Au paroxysme de la crise Ebola, l’hôpital a été confronté à une pénurie de personnel : craignant pour leur vie, les agents de santé restaient chez eux. Parallèlement, en raison de l’afflux de patients Ebola, l’établissement a dû fermer durant plusieurs semaines certains services d’hospitalisation, dont les unités de santé maternelle et infantile et de chirurgie.
« Toute la zone était infectieuse et infectée », se souvient le Dr Mohammed Sankoh, directeur médical de l’hôpital de la Rédemption.
Mesures de prévention et primes de risque
Par la suite, grâce à la distribution de kits de protection individuelle (combinaison, casque, lunettes) et aux formations dispensées aux soignants pour qu’ils apprennent à les utiliser, ainsi qu’à l’adoption de mesures de prévention et de prise en charge de l’infection, les trois pays ont réussi à réduire le nombre de cas de contaminations chez le personnel médical. Le Groupe de la Banque mondiale, et plus précisément l’IDA, son fonds pour les pays les plus pauvres, a contribué à la fourniture d’équipements de protection et de formations, ainsi qu’à l’approvisionnement en matériel, médicaments et fournitures essentiels ; il a aussi financé le versement de primes de risque qui ont encouragé les agents de santé à réintégrer leur lieu de travail.
Les fonds du Groupe de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement ont ainsi financé le paiement de ces primes à 6 100 agents de santé en Guinée, 9 500 au Libéria et 23 500 en Sierra Leone.
« Au tout début [de la crise Ebola], les hôpitaux ont été désertés par leur personnel », explique le Dr Toure Salematou, directeur municipal de la santé à Matam, en Guinée. « Mais maintenant, grâce à ce supplément de rémunération, les agents reviennent. Cela s’est avéré d’une grande efficacité pour motiver notre personnel. »
Le Groupe de la Banque mondiale finance aussi le versement d’indemnités aux familles des agents de santé décédés. À Conakry, en Guinée, Sylla raconte la mort de son neveu, emporté par Ebola à 27 ans, et la douleur et la détresse de ses parents et de ses sœurs.
« Sa mort a été une catastrophe », confie-t-elle. « Il était d’un très grand soutien pour sa famille, tout le monde dépendait de lui. »
Le neveu de Sylla était ambulancier à l’hôpital national Donka de Conakry. Il subvenait aux besoins de sa famille et c’est grâce à lui que sa sœur, étudiante en pharmacie, déjeunait tous les matins.
Avec les 10 000 dollars d’indemnité de décès dont elle a bénéficié, la famille de Sylla a pu s’acheter une charrue et lancer la construction d’une maison, avec l’espoir que ces investissements lui procurent des moyens de subsistance durables.
L’importance des contingents médicaux étrangers
Aux côtés des agents de santé locaux, des équipes médicales étrangères sont également sur le terrain. Elles apportent leur aide pour traiter et soigner les malades d’Ebola, renforcer les capacités locales, gérer les unités de traitement du virus et remettre en route des services de santé essentiels pour tous les autres patients.
Le Groupe de la Banque mondiale, avec d’autres partenaires internationaux, a soutenu l’envoi d’un grand nombre de professionnels de la santé dans les trois pays concernés. Plus de 1 300 personnels médicaux étrangers ont ainsi été déployés, dont 835 sous l’égide de l’ASEOWA, la mission d’appui de l'Union africaine contre l'épidémie d'Ebola en Afrique de l’Ouest, et 230 dans le cadre d’un contingent dépêché par Cuba.
Face aux conséquences de l’épidémie, le Dr Jonas Tewelde a répondu à l’appel aux volontaires de l’ASEOWA. Originaire de Mekelle, en Éthiopie, ce médecin généraliste travaille à l’hôpital de la Rédemption depuis février 2015 : « C’est à nous d’aider nos frères en Afrique ».
Nombre de ces personnels travaillent dans les unités de traitement d’Ebola, précise Charles Branch, coordinateur à l’OMS des effectifs médicaux étrangers en Sierra Leone.
