Merci, Strobe.
Peut-être l’ignorez-vous, mais Strobe et moi-même sommes tous deux originaires du Midwest.
Il vient de Dayton, dans l’Ohio, et j’ai grandi à Muscatine, une petite ville de l’Iowa.
Un grand nombre de personnes auprès desquelles j’ai grandi vivent toujours là-bas.
Seulement 10 % de mes camarades de classe sont allés à l’université.
La plupart d’entre eux ont quitté l’école pour aller travailler à l’aciérie locale, à l’usine ou dans l’exploitation agricole familiale en croyant y trouver un emploi sûr pour le restant de leur vie. Tandis qu’ils achetaient leur première maison et leur première voiture, ils se moquaient de certains d’entre nous en les traitant d’« étudiants professionnels ».
Ces dernières années, les vagues de la mondialisation ont déferlé sur de nombreuses villes des États-Unis comme Muscatine, dont elles ont modifié le tissu social et la qualité de vie.
La mécanisation et l’arrivée de la technologie ont perturbé la production industrielle traditionnelle, bouleversé l’emploi manuel et fait disparaître des tâches que des familles accomplissaient depuis des générations.
Cette tendance n’est pas propre aux États-Unis : elle touche les populations d’autres pays partout dans le monde. Lors du G-20 auquel j’ai assisté en Chine, de nombreux dirigeants internationaux ont évoqué l’accumulation de plus en plus inquiétante de sombres nuages porteurs d’isolationnisme et de protectionnisme.
Ces phénomènes se manifestent alors même que nous avons plus que jamais besoin de renforcer la coopération, l’intégration économique et les partenariats pour permettre à l’économie mondiale de renouer avec des taux plus élevés de croissance économique solidaire et durable.
L’ouverture et la collaboration entre les pays ont fortement contribué à ouvrir une période sans précédent de croissance et de réduction de la pauvreté. Depuis 1990, plus d’un milliard d’êtres humains ont échappé à l’extrême pauvreté. Des pays comme la Chine ont réalisé de véritables avancées vers l’élimination de ce fléau grâce aux échanges commerciaux et à l’ouverture de leur industrie nationale à la concurrence mondiale. Les pays qui travaillent ensemble, notamment ceux qui commercent entre eux, ont accompli des progrès durables.
Autrement dit, nous avons fait des progrès.
Dans le même temps, toutefois, la plupart des régions du monde sont balayées par de puissants vents contraires, tels que les coups assénés par la baisse des cours des produits de base et la stagnation des échanges internationaux à une économie mondiale en perte de vitesse.
Selon les dernières projections, la croissance mondiale devrait atteindre 2,4 % en 2016. L’investissement est atone et les perspectives d’exportations se détériorent, en particulier au détriment des exportateurs de produits de base qui se heurtent à une conjoncture particulièrement difficile.
Or, des informations encore plus inquiétantes nous parviennent.
Le nombre de pays en développement en récession est le plus élevé depuis 2009. Nos dernières prévisions concernant l’Afrique subsaharienne font état d’un taux de croissance de seulement 1,6 % en 2016, bien inférieur au taux de croissance démographique évalué à environ 3 %.
La croissance de la productivité du travail — essentielle à la progression des salaires réels — est négative aux États-Unis, proche de zéro dans la zone euro et même en perte de vitesse dans les pays d’Asie de l’Est.
Nous savons aussi qu’à l’horizon 2030 près de la moitié des populations extrêmement pauvres vivront dans des pays fragiles et touchés par des conflits.
Nous nous trouvons dans une période peu ordinaire.
Nous ne pouvons donc pas nous contenter de mesures ordinaires.
À mon sens, c’est précisément pourquoi le Groupe de la Banque mondiale existe.
Au sein du Groupe de la Banque mondiale, nous pensons tous avoir l’énorme responsabilité de promouvoir les mesures novatrices et créatives dont le monde a précisément besoin — à l’échelle requise pour relever les défis.
