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DISCOURS ET TRANSCRIPTIONS

Le développement à l'ère de l'interdépendance mondiale

05 avril 2016


Président du Groupe de la Banque mondiale Jim Yong Kim Berlin, Allemagne

Tel que préparé pour l'allocution

Mesdames et Messieurs, bonjour !

Permettez-moi de remercier notre hôte de ce jour, M. Fratzscher, et l'Institut allemand de recherche économique. Nous vous sommes reconnaissants de pouvoir tenir cette manifestation dans un cadre aussi remarquable. Et je tiens également à remercier le gouvernement allemand et son représentant à la Banque mondiale, notre chère amie Ursula Müller. Je voudrais que tous les Allemands sachent qu'ils ont, en la personne de Mme Müller, une ambassadrice pour le monde en développement qui est absolument remarquable et brillante, et qui a du cœur.

Le monde est aujourd'hui confronté à des défis aussi complexes et contrariants que depuis aussi longtemps qu’on puisse s’en souvenir. Pensez un instant à la façon dont le monde a changé en seulement deux ans. En avril 2014, l'Europe n'était pas encore confrontée à l'afflux massif de réfugiés provenant de nombreux de pays. Il y a deux ans, le monde n'avait pas encore pris conscience de la terrible épidémie d'Ebola qui se propageait alors dans les pays d'Afrique de l'Ouest que sont la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone. Et nous ne dispositions pas encore des éléments de preuve les plus alarmants des effets du changement climatique, avec la hausse des températures mondiales atteignant des niveaux records et l'Arctique sortant d'un hiver qui n'en était pas un du tout.                                                     

Maintenant, pensez un instant aux autres événements qui se sont déroulés uniquement ces cinq derniers mois, apportant l'extrémisme violent aux portes de l'Europe et à travers le monde -- les horribles attentats de Paris, les attentats de Bruxelles il y a tout juste deux semaines, les actes d'horreur perpétrés récemment à Lahore qui ont coûté la vie à 29 enfants s'amusant dans un parc, et les actes d'une horrible violence enregistrés dans tant d'autres localités – Istanbul, Ankara, Bamako, Tunis, Jakarta, Ouagadougou, San Bernardino, Mogadiscio, et une station balnéaire en Côte d'Ivoire.

Il n'a jamais été si douloureusement clair que le monde est profondément interconnecté. Maintenant plus que jamais, les problèmes majeurs qui voient le jour dans un pays en développement affectent rapidement les pays développés – et vice versa : le changement climatique, les pandémies, les réfugiés, le terrorisme et le ralentissement économique se déplacent tous en douceur à travers le monde. Ce qui se passe à Alep touche Berlin, et l'on ressent à Buenos Aires ce qui se produit à Beijing. Que faire donc face à ces défis gigantesques ? Comment une institution comme le Groupe de la Banque mondiale, dont la mission est de mettre fin à l'extrême pauvreté et de promouvoir une prospérité partagée dans le monde en développement, réagit-elle en ces temps de crises multiples, d'interdépendance croissante et de ralentissement de l'économie mondiale ?

Du point de vue d'un pays pris isolément, notre stratégie reste la même – soutenir la croissance économique, investir dans le capital humain et faire en sorte que les gens ne basculent pas à nouveau dans la pauvreté. Mais pour faire face plus efficacement aux menaces publiques que j'ai évoquées qui pèsent sur le monde, nous avons changé de vision et nous le ferons davantage à l'avenir.

Premièrement, l'effort de s'attaquer aux menaces mondiales qui transcendent les frontières nationales et régionales occupera une place plus que jamais centrale dans la poursuite de notre mission. Depuis de nombreuses années, le Groupe de la Banque mondiale s'est essentiellement employé à répondre aux besoins des pays pris isolément. Cela restera l'axe central de notre démarche, mais ça ne suffit pas. Notre travail sur les pays doit s'accompagner d'un engagement beaucoup plus ferme à remonter plus en amont pour nous attaquer à la racine des problèmes qui touchent la planète tout entière.

