Si, d’une manière générale, les compagnies des eaux en Afrique enregistrent des résultats médiocres, certaines parviennent à tirer leur épingle du jeu. Celles qui sont les plus performantes s’en sortent relativement bien et sont même à la hauteur des critères internationaux sur le plan opérationnel et financier. Le niveau de performance varie profondément entre les pays mais également au sein d’un même pays, signe que les services d’eau sont par essence des services locaux et que l’environnement local pèse lourd dans le fonctionnement de ces entreprises.
Les relations à la clientèle sont assez médiocres, même chez les entreprises les plus efficaces. La « performance client » des compagnies des eaux en Afrique est particulièrement à la traîne au regard des critères internationaux. En général, l’alimentation en eau dure moins de 24 heures par jour. De nombreux opérateurs fournissent des services médiocres par rapport à ceux qui recourent plus largement aux branchements partagés et aux bornes-fontaines publiques. D’où des niveaux de consommation par habitant très faibles, qui sont parfois inférieurs à 15 litres par personne et par jour. De sorte que même si les tarifs ne sont pas particulièrement bas, ce faible niveau de consommation rime avec des revenus relativement modestes (surtout lorsque l’entreprise est de petite taille). Cela rend également le raccordement au réseau moins séduisant par rapport à d’autres solutions d’approvisionnement, en tout cas en termes de services rendus.
Les principaux facteurs de performance des compagnies des eaux sont liés au coût du service même si le contexte entre également en ligne de compte. On observe que l’un des principaux facteurs de la performance de ces opérateurs réside dans les économies d’échelle : la taille (population à alimenter en eau) compte mais si l’entreprise grandit trop, ce qui était un avantage devient un inconvénient. Les économies de gamme ont aussi de l’importance pour les entreprises qui fournissent plus que des services d’eau. Autre constat, lié à ces économies d’échelle et de gamme, c’est l’impact des coûts (mesurés par les coûts d’exploitation et d’entretien pour un mètre cube d’eau produite ou par la part salariale dans le total des coûts) : plus les coûts d’exploitation et d’entretien par mètre cube d’eau sont élevés, moins les performances sont bonnes. La qualité de la gestion économique dans les pays concernés influe sur la performance des services : plus elle est élevée, meilleurs sont les services.
L’extension de la couverture des services d’eau en Afrique exigera de lourds investissements qui devront être pour l’essentiel financés sur fonds publics. L’échantillon de compagnies sur lequel porte l’étude montre que le lien entre performance financière et couverture de l’alimentation en eau ne concerne que certains groupes d’entreprises, en général celles qui approvisionnent les capitales des pays. Pour les autres, la corrélation entre bonne performance financière et couverture est faible. Cela tend à prouver que, pour la plupart des services des eaux, surtout les plus petits dans les pays à faible revenu, l’amélioration des performances financières ne suffit pas à améliorer l’accès à l’eau. Il faut faire appel à des financements extérieurs. De sorte qu’il faudra faire correspondre l’extension des réseaux d’adduction d’eau aux priorités de financement du pays, alors que les investissements actuellement consentis dans ce secteur se concentrent quasi exclusivement sur l’alimentation en eau potable (en Afrique et surtout dans les pays à faible revenu, la plupart des opérateurs n’assurent aucun service d’assainissement). Avec des compagnies aux résultats globalement médiocres, le financement public devra être encadré par des critères beaucoup plus stricts de sélection des investisseurs et de hiérarchisation des priorités, puisque ces décisions détermineront pour plusieurs décennies le coût de l’exploitation et de l’entretien de ces infrastructures.
Des mesures spécifiques sont requises pour veiller à ce que l’amélioration du recouvrement des coûts ne renchérisse pas le prix des services. Les opérateurs les plus performants tendent à facturer plus cher l’eau à leurs clients. Pourtant, l’accessibilité des tarifs reste un défi important même si la plupart des compagnies des eaux en Afrique ne fournissent que de l’eau potable[1]. Dans certains cas, les opérateurs les plus performants ont profité de subventions croisées pour alléger la facture des clients résidentiels, avec parfois pour conséquence une base de clientèle totalement faussée puisque les clients non résidentiels sont partis voir ailleurs. Les subventions croisées peuvent rendre le service meilleur marché mais il faut veiller à ce que les tarifs plus élevés imposés aux clients non résidentiels ne dépassent pas le coût des solutions d’approvisionnement alternatives (comme le captage des eaux souterraines). Cela permettrait d’éviter que des clients non résidentiels décident de se débrancher du réseau d’adduction d’eau.
La disponibilité des données est vitale pour apprécier les performances et orienter la planification sectorielle. Afin que tout le monde puisse examiner la performance des services des eaux en Afrique et ailleurs, il faut impérativement disposer de données exhaustives et fiables. Pour son étude, l’équipe a pu s’appuyer sur un outil éprouvé, la trousse à outils de l’International Benchmarking Network for Water and Sanitation Utilities (IBNET). Mais même ainsi, la qualité et, surtout, l’exhaustivité des données collectées ont posé de grosses difficultés. Les taux de réponse sur des informations opérationnelles ont été faibles, les entreprises de services publics ne collectant guère de données de base sur leur performance. De nombreux professionnels sont avides de données supplémentaires, au-delà des éléments financiers et opérationnels de base qui ont été recueillis pour ce travail. Les pays dotés d’un organisme de réglementation œuvrant activement pour le développement du secteur ont souvent mis en place un suivi minimal des performances. Dans les autres cas, ce suivi est habituellement plus que parcellaire.
[1] D’une manière générale, la fourniture de services pour les eaux usées coûte nettement plus cher que la fourniture de services d’eau potable.