Lorsque j’ai pris mes fonctions à la Banque en 2012, j’ai travaillé avec notre Conseil des Administrateurs à l’établissement de deux objectifs clairement définis.
Le premier consiste à mettre fin à l’extrême pauvreté en ramenant à un niveau maximum de 3 % la proportion d’êtres humains vivant avec moins de 1,9 dollar par jour.
Le second vise à promouvoir une prospérité partagée en favorisant la croissance des revenus des 40 % les plus pauvres de la population de tous les pays en développement.
Je pense qu’il est crucial de fixer des objectifs mesurables et assortis d’échéances pour bien cibler nos activités et unir les institutions du Groupe de la Banque mondiale autour d’une mission commune.
Nous avons réalisé beaucoup de choses au cours des quatre dernières années — grâce au dévouement du personnel de la Banque.
Nous avons posé un grand nombre de nouveaux jalons : l’octroi de prêts et la réalisation d’investissements d’un montant record ; l’introduction d’innovations financières visant à aider les plus pauvres et à résoudre des problèmes précis tels que les pandémies ; la mise au point d’un mécanisme de financement pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord dont le potentiel est tel qu’il est maintenant développé à plus grande échelle à travers le monde ; les grandes avancées réalisées dans le cadre du programme d’action concernant les Biens publics mondiaux, s’agissant notamment de nos activités dans le domaine du changement climatique.
Je suis tout particulièrement fier de trois innovations financières qui seront essentielles à la résolution des problèmes les plus graves :
Le Mécanisme de financement d’urgence en cas de pandémie, le Mécanisme de financement concessionnel mondial et notre décision d’utiliser les fonds propres de l’IDA — notre institution dédiée aux pays les plus pauvres — pour mobiliser des ressources sur les marchés financiers au profit de ces pays. Je reviendrai plus en détail sur ces innovations.
Ces réalisations sont importantes.
Toutefois, les conclusions de notre premier rapport annuel sur la « Pauvreté et la prospérité partagée », qui a pour objet de suivre les progrès accomplis vers notre double objectif, montrent clairement qu’il sera extrêmement difficile d’atteindre ces objectifs.
La bonne nouvelle est que l’extrême pauvreté continue de diminuer rapidement à l’échelle mondiale et que de nombreux pays ont réussi à relever les revenus des 40 % les plus pauvres de leur population. Pour autant, nous devrons accroître considérablement nos efforts en raison des crises et chocs multiples auxquels nous faisons face à l’échelle planétaire.
Les progrès sont encore trop lents.
Notre rapport montre aussi que les inégalités de revenu ont diminué entre tous les peuples du monde et que les inégalités sont en recul au sein de la population de nombreux pays, riches ou pauvres. Pour autant, le niveau d’inégalité est encore beaucoup trop élevé à l’échelle tant mondiale que nationale, ce qui entrave la croissance et engendre de l’instabilité.
Cela signifie que nous devons non seulement concentrer nos efforts sur la croissance, mais aussi poursuivre notre action en faveur de la réduction des inégalités : nous devons rendre la croissance plus équitable.
Le rapport définit des stratégies de lutte contre les inégalités que même les nations les plus pauvres peuvent mettre en œuvre — que ce soit au moyen de transferts monétaires conditionnels, en favorisant l’accès des agriculteurs aux marchés ou grâce à l’électrification des zones rurales.
La leçon à retenir est que les inégalités n’ont rien d’un mystère insoluble. Les politiques en faveur de l’égalité ne sont pas des produits de luxe et peuvent fonctionner dans n’importe quel pays.
Si nous voulons mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici à 2030, nous devons cibler nos efforts. Nous devons faire preuve de plus d’efficacité dans les États fragiles et touchés par un conflit.
Il faut rendre la croissance économique plus robuste et plus inclusive. Il faut accroître le volume et l’efficacité des investissements dans le capital humain.
Comment allons-nous y parvenir ? C’est ce dont j’aimerais vous parler aujourd’hui.
Pour nous, l’essentiel est de mettre fin à l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée.