« Tous ces personnels font preuve d’un immense esprit de sacrifice », souligne-t-il. « Pour la plupart, ils travaillent en zone rouge au quotidien, et c’est ce qui a permis de développer les capacités cliniques dont le système de santé avait besoin. Cela a joué un rôle essentiel pour susciter la confiance du public et des habitants des pays touchés, les amener à considérer qu’ils présentaient peut-être les symptômes d’Ebola et les inciter à consulter en sachant qu’ils allaient bénéficier d’une structure sanitaire sûre et efficace. »
Alors que les pays s’emploient actuellement à éradiquer l’épidémie et à reconstruire leurs systèmes de santé, ces équipes étrangères ont la tâche d’accompagner et de former les personnels nationaux. Mais, grâce à cette expérience, elles vont elles-mêmes acquérir de nouvelles compétences qui leur permettront, une fois de retour dans leur pays, de contribuer au renforcement des capacités utiles en cas d’urgence sanitaire.
Les difficultés sont immenses pour chacun des trois pays frappés par Ebola, qui doivent à présent reconstruire leurs systèmes de santé, favoriser la reprise économique et faire des arbitrages difficiles sur fond de priorités concurrentes. Dans ce contexte, l’une des pistes d’investissement porteuses consiste à se doter d’un système de santé plus résilient reposant sur une population de professionnels de santé nationale.
« Un champ de bataille »
Avant le déploiement des contingents médicaux étrangers au Libéria, l’hôpital C.H. Rennie, dans le comté de Margibi, ne disposait que de trois médecins. L’un d’eux est décédé peu après le début de l’épidémie, avant que celle-ci ne tue 13 autres personnels (dont plusieurs infirmiers, un auxiliaire médical et un agent de sécurité). Du jour au lendemain, l’hôpital s’est rempli de malades d’Ebola, dont de nombreux membres du personnel hospitalier.
Oretha Puway, sage-femme et infirmière diplômée, décrit l’hôpital comme « un champ de bataille » : « Nous les avons vus mourir l’un après l’autre », dit-elle en évoquant ses camarades de travail.
L’établissement, seul hôpital central dans la région, a finalement dû fermer pendant plus d’un mois en août 2014. La sage-femme se souvient d’une jeune future maman de 18 ans qui avait effectué toutes ses consultations prénatales à l’hôpital et dont la grossesse arrivait à terme ce funeste mois d’août. Elle est morte en accouchant à la maison et son souvenir hante encore Oretha.
Aujourd’hui, les patients reviennent progressivement au centre hospitalier C.H. Rennie, comme à l’hôpital de la Rédemption. En raison de la contamination, il a fallu brûler une grande quantité de lits et de matelas. L’ONG Save the Children a fourni des dizaines de lits afin de remettre sur pied et d’améliorer les services de soins dans le comté, et vingt personnels étrangers de la mission de l’Union africaine sont venus remplacer les agents hospitaliers décédés.
« Une tâche à accomplir »
Sidie, le laborantin sierra-léonais, considère qu’il a eu de la chance de faire partie des professionnels de santé qui ont survécu à Ebola, même si le fantôme de la contamination le poursuit. De nombreuses personnes dans son quartier l’ont vu monter dans l’ambulance quand il est tombé malade. Sa femme hurlait dans la rue, en lui demandant qui allait s’occuper de la famille s’il mourait.
« J’en pleure quand je repense à tout ça », confie-t-il les joues sillonnées de larmes.
Quand il est rentré guéri du centre de soins le 10 novembre 2014, le propriétaire de son logement a essayé de l’expulser. Stigmatisé, il a aussi perdu de nombreux amis.
Bien qu’il ait gardé de nombreuses séquelles de la maladie, et à l’instar de nombreux agents de santé en Afrique de l’Ouest, il tenait absolument à retourner travailler. Il a repris le travail le 15 janvier parce qu’il estime avoir une tâche à accomplir pour son pays.
« C’est comme si une guerre s’était abattue sur notre pays. Ce n’est pas à un menuisier de faire une prise de sang à un enfant malade. »