LAAOUISSATE, Maroc - Avant l’installation d’une canalisation qui achemine l’eau potable à leur village, les sept enfants de Saadia El Haddouri buvaient régulièrement une eau non traitée employée pour irriguer les cultures. Elle était consciente des effets néfastes de cette eau pour la santé : la contamination était telle, que l’un de ses fils avait été hospitalisé durant toute une année.
Mais la famille n’avait guère d’autre solution, sinon que de parcourir 10 kilomètres à pied pour la collecte de l’eau potable, ce qui occupait une bonne partie de la journée, privant souvent les enfants d’école. Jusqu’au jour où une conduite d’eau a été posée depuis une station de traitement d’eau potable jusqu’au centre du village où les habitants viennent désormais s’approvisionner au robinet d’une borne fontaine.
« Avant, on avait beaucoup de mal à se procurer de l’eau potable,» explique Saadia El Haddouri. «Les femmes comme les filles devaient parcourir de longues distances pour la collecter. Aujourd’hui, grâce à Dieu, l’eau [propre] est à deux pas de chez nous et les filles peuvent aller à l’école. »
La mère de famille habite à Laaouissate, un village situé dans la région d’El Jadida, sur le flanc atlantique du Maroc. Depuis 2014, Laaouissate et quelque 2 000 autres douars (villages marocains) ont pu être raccordés à une source d’eau potable fiable, dans le cadre du projet d’approvisionnement en eau potable en milieu rural, financé par la Banque mondiale.
Soutenir le Maroc dans ses efforts de généralisation de l’approvisionnement en eau potable
En 1995, le Maroc a lancé l’ambitieux Programme d’approvisionnement groupé en eau potable des populations rurales (PAGER). Environ seulement 14 % de la population rurale marocaine disposait alors d’un accès régulier à l’eau potable. Le reste des villageois devait soit parcourir de longues distances à pied pour collecter de l’eau, soit procéder à des achats sauvages et coûteux auprès de camions citernes, ou se résoudre à boire une eau insalubre prélevée dans les cours d’eau, les canaux agricoles ou les puits.
Depuis 2005, la Banque mondiale a apporté son concours au PAGER au travers d’une série de projets. Elle a notamment contribué à raccorder les zones rurales aux canalisations principales qui acheminent une eau traitée issue de barrages et de ressources en eau souterraine. Cette démarche a permis au Maroc de renforcer sa résilience face aux sécheresses auxquelles il est exposé, tout en offrant aux territoires ruraux un approvisionnement permanent en eau traitée, remplaçant la consommation d’une eau insalubre tirée des puits et des cours d’eau.
La phase la plus récente de ce projet que la Banque mondiale appuie depuis 2014 comportait un volet d’investissement et de soutien technique d’un montant avoisinant les 160 millions de dollars. Cette opération a porté spécifiquement sur les douars situés dans les zones les plus reculées, notamment le long de la côte atlantique et dans les régions du Rif et du Prérif. À la clôture du projet en mars 2023, on comptait près de 1,1 million de bénéficiaires disposaient désormais d’un accès à l’eau potable par bornes fontaines ou raccordements individuels.
Outre l’accès à l’eau, le projet a contribué à la réalisation de deux objectifs majeurs du programme national, à savoir l’adduction durable de l’eau vers les régions reculées et le raccordement des ménages dans les zones plus densément peuplées.
Grâce à l’installation de bornes fontaines au centre des villages, le nombre des bénéficiaires s’est multiplié. Pour assurer un service de qualité, gage de pérennité du projet, chaque communauté locale désigne un « gardien gérant » qui veille prestement aux réparations des petites fuites et à l’entretien de la borne fontaine. L’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) perçoit une redevance forfaitaire de 2,54 dirhams (environ 0,25 dollar) par m3 d’eau vendue au gardien gérant, qui la revend aux habitants au tarif maximum de 10 dirhams (environ 1 dollar) par m3. Le gardien gérant réalise ainsi un modeste profit, l’incitant à assurer le bon fonctionnement et l’entretien régulier de la borne fontaine.
Susciter l'adhésion des habitants et créer des emplois
Rachid El Kamouni, directeur de l’ONEE pour la province de Sidi Bennour, explique que le projet visait essentiellement à « améliorer la qualité de vie de la population », ajoutant néanmoins qu’il a également contribué à l’emploi de quelque 2 000 gardiens gérants.
Les organisateurs confirment le bon fonctionnement du dispositif. Laarbi Idahraoui porte un chapeau de paille à large bord élimé qui protège du soleil son visage ridé. À Laaouissate, c’est lui le gardien gérant des bornes-fontaines. « Avant, l’eau était un gros souci, se souvient-il. Aujourd’hui, on peut s’alimenter à cette fontaine publique. L’eau est pure à 100 % et tout le monde en profite. »
Pour atteindre le second objectif (raccorder les ménages dans les zones plus densément peuplées), il faut ajouter d’autres équipements sanitaires pour gérer les eaux usées. L’adhésion de la population constitue un facteur clé : des réunions de village sont donc organisées pour informer les habitants des avantages et des coûts de cette solution avant de déterminer si une majorité d’entre eux la souhaite. Pour alléger le fardeau des frais d'installation du système d'égouts, un fonds renouvelable a été créé, permettant aux foyers d'échelonner les paiements relatifs aux frais de raccordement plutôt que de payer en une seule fois.
« Les bienfaits d’un approvisionnement en eau potable dans les régions les plus reculées du Maroc sont patents, qu'il s’agisse de la réduction de la charge de morbidité due à l’eau insalubre ou des gains de temps obtenus avec la suppression de la corvée d’eau », déclare Carolina Dominguez-Torres, spécialiste senior de l’eau et de l’assainissement à la Banque mondiale, à la tête de ce projet ces quatre dernières années. « Les jeunes sont ainsi plus nombreux à fréquenter les bancs de l’école et les adultes peuvent se consacrer à des activités plus productives. »
Le projet de la Banque mondiale s’est achevé, mais le Maroc poursuit ses efforts pour raccorder à l'eau potable ceux qui ne le sont pas encore.