Nous atteindrons ces objectifs de trois manières :
Premièrement, en favorisant l’accélération d’une croissance économique solidaire et durable
Deuxièmement, en investissant dans le capital humain
Troisièmement, en renforçant la résilience aux chocs et menaces planétaires.
En résumé : deux objectifs et trois moyens de les atteindre.
PREMIÈREMENT, nous devons nous montrer beaucoup plus créatifs pour promouvoir un type de croissance adéquat.
Vous savez, j’occupe mes fonctions depuis quatre ans et j’attends toujours ma première révision à la hausse des prévisions de croissance.
Nous savons que notre priorité numéro un doit être de stimuler la croissance dans les pays clients de notre organisation.
Nous savons aussi que les fondamentaux ne changent pas.
Afin de promouvoir la croissance à long terme, nous poursuivrons notre collaboration avec les pays pour leur permettre de recouvrer suffisamment de recettes, de dépenser leurs ressources à bon escient, d’adopter des politiques favorables aux investissements du secteur privé et d’améliorer la gouvernance dans son ensemble.
Pour la croissance, l’infrastructure est bien sûr un goulet d’étranglement majeur. Ces dernières années, la demande d’investissements en infrastructure a largement dépassé le montant des ressources disponibles. Environ 1,2 milliard d’êtres humains n’ont pas l’électricité.
Au moins 660 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable ; environ un milliard d’habitants des pays à faible revenu sont privés d’accès à une route praticable en toute saison. Certes, plus de trois milliards de personnes ont maintenant accès à l’Internet, mais plus de 4 milliards (60 % de la population mondiale, vivant essentiellement dans des pays en développement) n’y ont pas accès.
Dans les pays émergents et à faible revenu, on estime que le déficit annuel de financement des infrastructures s’élève à 1 500 milliards de dollars. Or, nous savons que l’aide au développement traditionnelle ne peut à elle seule répondre à cette demande. Ce déficit d’investissement explique pourquoi nous acceptons volontiers de nouveaux acteurs tels que la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et la Nouvelle Banque de développement.
Pour autant, en dépit des ressources qu’apportent ces institutions, les investissements de l’ensemble des banques multilatérales de développement représentent seulement 5 à 10 % des dépenses consacrées chaque année aux infrastructures dans les pays en développement (soit entre 50 et 75 milliards de dollars).
Force est de constater que nos activités n’ont pas atteint une envergure suffisante pour avoir l’impact nécessaire sur la croissance des pays en développement.
Vous savez, nous parlons depuis de nombreuses années de la nécessité de renforcer la coopération entre le secteur public et le secteur privé dans le domaine des investissements d’infrastructure. Je pense que le temps est venu de parler beaucoup plus sérieusement de la façon dont nous pouvons résolument poursuivre cet objectif.
Nous avons une énorme occasion à saisir.
Il existe des milliers de milliards de dollars de fonds qui rapportent actuellement très peu et sont en quête de débouchés plus rentables, tandis que les partenariats public-privé dans les marchés émergents pourraient doper considérablement la croissance économique mondiale.
Nous devons donc monter des projets qui attirent ces fonds vers les pays émergents et même dans les pays les plus pauvres.
Nous savons que toutes les institutions qui composent le Groupe de la Banque mondiale doivent collaborer plus étroitement pour mobiliser l’investissement privé dans les secteurs et les pays les plus difficiles. Nous devons faire bien plus pour maîtriser certains risques qui limitent la participation du secteur privé dans ces pays.
Je veux que vous sachiez qu’à l’avenir nous déploierons bien plus d’énergie à mettre sur la table des produits financiers et des instruments spécifiques à même de réduire les risques. Ce faisant, nous pensons pouvoir ouvrir de nouveaux débouchés et encourager les investisseurs à s’engager dans des pays et des projets qu’ils n’auraient jamais envisagés auparavant.
