WASHINGTON, le 3 juin 2020 — Je voudrais tout d’abord remercier l’Agence suédoise de coopération internationale pour le développement (ASDI) et le Département des affaires économiques et sociales de l’ONU d’avoir invité le Groupe de la Banque mondiale à cet important forum et de me donner l’occasion de parler des moyens de reconstruire ensemble un monde meilleur pour faire face à la pandémie de Covid-19.
Comme nous le savons tous, nous allons connaître la plus profonde récession planétaire depuis des décennies, à une échelle sans précédent. La Banque mondiale publiera la semaine prochaine son rapport sur les Perspectives économiques mondiales, qui prévoit une croissance négative en 2020 dans un grand nombre de pays – économies avancées et pays en développement.
Les populations pauvres et vulnérables sont les plus durement touchées : 73 millions de personnes sombreront dans l’extrême pauvreté, dont près de la moitié en Asie du Sud et un tiers en Afrique subsaharienne, et 175 millions d’autres seront acculées à la pauvreté ; 80 % des 1 600 millions de personnes qui travaillent dans le secteur informel à travers le monde seront touchées ; et 1,5 milliard d’enfants n’iront pas à l’école.
La crise menace donc de réduire à néant des décennies de progrès économique et de recul de la pauvreté. Les perturbations actuelles dans le domaine du commerce et de l’éducation risquent de conduire à une augmentation du chômage et une perte de capital humain, surtout chez les femmes et les filles.
Il ne peut y avoir de redressement durable et inclusif sans coordination mondiale et un appui résolu en faveur du développement. Le déficit de financement des pays en développement sera exceptionnellement élevé, et le restera probablement à moyen terme.
Il est urgent que nous renforcions tous notre soutien. Le Groupe de la Banque mondiale a agi sans attendre, et à grande échelle. La première phase de son programme d’aide de 14 milliards de dollars, qui vise à fournir une aide sanitaire et économique d’urgence, est actuellement déployée dans plus de 100 pays en développement, où vivent plus de 70 % de la population mondiale.
Nous prévoyons d’engager jusqu’à 160 milliards de dollars de financements au cours des 15 prochains mois. Sur ce total, l’IDA, l’institution de la Banque mondiale dédiée aux pays les plus pauvres, fournira 50 milliards de dollars sous forme de dons et de prêts à des conditions très libérales.
Ces ressources seront utilisées avant tout pour la riposte immédiate, qui vise à protéger les populations pauvres et vulnérables grâce à des programmes de protection sociale tels que des programmes de transfert monétaire modulables faisant appel à la technologie numérique ; des mesures d’aide au revenu et de renforcement de la sécurité alimentaire ; et des programmes de protection de l’emploi et des entreprises, notamment les PME.
À moyen terme, l’accent sera mis sur le redressement. Il s’agira de renforcer les politiques et les institutions pour remettre les pays sur une trajectoire de croissance, de création d’emplois et de réduction de la pauvreté. Cette phase permettra de reconstruire sur la base de trois principes : résilience, durabilité et inclusivité. Cela pourrait consister à construire des infrastructures à faible émission de carbone, à mettre en place des systèmes de santé et de sécurité alimentaire plus résilients, et à supprimer les subventions qui créent des distorsions, comme les subventions aux combustibles et à l’agriculture. C’est une excellente occasion pour nous de collaborer avec les investisseurs privés, comme cette alliance, pour réfléchir aux meilleurs moyens d’utiliser nos ressources pour assurer une relance verte et bleue grâce à la technologie et à l’innovation.
Le déficit de financement pour faire face aux effets de la pandémie sera important. Le Groupe de la Banque mondiale a pris un certain nombre de mesures à cet égard. Tout d’abord, il s’est joint au FMI pour demander à tous les créanciers bilatéraux publics de suspendre le remboursement de la dette des pays IDA, dans le cadre de ce qui est aujourd’hui une initiative du G20. Cela donnera aux 35 pays bénéficiaires l’espace budgétaire nécessaire pour mettre en œuvre des programmes qui permettent d’atténuer l’impact économique et social de la crise. Il reste toutefois encore beaucoup à faire sur le plan de la viabilité de la dette et des finances publiques, et pour attirer les capitaux privés et les investissements. Sur ce dernier point, je ferai trois observations.
