes de réglementation et d’opérateurs au sein des entreprises publiques, ce qui affaiblit la concurrence, tandis que les contrôles des prix et les subventions réduisent les incitations à la participation du secteur privé.
Les pays de la région MENA continuent par ailleurs de se caractériser par le poids des professions moyennement qualifiées, lui-même probablement lié à l’importance de leur secteur public, les travailleurs effectuant nettement moins de tâches nécessitant des compétences essentielles pour les emplois de demain, telles que des compétences cognitives (techniques) et socio-comportementales de niveau supérieur.
« Les gouvernements de la région MENA peuvent éviter une autre décennie perdue pour les générations actuelles et futures en adoptant des réformes courageuses et politiquement réalisables, affirme Federica Saliola, coautrice du rapport et économiste principale au sein du pôle Protection sociale et emploi de la Banque mondiale. La pandémie de COVID-19, aussi éprouvante qu’elle ait été, représente l’occasion de soutenir une reprise résiliente et inclusive qui génère de meilleurs emplois tout en s’attaquant à la fois aux ravages immédiats causés par la maladie et aux défis à plus long terme. »
D’après le rapport, et afin de rendre leurs marchés plus fluides, les gouvernements doivent réduire la domination des entreprises publiques, par exemple en éliminant les exclusions et les exceptions aux lois sur la concurrence, les marchés publics et la fiscalité qui sont appliquées aux opérateurs privés.
Pour un certain nombre de pays, le rapport préconise également l’adoption de réformes en vue de lever les restrictions qui sont imposées à l’activité des femmes dans des secteurs spécifiques et sur le plan des horaires de travail, de remédier à l’inégalité des salaires par rapport aux hommes et de mettre fin à l’obligation de requérir l’autorisation du conjoint pour obtenir un emploi.
« Un secteur privé dynamique est la pierre angulaire de la création d’emplois de qualité, souligne Asif Islam, coauteur du rapport et économiste senior auprès du bureau de l’économiste en chef pour la Région MENA de la Banque mondiale. L’esprit d’entreprise et d’innovation peut propulser les économies sur des chemins de prospérité radieux. Les jeunes sont motivés lorsqu’ils travaillent dans le secteur privé et qu’ils acquièrent des compétences précieuses. Ils se sentent concernés lorsqu’ils deviennent les maîtres de leur propre destin. Mais pendant bien trop longtemps, cela n’a pas été le cas pour la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. »
Prenant note de l’opposition politique et sociale que peuvent susciter de telles réformes, le rapport recommande, afin de limiter les écueils politiques, d’adopter une approche progressive dans la mise en œuvre des changements structurels nécessaires et de se focaliser dans un premier temps sur des secteurs émergents tels que l’économie numérique et l’économie verte, qui comptent moins d’opérateurs historiques et de groupes d’intérêt puissants.
Pour illustrer les possibilités qui existent déjà, le rapport comporte sept études de cas portant sur de jeunes entrepreneurs qui ont lancé des entreprises créatrices d’emplois ces dernières années, malgré un environnement difficile aggravé par la pandémie de COVID-19. Ces études de cas montrent comment ces hommes et ces femmes originaires d’Égypte, de Jordanie, du Liban, du Maroc, d’Arabie saoudite, de Tunisie et de Cisjordanie et Gaza ont réussi à surmonter les obstacles, notamment la difficulté à obtenir un financement et les lourdeurs réglementaires, pour lancer leur entreprise.