Lorsque l’IFC, notre société financière internationale, investit dans des projets en faveur des pays les plus pauvres, voire dans des États fragiles, souvent sa seule présence permet de réduire les risques que l’on croit associés à ces projets et d’attirer un plus grand nombre d’investisseurs. Si nous parvenons à mettre à disposition des ressources concessionnelles sous la forme de capital-risque, nous parviendrons à réduire davantage les risques. Grâce à ses produits d’assurance contre le risque politique ou d’amélioration de la cote de crédit, la MIGA, notre agence multilatérale de garantie des investissements, peut réduire encore plus les risques. En outre, nous pouvons dès à présent employer les capitaux propres de l’IDA pour atténuer les risques de change dans les pays où les solutions de couverture sont rares.
Nous sommes déterminés à fournir cette gamme complète de produits d’une façon concertée, plus systématique et harmonieuse, en vue d’attirer des investissements privés bien plus conséquents dans les pays clients de notre institution de façon à combler le déficit de financement des projets d’infrastructure.
Sans toutefois nous rapprocher des niveaux que nous aimerions atteindre, nous avons déjà eu quelques expériences très positives en matière de mobilisation du secteur privé. L’aéroport d’Amman, en Jordanie, montre comment un financement public-privé peut permettre de réaliser des projets d’infrastructure qui ont d’énormes avantages économiques pour le pays. Pour ce projet d’un milliard de dollars, l’idée de départ de la Jordanie était de contracter un emprunt souverain pour la construction de l’aéroport et de faire appel à des agents de l’État pour en assurer l’exploitation.
Nous savons tous qu’un tel montage aurait été ardu et coûteux. Toutefois, sur la recommandation des services de la Banque mondiale travaillant avec les autorités, les dirigeants jordaniens ont changé de cap et demandé à l’IFC de fournir l’investissement initial d’un montant de 270 millions de dollars.
L’opérateur retenu verse une redevance annuelle à la Jordanie pour exploiter l’aéroport. Ainsi, le pays perçoit 54 % du revenu net de l’aéroport et gagne de l’argent chaque année. Ces neuf dernières années, sans mettre un centime dans le projet, la Jordanie a perçu plus d’un milliard de dollars de recettes.
Cela dit, ce ne sont pas seulement les pays à revenu intermédiaire qui peuvent tirer profit des mécanismes public-privé de financement des travaux d’infrastructure.
Scaling Solar, notre programme de développement du solaire à grande échelle, aide des pays comme le Sénégal et la Zambie à mettre au point des politiques et des procédés bien définis pour attirer l’investissement et définir de nouvelles normes tarifaires pour l’Afrique. Il s’agit d’un guichet unique dans le cadre duquel l’IFC et la Banque mondiale fournissent tout un éventail de produits allant de formulaires idoines à des financements pour afin de recevoir les offres les moins-disantes possibles. L’appel d’offres récemment lancé en Zambie a marqué un tournant en Afrique subsaharienne, l’offre la moins-disante étant de 4,7 centimes le kilowatt-heure et le prix global à peine supérieur à 6 centimes par kilowatt-heure. La demande de participation au programme de développement du solaire a explosé, et nous intervenons dans un nombre croissant de pays africains.
Nous continuons à militer pour l’accroissement des investissements dans les infrastructures en vue de stimuler la croissance, mais nous savons également que nous devons réfléchir d’une manière plus critique au type d’infrastructures dont les économies auront besoin à l’avenir.
Nous savons tous que la technologie est en train de transformer radicalement notre monde.
Le modèle économique traditionnel qui va d’une agriculture de production à une industrie manufacturière légère puis à une industrialisation à grande échelle ne convient peut-être pas à tous les pays en développement. Dans une grande partie de l’Afrique, il y a des chances que la technologie bouleverse ce schéma de développement. Selon des études fondées sur des données de la Banque mondiale, la proportion d’emplois menacés par l’automatisation est de 69 % en Inde, 77 % en Chine et jusqu’à 85 % en Éthiopie.
