NAIROBI, le 12 juillet 2013. Au Kenya, le taux de mortalité infantile est en chute libre et 10 millions d’enfants sont en âge de fréquenter l’école primaire. Il s’agit donc d’un pays jeune qui dispose d’un atout important pour assurer, demain, sa prospérité économique.
Mais selon les nouveaux indicateurs de prestation de services (SDI), les autorités kenyanes vont devoir redoubler d’efforts pour améliorer la qualité de l’éducation et des soins, afin de permettre à cette génération de s’épanouir pleinement et devenir des citoyens productifs, pouvant bénéficier des opportunités économiques qui s’offrent à eux.
Les enquêtes SDI montrent que les écoliers du primaire ne bénéficient que de 2h40 de cours par jour, soit moins de la moitié de la durée officielle, fixée à 5h40. Dans les établissements de santé publique, seuls 58 % du personnel médical sont parvenus à diagnostiquer quatre des cinq affections de base comme le paludisme associé à une anémie ou une diarrhée aiguë accompagnée d’une déshydratation sévère.
Scolariser les enfants et soigner les malades ne suffit pas
« Bien sûr, scolariser les enfants et construire et équiper des centres de soins constitue une avancée notoire, mais cela ne suffit pas », estime Gayle Martin, directrice du programme SDI de la Banque mondiale pour l’Afrique subsaharienne. « Ce qui compte, au final, pour les gens comme pour le pays, c’est la qualité de l’enseignement dispensé aux élèves ainsi que celle des soins reçus par les patients ».
D’autres enquêtes montrent que les écoliers du primaire n’ont pas les compétences en lecture ou calcul qu’ils sont censés avoir acquises à cet âge. Le Kenya affiche également un taux inacceptable de mortalité maternelle en raison de complications pendant l’accouchement. Les nouveaux indicateurs SDI pointent les principales failles dans les écoles et les dispensaires qui expliquent en partie ces résultats.
Le Kenya doit préférer les investissements « immatériels » aux investissements matériels
Les indicateurs SDI montrent que le Kenya n’est pas mal loti en matière d’accès aux manuels scolaires, équipements et infrastructures. En revanche, le degré d’effort et de connaissances dont font preuve les enseignants et les prestataires de santé laisse à désirer.
Pratiquement toutes les centres de santé ont des installations sanitaires adéquates, 80 % des écoles sont suffisamment éclairées pour permettre la lecture et le nombre de manuels scolaires par élève dépasse la cible officielle de trois pour un. Sur le front des traitements maternels, la situation reste cependant problématique puisque 58 % seulement des médicaments prescrits sont disponibles dans les établissements publics.
La faiblesse du niveau d’effort des enseignants et des prestataires de santé confirme l’existence d’une marge d’amélioration en termes de gestion des ressources humaines. En effet, si les enquêtes révèlent l’absence de 29 % des prestataires publics de soins, elles montrent aussi que dans 80 % des cas les absences étaient autorisées.
De même, alors que le taux d’absentéisme des enseignants du public et du privé était pratiquement le même, les premiers avaient 50 % de chances de plus de ne pas être dans leur classe en train d’enseigner. Sur un trimestre, les élèves du public reçoivent en moyenne 20 jours d’enseignement en moins que leurs camarades du privé.
Le Kenya a également encore de gros efforts à faire sur le plan des connaissances. Dans les structures publiques de santé, les prestataires appliquent moins de la moitié (44 %) des procédures correctes pour des complications lors d’un accouchement, qu’il s’agisse de la mère ou du bébé. Parmi les enseignants du public, seuls 35 % maîtrisent les matières qu’ils enseignent. L’ancienneté et les années de formation ne sont pas corrélées à un niveau supérieur de connaissances.
Implications pour les objectifs du plan Vision 2030
Le projet de développement économique et humain du Kenya, baptisé « Vision 2030 », met l’accent sur une éducation et une prise en charge médicale de qualité pour tous. C’est de ce critère qualitatif que dépendra de fait la concrétisation des promesses affichées dans ce plan pour l’ensemble de la population, notamment tous ceux qui vivent encore sous le seuil de pauvreté.
Pour Gayle Martin, « quel que soit le pays, les services d’éducation et de santé sont toujours des sujets brûlants, chacun ayant son opinion et sa vision des choses. Mais je crois que tout le monde s’accorde sur la nécessité d’obtenir de bons résultats avec l’argent public. Et c’est là toute l’utilité de ces indicateurs. Ils contribuent à informer le débat national et à obtenir de meilleures performances pour chacun ».
Mwangi Kimenyi, chargé de cours au Brookings Institute et directeur de l’initiative pour la croissance en Afrique, se réjouit de l’amélioration des perspectives du Kenya dans les dix années à venir et de la transparence des données.
« Ces indicateurs montrent que les citoyens n’en ont pas pour leur argent en matière de santé et d’éducation. Armés de ce type d’information, les représentants de la société civile et les contribuables peuvent s’en servir pour exiger des actions concrètes et plus de transparence de la part des prestataires de services et des fonctionnaires chargés d’administrer les services publics», ajoute-t-elle.
Le projet SDI en Afrique : des données en appui aux résultats et à la redevabilité
Le principal objectif de la nouvelle initiative SDI — un programme qui couvre l’ensemble du continent africain — est de produire des données solides sur la qualité des prestations afin d’aider les citoyens à réclamer des comptes à leurs dirigeants et à leurs prestataires de services et de faire évoluer les comportements pour améliorer les résultats.
Selon Ritva Reinikka, directrice du développement humain pour la Région Afrique de la Banque mondiale, « accroître la responsabilité des personnes en charge des services d’éducation et de santé est la finalité principale des indicateurs SDI. Ces nouvelles données vont aider les gouvernements à prendre des mesures spécifiques pour améliorer les services et pour surveiller l’impact des réformes dans le temps, grâce à des enquêtes menées à intervalles réguliers ».
Les indicateurs SDI peuvent aussi renforcer l’efficacité des dépenses publiques. « Tant que vous n’avez pas identifié précisément un problème, vous êtes incapable de le résoudre », poursuit Mme Reinikka. « De nos jours, les gouvernements doivent se contenter des budgets souvent restreints dont une bonne partie est déjà allouée à l’éducation et à la santé, donc se focaliser sur ces problèmes pour dépenser l’argent plus judicieusement est un impératif majeur », souligne-t-elle.
L’initiative SDI est le fruit d’un partenariat entre la Banque mondiale, le Consortium pour la recherche économique en Afrique (CREA) et la Banque africaine de développement. Elle est financée par la fondation William et Flora Hewlett et la Banque mondiale. Par ailleurs au Kenya, les enquêtes ont bénéficié de l’appui de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et du Health Policy Project, financé par l’USAID.
Actuellement, les indicateurs SDI couvrent trois pays — le Kenya, le Sénégal et la Tanzanie — qui devraient bientôt être rejoints par le Mozambique, le Nigéria, l’Ouganda et le Togo, avant de nouveaux pays attendues en 2014.