Premièrement, je voudrais mentionner le travail essentiel accompli par la Société financière internationale. Karin Finkelston en reparlera tout à l’heure. L’IFC a joué un rôle fondamental dans notre programme de riposte, notamment dans les pays en situation de fragilité ou de conflit. Ils sont généralement les premiers à être exclus des marchés financiers et des chaînes d’approvisionnement mondiales en cas de crise. Les sorties de capitaux privés des marchés émergents se chiffrent à plusieurs milliards de dollars (100 milliards de dollars le premier mois de la pandémie), ce qui rappelle toute l’importance du travail fait par les institutions de financement du développement et les investisseurs partageant les mêmes idées. Nous nous réjouissons de pouvoir collaborer davantage avec des acteurs du secteur privé comme tous ceux ici présents pour promouvoir les innovations financières telles que les financements mixtes. À titre d’exemple, je citerai un nouveau programme d’infrastructure en Colombie, qui vise à construire des routes sûres et à renforcer les chaînes d’approvisionnement.
Deuxièmement, l’un des grands défis à relever par les investisseurs –– comme beaucoup d’entre vous ici présents – sur les marchés émergents est l’absence d’un cadre stratégique propice aux investissements à long terme et le manque de possibilités de placement.
S’agissant du cadre stratégique, le programme de redressement auquel travaille le Groupe de la Banque mondiale avec nos pays clients offre la possibilité de suivre une trajectoire de développement inclusif et à faible intensité de carbone, moyennant notamment la réforme du secteur énergétique et d’autres secteurs ainsi que la création de possibilités d’emploi pour tous. On peut également citer l’action menée par le G20 pour accroître la contribution des investisseurs institutionnels à la réalisation des objectifs de développement durable, comme le projet visant à considérer l’infrastructure comme une catégorie d’actifs.
S’agissant des possibilités de placement, ici encore nous espérons que le processus de redressement et de reconstruction « en mieux » permettra de développer les possibilités d’investissement, notamment dans les infrastructures de transport à faible émission de carbone et les énergies renouvelables. Il faudra également réfléchir aux moyens de financer les projets qui ont un grand impact sur le capital social et humain.
Nous espérons aussi pouvoir utiliser le Mécanisme mondial de financement des infrastructures, qui est hébergé par la Banque mondiale et dont le Conseil consultatif compte plusieurs membres de la GISD qui aident à créer des réseaux de promotion des infrastructures viables intéressantes pour les investisseurs privés.
Ce mécanisme, qui fournit déjà un appui à plus de 90 programmes et projets d’infrastructure au stade de la préparation, offre aux investisseurs comme vous des possibilités de placement à risque réduit, fondées sur des analyses rigoureuses, sur des mesures de protection environnementale, sociale et en matière de gouvernance, et sur un partage équitable des risques. Ce mécanisme peut servir à identifier des infrastructures viables durant la phase de redressement.
Troisièmement, il s’agit d’aider à mobiliser les capitaux nécessaires. La Banque mondiale utilisera sa « puissance de feu », y compris les fonds qu’elle peut décaisser ou mobiliser par effet de levier. Depuis plus de 70 ans, la Banque mondiale mobilise des investissements privés pour promouvoir le développement durable sur les marchés financiers internationaux, en émettant des obligations BIRD notées AAA. L’IDA, notre institution dédiée aux pays les plus pauvres, a eu accès aux marchés financiers pour la première fois en 2018, offrant aux investisseurs la possibilité d’investir dans les pays à faible revenu.
En avril 2020, nous avons émis plus de 15 milliards de dollars d’obligations en une semaine, pour attirer l’attention sur l’objectif de développement durable no 3 [Bonne santé et bien-être]. À l’occasion de ces émissions obligataires, nous avons levé 8 milliards de dollars auprès de 200 investisseurs, un record pour notre institution. C’est la plus importante émission obligataire en dollars réalisée par une institution supranationale.
Cette émission était coorganisée par l’ASDI, et nous avons à présent émis une obligation de 11,5 milliards de couronnes suédoises pour le développement durable.
Nous remercions les membres de la GISD qui ont contribué à la mise au point d’instruments de financement du développement et de la durabilité.
Étant donné l’ampleur du déficit de financement de nombreux pays en développement et leur faible espace budgétaire, ils auront besoin d’investissements privés durant la phase de redressement. Il sera important de faire appel à la participation du secteur privé pour fournir certains services publics et infrastructures. C’est une occasion de reconstruire en mieux, et qui est commercialement viable.
Pour conclure, je tiens à remercier les membres de la GISD, l’ASDI et l’ONU d’avoir réuni le secteur privé et la communauté du développement. J’attends avec intérêt vos réflexions et impressions.
Merci de votre attention.