Si ces prévisions sont avérées, nous devons chercher à comprendre les profils de croissance économique qui s’offriront à ces pays, puis adapter en conséquence notre approche des infrastructures. De plus, compte tenu du recours accru aux investissements du secteur privé, nous devrons redoubler de vigilance pour que les privatisations n’entraînent pas l’exclusion des catégories pauvres et marginalisées. Notre collaboration avec le secteur privé doit être ancrée dans les deux valeurs fondamentales dont nous avons fait notre objectif prioritaire : mettre fin à l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée.
Si la technologie transforme fondamentalement les types d’emplois disponibles dans les pays en développement, nous devrons mettre davantage l’accent sur notre deuxième axe stratégique — investir dans les ressources humaines — dans le cadre de la poursuite de notre double objectif.
J’ai appris que les pays en développement, lorsqu’ils doivent décider comment utiliser les ressources du Groupe de la Banque mondiale, ont tendance à privilégier les investissements dans l’énergie, les technologies de l’information, les routes et les aéroports, ce que beaucoup appellent « l’infrastructure lourde ». Cela se comprend, et c’est précisément la raison pour laquelle nous devons réussir à accroître les ressources allouées à l’infrastructure en attirant les financements du secteur privé.
Sans un surcroît de capitaux, nous aurons du mal à convaincre les pays de porter leurs investissements dans les ressources humaines au niveau que nous jugeons nécessaire pour former une main-d’œuvre à même de soutenir la concurrence dans l’économie de demain.
Partout en Asie de l’Est, nous avons constaté que l’investissement dans le capital humain a une incidence énorme sur la capacité d’un pays à développer son économie sans faire d’exclus.
Cependant, il ne s’agit pas uniquement d’accroître les dépenses d’éducation. Le niveau des acquis scolaires est lui aussi extrêmement important, car ce que les enfants apprennent à l’école est un excellent indicateur prévisionnel de la croissance économique.
Une étude fort intéressante montre que si, au fil du temps, les résultats scolaires avaient été aussi élevés en Amérique latine qu’en Asie de l’Est, l’Amérique latine aurait pu égaler les taux de croissance bien plus élevés de l’Asie de l’Est.
On ne peut guère exagérer l’urgente nécessité d’investir davantage et plus efficacement dans l’être humain. Je suis convaincu qu’un tel investissement déterminera l’avenir même des nations.
Cela est particulièrement vrai si l’on considère l’importance de l’investissement dans la petite enfance. Des millions de jeunes enfants n’atteignent pas leur plein potentiel pour n’avoir pas reçu une alimentation équilibrée, pour avoir manqué d’activités d’éveil et de possibilités d’apprentissage, et pour avoir vécu dans des conditions éprouvantes.
La réalisation d’investissements durant les premières années de la vie des habitants d’un pays améliorera sensiblement la capacité de ce pays à soutenir la concurrence. On constate tous les jours que le prix à payer pour ne pas doter les enfants des compétences de base atteint des niveaux inacceptables.
Les États qui n’investissent pas à un stade précoce dans une main-d’œuvre qualifiée, productive et en bonne santé compromettent leur croissance économique actuelle et future.
Le problème est incommensurable. À l’échelle mondiale, un quart des enfants de moins de cinq ans — soit 159 millions d’enfants — souffre d’un retard de croissance. Cela signifie qu’ils ne disposent littéralement pas du même nombre de liaisons neuronales que les autres enfants du même âge qui ne sont pas atteints de la même affection. En Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, cette proportion est supérieure à 36 %. Même dans des pays qui affichent des taux de croissance économique relativement appréciables comme l’Indonésie, l’Éthiopie et le Guatemala, plus d’un tiers des enfants présentent un retard de croissance. Et près de la moitié de la catégorie des trois à six ans n’a pas accès à l’enseignement préscolaire.
La dure réalité est que les pays ne peuvent embrasser un avenir d’une plus grande complexité technologique et plus exigeant sur le plan numérique alors que 40 % de leur main-d’œuvre est incapable de soutenir la concurrence. Nous devons donc les aider à comprendre que l’investissement dans le capital humain est aussi essentiel que l’investissement dans les infrastructures lourdes s’ils veulent véritablement stimuler leur croissance économique et faire face à la concurrence à court, moyen et long terme.
