Un nouveau rapport préconise le renforcement de systèmes migratoires vitaux pour aider la région méditerranéenne à mieux résister aux chocs futurs
Les migrations jouent un rôle crucial pour le bien-être économique et social de la région méditerranéenne. Depuis des milliers d'années, les populations migrent d’une rive à l’autre de la Méditerranée, pour échapper à la pauvreté et chercher une vie meilleure, apportant ainsi aussi leur contribution à l'économie des pays d'accueil.
Ces déplacements se sont intensifiés au cours des dernières décennies. Au cours des 30 dernières années, les flux migratoires méditerranéens ont triplé, et le quart des immigrants du monde vivent désormais dans la région méditerranéenne au sens large, qui s'étend des côtes de l'Afrique du Nord à celles de l'Europe du Sud et du Moyen-Orient.
L'arrivée de la COVID-19 au début de l’année 2020 est venue perturber gravement ces flux migratoires, à la suite des mesures de fermeture des frontières et de confinement décrétées par les autorités publiques afin de lutter contre la propagation du virus.
Presque du jour au lendemain, les populations de la Méditerranée n'ont plus été en mesure de quitter leur pays pour travailler ou pour fuir les conflits. Ceux qui se trouvaient déjà dans les pays d'accueil ont été pris au piège, souvent sans emploi ni accès à un logement, des soins médicaux et des prestations sociales adéquats. Et les familles dans les pays d’origine qui dépendent des envois d'argent effectués par les migrants ont vu cette source de revenus se tarir temporairement.
Une mobilité entravée
Malgré ces perturbations, les populations ont continué de se déplacer dans la région, même au prix de risques accrus. C’est le constat d’un nouveau rapport de la Banque mondiale consacré aux répercussions de la pandémie sur les migrations dans la région méditerranéenne.
« Lorsque les facteurs structurels influant sur la migration sont puissants, les entraves à la mobilité n'arrêtent pas nécessairement les flux migratoires, mais elles risquent d'accroître les vulnérabilités auxquelles sont confrontées les migrants », explique Mauro Testaverde, économiste senior au sein du pôle Protection sociale et emploi de la Banque mondiale et auteur principal du rapport intitulé Construire des systèmes de migration résilients dans la région de la Méditerranée : les leçons de la COVID-19.
En 2021, les arrivées par voies terrestres et maritimes de demandeurs d'asile ont été plus nombreuses en Espagne, et sensiblement plus nombreuses en Italie, comparativement aux deux années précédentes, malgré les restrictions à la mobilité imposées dans tous les pays de la région à un moment ou l’autre au cours de cette période.
En même temps, les entraves à la mobilité des migrants créées par la pandémie ont aggravé, dans les pays d’accueil, les pénuries de main-d'œuvre touchant déjà, tous niveaux de qualification confondus, le secteur agricole, l'industrie de la construction, les professions médicales et les soins à la personne.
« Un quart des immigrants du monde vivent dans la zone méditerranéenne au sens large, indique Anna Bjerde, vice-présidente de la Banque mondiale pour l'Europe et l'Asie centrale. Les migrants ont été plus durement frappés par les répercussions sanitaires de la COVID-19, et ont été confrontés à d'importantes perturbations de l'emploi, aggravées par un accès limité aux programmes de protection sociale. Notre rapport phare souligne la nécessité de mettre en place des systèmes migratoires plus résilients, capables de résister aux chocs futurs, tout en protégeant le bien-être des migrants et en minimisant les perturbations dans les économies d'accueil. »
Risques accrus
Les restrictions à la mobilité ont entraîné une augmentation des risques pour les personnes faisant le choix ou contraintes de quitter leur pays. Les migrants d'Afrique de l'Ouest et du Nord ont fait état d’une plus grande dépendance à l'égard de passeurs exigeant plus d’argent et empruntant des itinéraires plus dangereux. Les femmes ont par ailleurs été victimes de violences domestiques et d’exploitation économique. Le nombre de personnes empruntant la route maritime la plus meurtrière vers l'Europe — de l'Afrique du Nord à l'Italie — a presque triplé entre 2019 et 2020.
Dans les pays d'accueil, la COVID-19 a davantage touché les migrants que les nationaux, avec un nombre plus élevé d'infections, d'admissions à l'hôpital, de traitements dans les unités de soins intensifs et de décès par habitant. En cause, des logements surpeuplés, des emplois en première ligne et un accès limité ou inexistant à des soins de santé adéquats
Les migrants ont aussi été confrontés à d'importantes perturbations sur le marché du travail : en 2020, les taux d'emploi ont connu une baisse plus importante parmi les migrants que chez les nationaux, ce qui a entraîné des interruptions temporaires des envois de fonds aux proches restés au pays.
Les migrants ont en outre connu des revers considérables dans leur intégration et leur éducation dans leurs pays d’adoption en raison de facteurs qui existaient déjà avant la pandémie, comme les barrières linguistiques et l'accès limité aux technologies, et qui ont entravé l'apprentissage à distance.
Le rapport indique néanmoins que les pays de la région méditerranéenne ont pris des mesures pour mieux gérer les migrations pendant la pandémie, notamment en accélérant les procédures migratoires et en étendant la couverture des principaux services et avantages sociaux.
Renforcement de la résilience
Toutefois, il faudra des efforts plus systématiques et globaux pour préserver pleinement les bienfaits de la migration et leur importance vitale pour la région, en particulier pour se préparer aux chocs liés au changement climatique et faire face à des conflits tels que la guerre en Ukraine.
Le rapport recommande notamment de renforcer la coordination entre les pays d’origine et d’accueil des migrants, tout au long du cycle migratoire. Il souligne également la nécessité de mettre en place de nouveaux mécanismes pour simplifier automatiquement les procédures de recrutement de travailleurs étrangers essentiels en cas de choc (à l’instar de la pandémie) et pour accorder aux migrants un meilleur accès aux services sociaux et de promotion de l’emploi pendant les crises.
La prise en compte des migrants dans les mesures de riposte en cas de choc majeur peut aider à protéger ce groupe particulièrement vulnérable et relève du bon sens économique, soutient M. Testaverde.
« La pandémie a montré que l'élargissement de l'accès des migrants à des services essentiels tels que les soins de santé, les programmes de protection sociale et pour l’emploi, ainsi qu'à un logement décent — même en période de crise et de rétrécissement de la marge de manœuvre budgétaire globale — protège à la fois les populations locales et les migrants, et favorise une relance plus rapide de l’économie », ajoute-t-il.
De telles réformes peuvent susciter de l’opposition dans les pays où l'immigration est devenue un sujet de discorde. Un nombre croissant d'études met en évidence un lien entre COVID-19 et sentiment anti-étranger, et ces perceptions négatives, qui prospèrent sur le terreau de la désinformation, pourraient poser des difficultés majeures à l'intégration des migrants à long terme.
« Le choc persistant de la pandémie a créé un besoin urgent de politiques plus progressistes », conclut Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. « Il offre aux pays du nord et du sud de la Méditerranée une occasion de renforcer leur coopération et de construire des systèmes migratoires tournés vers l’avenir, qui favoriseront une intégration économique indispensable pour parer à de nouvelles crises. »