NOUAKCHOTT, le 12 juin 2020 — En 2015, la Mauritanie a découvert à la frontière maritime avec le Sénégal son premier champ de gaz naturel appelé Grande Tortue Ahmeyim (GTA). Si l’exploitation de ce vaste gisement présage une augmentation rapide des ressources de l’État qui lui permettrait d’accélérer son développement, l’expérience internationale montre que l’abondance de ressources naturelles comporte aussi des risques à éviter.
En effet, selon un nouveau rapport de la Banque mondiale, intitulé Gestion macroéconomique des recettes gazières en Mauritanie , il est difficile d’établir de manière certaines les recettes budgétaires qui pourront être générées par l’exploitation du gaz en Mauritanie. Comme tout grand projet pétrolier ou gazier, le projet GTA est confronté à plusieurs risques. Certains sont exogènes, à l’instar de la volatilité des prix sur les marchés internationaux et la pandémie de COVID-19 qui va retarder le début de la production de gaz comme prévu initialement de 2022 à 2023. D’autres risques, étroitement liés aux décisions du gouvernement, notamment en matière budgétaire, existent.
L’expérience internationale montre en particulier que les pays riches en ressources naturelles peuvent connaître des défis macroéconomiques importants qui compliquent la gestion des ressources naturelles. Le rapport souligne quatre défis : gérer l’incertitude liée à la volatilité des prix du gaz sur les marchés internationaux, de prendre en compte la durée d’exploitation du gisement et assurer une équité inter-générationnelle, maximiser les revenus provenant de l’exploitation du gaz tout en limitant les effets inflationniste sur l’économie, et maximiser la transformation des ressources en biens de production équitablement répartis entre la consommation et l’investissement, entre les secteurs, et entre les différents groupes de la population. « Cela signifie qu’il faut trouver un juste milieu entre l’investissement et la consommation, à travers les secteurs-clés, tels que le capital physique et humain, et à travers les différentes classes de revenus de la population », expliquent Wael Mansour et Samer Matta, économistes à la Banque mondiale et auteurs du rapport.
En s’appuyant sur les meilleures pratiques internationales, le rapport propose un cadre macroéconomique adapté à la gestion des ressources gazières et des réformes institutionnelles pour l’accompagner, tout en renvoyant la définition de mesures précises à d’autres exercices d’assistance technique et de modélisation complémentaires. Le but est d'informer les décideurs politiques et le grand public sur les leçons apprises de l’expérience internationale, ainsi que sur les différentes options possibles en matière de politiques publiques.
Une politique budgétaire adaptée
En utilisant un modèle d’Équilibre général calculable, le rapport montre que l’adoption d’une règle budgétaire accompagnée de réformes structurelles, pourrait augmenter le potentiel de croissance économique de la Mauritanie. Ces réformes structurelles pourraient viser, entre autres, à améliorer l’efficience des dépenses publiques, assouplir le régime de change et améliorer le climat des affaires afin d’accroître la productivité dans les secteurs non-extractifs. Dans un scenario sans réformes structurelles et sans règle budgétaire, la Mauritanie connaîtrait une appréciation de son taux de change réel, une perte de la compétitivité et une hausse de son déficit budgétaire.
Renforcer les institutions
En plus de la discussion autour d’un cadre macroéconomique contextualisé pour la gestion des ressources gazières, « ce rapport souligne la nécessité de mettre en place des réformes institutionnelles principales pour amorcer un cadre prospectif sur un bon pied », explique Laurent Msellati responsable des opérations de la Banque mondiale pour la Mauritanie .
Une bonne gouvernance et un bon système de gestion des finances publiques sont indispensables pour assurer la soutenabilité des politiques et des règles macroéconomiques dans les pays riches en ressources naturelles. Ainsi, le rapport appelle à la mise en place de mécanismes institutionnels clairs qui devraient être appliqués dans la durée. A titre d’exemple, les ressources gazières doivent être intégrées dans le budget afin d’éviter les opérations extrabudgétaires et de promouvoir la transparence budgétaire. Aussi, le Parlement et la Cour des comptes doivent être en mesure d’évaluer la gestion des ressources gazières. Par ailleurs, la Mauritanie dispose d’un Fonds national pour les ressources des hydrocarbures, créé en 2006 destiné à gérer les revenus pétroliers du champ de Chinguetti. Les ressources attendues du projet GTA représentent une bonne opportunité pour transformer ce fonds d’un compte d’épargne en une institution financière plus active. Pour ce faire, il sera nécessaire de repenser la structure et le mandat du Fonds, d’adopter des règles de gestion simples et précises et de consolider la gouvernance du Fonds. Par exemple, il faudrait réaliser à temps les audits décrits et prévus par la loi 2008-20. De même, les autorités pourraient également saisir cette opportunité pour adopter une stratégie qui repose sur un portefeuille d’investissements plus diversifié et un rendement plus ambitieux.