Nous devons amener les dirigeants à comprendre que ces investissements contribueront non seulement à promouvoir une croissance économique au bénéfice de tous, mais aussi à construire le socle social qui servira de rempart contre l’instabilité, la violence et les conflits.
Je pense pour ma part que nous devons élever nos attentes, aussi bien en ce qui concerne la quantité que le volume des investissements dans la santé, l’éducation et les compétences. Si nous ne le faisons pas, et si nous ne le faisons pas rapidement, nous devrons nous attendre non seulement à une faible croissance économique, mais également à délaisser de larges groupes de population qui vivent dans des pays dépourvus d’emplois traditionnels à faible niveau de compétence et qui sont souvent, malgré eux, simplement incapables d’affronter la concurrence.
Un tel scénario serait propice à de futures crises — que nous pouvons difficilement nous permettre. Un des thèmes constamment évoqués durant la réunion des dirigeants du G-20 touchait d’ailleurs au fait que nous vivons à une époque caractérisée par un chevauchement de crises multiples.
Le nombre de réfugiés atteint des sommets historiques, le climat est menacé et nous devons faire face à la perspective de pandémies qui pourraient coûter des milliers de millions de dollars et emporter des millions de vies.
Je suis convaincu que le Groupe de la Banque mondiale peut contribuer grandement à renforcer la capacité des pays en développement et de la planète tout entière à faire face à ces chocs multiples.
Notre troisième axe stratégique consiste donc à développer considérablement notre action en faveur du renforcement de la résilience des pays qui figurent parmi nos clients face à certains des chocs les plus graves qui menacent de compromettre des décennies de progrès dans la lutte contre la pauvreté.
Actuellement, près de 65 millions de personnes ont dû quitter leur foyer, parmi lesquelles 21 millions de réfugiés. Quatre-vingt-dix pour cent de ces personnes vivent dans des pays en développement. Sans accompagnement, les personnes déplacées sont confrontées à la précarité et la marginalisation, et mettent en péril les progrès accomplis au plan du développement par les communautés hôtes.
Aux souffrances humaines viennent s’ajouter les pressions énormes exercées sur les ressources des pays d’accueil déjà confrontés à des difficultés économiques.
Aujourd’hui, les réfugiés représentent respectivement près de 20 % et 10 % de la population totale du Liban et de la Jordanie.
La communauté mondiale doit une fière chandelle à ces pays qui ont bien voulu ouvrir leurs frontières et porter assistance à ceux qui en avaient besoin.
C’est la raison pour laquelle le Groupe de la Banque mondiale s’est engagé à les aider, non seulement à faire face à la crise actuelle des réfugiés, mais aussi à construire les infrastructures dont ils auront besoin pour développer leurs économies dans l’avenir.
À cet effet, nous avons dû repenser les modalités d’emploi des financements concessionnels. S’agissant de notre action face à la crise des déplacements involontaires, nous en sommes arrivés à la conclusion que les financements concessionnels devraient suivre les réfugiés et non pas être répartis simplement sur la base du RNB par habitant.
Lors des Assemblées annuelles de l’année dernière à Lima, nous avons procédé au lancement d’un nouveau mécanisme de financement pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord afin de permettre à la Jordanie et au Liban d’accéder à des prêts peu onéreux et à des dons.
Récemment, à l’ONU, nous avons annoncé la création du Mécanisme de financement concessionnel mondial destiné aux pays à revenu intermédiaire, qui mobilisera environ un milliard de dollars sous forme de dons au cours des cinq prochaines années au profit de la Jordanie et du Liban, ainsi que 500 millions de dollars de dons supplémentaires pour aider d’autres pays à faire face aux futures crises de réfugiés partout où elles éclateront, notamment dans les pays à revenu intermédiaire
Nous combinerons ces contributions des bailleurs de fonds pour fournir au bout du compte 4,5 à 6 milliards de dollars de financements concessionnels.
