Phénomène à souligner : la nature des conflits en Afrique a évolué, avec l’arrivée de groupes terroristes toujours mieux organisés, qui ne fonctionnent pas comme une armée et visent en priorité les civils. Ces groupes ont été à l’origine de plus d’un tiers de toutes les violences politiques recensées en 2014 alors que, dans le même temps, les violences interétatiques reculaient.
« La tâche d’identifier les causes et les solutions qui permettraient aux pays d’éviter ou de mettre un terme aux conflits est compliquée par le fait que la nature et la répartition géographique des conflits ont évolué. Et c’est ce qui rend cette conférence encore plus opportune », a déclaré Francisco Ferreira, économiste en chef à la Banque mondiale pour la Région Afrique.
« Au-delà du coût humain, énorme, », poursuit-il, « un conflit s’accompagne d’une contraction du [PIB] et peut favoriser l’apparition d’une ‘trappe de pauvreté’, une situation dans laquelle un pays reste bloqué dans un équilibre de bas niveau. L’étude de la distribution des taux de croissance en Afrique entre 1995 et 2013 révèle, sans surprise, que ceux qui affichent un taux de [croissance] négatif — comme le Soudan, le Soudan du Sud et la République centrafricaine — ont tous été en situation de conflit ces dernières années. »
Edward Miguel, directeur du CEGA et professeur d’économie à Berkeley, a rappelé que malgré l’importance des conflits dans la vie politique et le quotidien des populations, il s’agit d’un facteur que les chercheurs ont trop longtemps ignoré. « Depuis dix ans cependant, les travaux dans ce domaine sont en pleine expansion, économistes, politologues, géographes, historiens et anthropologues cherchant tous à en comprendre la dynamique sous-jacente pour proposer des solutions », a-t-il rappelé. Ses propres recherches mettent par exemple en évidence une forte corrélation entre changement climatique et conflits humains en Afrique.
Comme d’autres universitaires, Edward Miguel estime que cette conférence annuelle ne doit pas se contenter d’accueillir des débats d’experts présentant leurs travaux de recherche mais bien servir de tribune pour informer les décisions politiques. Il a ainsi évoqué les travaux de Thiemo Fetzer, un étudiant en PhD de la London School of Economics, sur le programme national de garantie de l’emploi en milieu rural (NREGA), mis en place par le gouvernement indien et qui, en garantissant 100 jours de travail rémunéré au salaire minimum, a permis aux agriculteurs fragilisés par une mauvaise récolte d’obtenir une autre source de revenu. Ce programme s’est révélé particulièrement efficace pour atténuer les effets de chocs de productivité en tant que facteurs déclencheurs d’un conflit. « Dans le cas du développement de l’Afrique », a continué Edward Miguel, « il est particulièrement décourageant de constater que très peu de programmes sociaux cherchent à assurer une forme quelconque de revenu aux populations rurales pendant une année de sécheresse par exemple. Le Botswana est l’un des rares pays à s’être doté d’un programme de réponse aux sécheresses et c’est là une lacune dans l’arsenal politique. »
L’ensemble des participants avaient par ailleurs évidemment à l’esprit l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest. David Evans, économiste senior au Bureau de l’économiste en chef de la Région Afrique à la Banque mondiale, est revenu sur les promesses et les dangers de l’exercice visant à apprécier l’impact économique de l’épidémie : « Au-delà des conséquences humaines, avec son cortège de malades et de morts, Ebola a des répercussions économiques dramatiques qui aggravent la situation alimentaire et perturbent l’accès à l’éducation et aux services de soins. Ces impacts secondaires, difficiles à prévoir, sont pourtant essentiels si nous voulons concevoir une réponse efficace et globale », a-t-il conclu.
Plus d’une cinquantaine de travaux de recherche ont été présentés à l’occasion de ces deux jours, dont certains élaborés par de jeunes chercheurs et étudiants. En s’appuyant sur des enquêtes auprès de chauffeurs routiers sur l’axe reliant Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, à Tema, l’un des grands ports du Ghana, Kweku Opoku-Agyemang, un chercheur ghanéen en post-doc au Blum Center for Developing Economies de l’université de Berkeley, a présenté des données concluantes sur le fait que l’augmentation des salaires des policiers et des douaniers peut en fait favoriser les cas de corruption mineure. Un résultat bien évidemment à l’opposé de ce que cherchaient les décideurs, convaincus qu’en doublant subitement les salaires des forces de police ils mettraient fin au racket sur les routes principales.
Pour Rachidi Radji, responsable des opérations de la Banque mondiale pour le Burundi — un pays qui vient de connaître de profonds troubles politiques — le choix du thème de la conférence était particulièrement bienvenu : « Les travaux de recherche qui ont été présentés doivent avoir un impact sur notre travail quotidien. S’il est un message à retenir de ces débats, c’est que nous devons non seulement traiter les symptômes des conflits mais surtout, et avant tout, s’atteler à leurs causes. »