La décision d’utiliser des financements concessionnels pour faire face à la crise des réfugiés soulève d’autres questions sur la démarche que nous adoptons pour apporter notre concours aux pays à revenu intermédiaire.
C’est exactement le type de débat que le Mécanisme de financement concessionnel mondial porte à notre attention.
Les règles du jeu sont en train de changer.
Permettez-moi maintenant d’évoquer une autre menace mondiale, le changement climatique, contre laquelle nous devons également changer d’approche.
L’Accord de Paris est le fruit d’un effort collectif extraordinaire. Plus de 170 pays l’ont signé et le nombre de ratifications nécessaires pour le rendre juridiquement contraignant est en passe d’être atteint.
Durant le processus de la COP-21, nous avons clairement défini notre ambition commune. Nous avons quitté la réunion avec des ambitions supérieures à celles que nous nourrissions en arrivant. Nous avons convenu en effet d’essayer de maintenir le réchauffement mondial en dessous de 1,5°C plutôt que de le limiter à 2°C.
L’ambition est certes louable, mais quelques données concrètes m’inquiètent.
En examinant tout simplement la température du mois d’août 2016, on constate qu’elle est très près de dépasser de 1,5°C les moyennes historiques. Le régime du réchauffement climatique est tel que les 16 derniers mois consécutifs ont été les 16 mois les plus chauds jamais enregistrés.
Le niveau des mers augmente plus vite qu’on ne l’avait imaginé.
Les cyclones et les typhons changent de trajectoire.
Et comme je l’ai dit par le passé, un grand nombre des habitants les plus pauvres de la planète sont désormais les plus exposés aux phénomènes météorologiques extrêmes alors que leur contribution aux émissions de carbone dans l’atmosphère est infime.
Dure est la réalité. Notre planète est gravement menacée, mais notre réponse n’est pas à la hauteur de cette menace.
Durant mes études de médecine, j’ai appris qu’il faut procéder par priorité dans une salle d’urgence si des vies sont en danger, c’est-à-dire intervenir d’abord où et quand cela est le plus nécessaire. Nous devons procéder par priorité et déterminer les mesures les plus urgentes à prendre pour éviter une évolution désastreuse de la situation climatique.
La victoire politique remportée à la COP-21 nous a conduits jusqu’ici.
Toutefois, après l’avoir célébrée, nous devons maintenant retrouver toute notre lucidité pour nous atteler à la tâche du financement des initiatives destinées à maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 1,5°C et travailler aux mesures d’incitation à la mise en œuvre de ces initiatives.
Je pense que nous devons maintenant prendre trois mesures, qui peuvent modifier considérablement le cours du réchauffement mondial :
- Tout d’abord, l’élimination progressive des hydrofluorocarbures (HFC) pourrait réduire le réchauffement de 0,5°C d’ici la fin du siècle. Nous devons orienter des financements vers les pays qui s’engagent à éliminer progressivement les HFC et à accroître l’efficacité énergétique.
- La deuxième grande mesure consiste à ralentir la croissance des centrales à charbon, en particulier en Asie. Le programme de développement du solaire que j’ai évoqué est une parfaite illustration du changement radical qu’une action rapide peut apporter au bouquet énergétique, même dans les pays les plus pauvres.
- Et, troisièmement, si nous devons mobiliser des financements privés en faveur de l’action climatique, le système financier doit être adapté pour évaluer les risques climatiques et les opportunités dans ce domaine : en d’autres termes, nous avons besoin d’un secteur financier plus vert.
La réalisation des engagements de Paris a un coût, estimé à des milliers de milliards de dollars. Nous devons aider les pays à gérer leur transition énergétique vers les énergies renouvelables, et dégager les fonds nécessaires.
Alors que s’ouvrent cette semaine les Assemblées annuelles du Groupe de la Banque mondiale, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour promouvoir une action immédiate à grande échelle contre le changement climatique, animé en cela par un nouveau sentiment d’impatience et d’urgence.
Nous devons agir maintenant, sinon l’objectif de 1,5°C deviendra rapidement irréalisable.
Enfin, nous devons mieux nous préparer à la menace des pandémies.
La crise d’Ébola et le virus Zika nous ont rappelé une fois de plus que nous ne sommes pas préparés à des pandémies.
Si une pandémie aussi rapide et meurtrière que la grippe espagnole de 1918 nous frappait aujourd’hui, elle pourrait provoquer des dizaines de millions de décès et des pertes économiques pouvant aller jusqu’à 5 % du PIB mondial, soit plus de 3 000 milliards de dollars.
Parce que les pandémies affectent généralement les pauvres de manière disproportionnée, leur maîtrise est encore plus cruciale dans le contexte des efforts que déployons pour mettre fin à l’extrême pauvreté.
Ébola a déclenché un train de mesures qui nous rapprochent du niveau de préparation souhaité. En cherchant à comprendre pourquoi nous avons attendu si longtemps pour fournir des ressources à l’appui de la lutte contre Ébola, nous avons commencé à réaliser que nous avions besoin d’un mécanisme automatique de décaissement de fonds qui nous permette de stopper les pandémies le plus tôt possible.
Nous avons donc créé un instrument entièrement nouveau d’assurance contre les pandémies financé par une obligation entièrement nouvelle axée sur les pandémies.
L’idée nous est venue des innovations que nous avons apportées dans la gestion des risques de catastrophe, et nous essayons maintenant de voir si nous pouvons utiliser ces instruments pour atténuer d’autres types de risques.
L’une des plus grandes inégalités dans le monde est l’inégalité d’accès à l’assurance. Nous avons la responsabilité de mettre ces outils financiers à la disposition d’un plus grand nombre de personnes démunies.
Je tiens à préciser que le rôle du Groupe de la Banque mondiale n’est pas d’être le premier organisme d’intervention dans le monde, participant directement à la lutte contre les pandémies ou à l’aide humanitaire. Son rôle est d’intervenir en amont en apportant des instruments financiers innovants qui peuvent réduire la probabilité que des catastrophes se produisent.
Il n’est pas possible de changer l’intensité d’une éruption volcanique ou la magnitude d’un séisme grâce à une intervention précoce, mais il est possible de changer l’ampleur des pandémies.
Je suis à la tête d’une organisation extraordinaire.
Elle a été créée il y a plus de 70 ans, dans un autre monde, pour faire face à des problèmes d’un autre siècle.
Durant mon premier mandat de président, nous nous sommes employés à transformer le Groupe de la Banque mondiale en une organisation apte à s’attaquer aux problèmes de ce siècle avec les outils de ce siècle.
Aujourd’hui, j’ai exposé ce qui à mon sens est la raison d’être de notre institution. Si le Groupe de la Banque mondiale n’existait pas, il faudrait l’inventer.
Mais il existe, et nous sommes prêts et aptes à relever les défis les plus complexes auxquels le monde est confronté.
Si nous voulons stimuler la croissance économique au profit des pays les plus pauvres du monde, nous devons nous poser la question : notre action est-elle utile ?
Si nous voulons consacrer aux êtres humains des investissements dont nous savons qu’ils sont essentiels à la compétitivité des pays, notre action fait-elle la différence ?
La COP-21 a débouché sur l’un des accords les plus importants et les plus ambitieux du monde. Mais en quoi est-il utile si nous ne commençons pas à en faire bon usage ?
Face à toutes les menaces mondiales auxquelles nous sommes confrontés, notre action a-t-elle un impact ? Nous devons sans cesse nous poser ces questions.
Nous devons nous interroger.
Nous devons porter à un autre niveau le sérieux de notre engagement.
Lorsque nous y parviendrons, nos aspirations pour les pauvres coïncideront enfin avec les aspirations des pauvres.
Je vous remercie de votre aimable attention.