Deuxièmement, nous devons nous atteler beaucoup plus efficacement à gérer les risques et les incertitudes. D'ores et déjà, dans le cadre de nos interventions pour le développement, nous avons entrepris de revoir notre démarche, en insistant davantage sur la gestion des risques de catastrophe, les investissements dans un contexte d'incertitude climatique et le renforcement de l'appui à une protection sociale innovante pour les personnes vivant tout juste au-dessus ou non loin du seuil de pauvreté.

Et troisième changement majeur pour nous, nous devons en faire beaucoup plus pour résorber les poches profondes de pauvreté et les inégalités qui se creusent, à chaque niveau de revenu. Cela suppose notamment de soutenir les pays à revenu intermédiaire en proie à la fragilité et d'y investir, en particulier lorsque les répercussions de cette fragilité peuvent constituer une menace aussi bien pour leurs voisins que pour les pays se trouvant à l'autre bout de la planète. Si nous ne résolvons pas ces problèmes, le risque d'escalade des conflits et de montée en puissance de l'extrémisme dans ces contextes se matérialisera vraiment, comme nous l'avons vu au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Amérique latine.

Berlin est le lieu indiqué pour évoquer ce changement fondamental de la façon dont nous travaillons. L'Allemagne a démontré que l'industrie, y compris les petites et moyennes entreprises, peut s'adapter pour tirer parti de la mondialisation tout en maintenant les coûts sociaux de ces ajustements à des niveaux faibles. Les Allemands ont montré que la prudence budgétaire n'est pas incompatible avec une générosité extraordinaire -- préserver l'équilibre budgétaire tout en accueillant plus d'un million de personnes déplacées par le conflit au Moyen-Orient. L'Allemagne compte également parmi les pays donateurs qui se sont montrés les plus généreux durant la crise économique, et nous lui sommes particulièrement reconnaissants de l'appui exemplaire qu'elle a apporté à l'IDA, le fonds du Groupe de la Banque mondiale qui accorde des prêts concessionnels et des dons aux pays les plus pauvres.

L'Allemagne est également la plus ouverte des grandes économies, ses échanges commerciaux représentant plus de deux fois la part du PIB par rapport aux États-Unis, à la Chine, au Japon, au Royaume-Uni, et à la France. Les petites et moyennes entreprises en Allemagne — le Mittelsland — ont augmenté la productivité, généré des exportations et créé des emplois à des taux impressionnants. Les taux de chômage de l'Allemagne sont restés bas aussi bien dans les périodes prospères que durant les crises économiques. Ce pays a montré comment des améliorations économiques, sociales et environnementales peuvent être réalisées — et le tout en même temps.

Mais avant de décrire plus en détail notre approche évolutive de la production de biens publics mondiaux, je voudrais vous présenter la toile de fond de l'état actuel de l'économie mondiale, qui fait qu'il soit d'autant plus urgent de s'attaquer à ces menaces qui pèsent sur le monde.

Aux États-Unis et dans l'Union européenne, les taux de croissance remontent depuis ces trois dernières années, et cette tendance devrait se poursuivre durant l'année en cours. Certes, nous continuons à nous inquiéter de la faible croissance dans les marchés avancés, compte tenu de notre axe d'intervention, mais nous sommes particulièrement préoccupés par le ralentissement dans les marchés émergents, où les taux de croissance ont chuté de près de 1 point de pourcentage depuis 2013 — passant de plus de 5 % à 4 %. La Chine en est l'une des raisons, mais les contractions économiques au Brésil et en Russie y contribuent aussi largement.

De notre point de vue, ce ralentissement est dû à trois facteurs principaux : la baisse de la croissance des échanges, la multiplication des difficultés à accéder aux capitaux et le manque de progrès dans la création d'emplois.

Les échanges sont un puissant moteur de développement économique pour les pays à faible revenu, et le ralentissement de leur croissance – à pratiquement la moitié du taux d'avant la crise financière – a eu un grand impact à travers le monde en développement. À titre d'exemple, le taux de croissance annuel des importations de biens a augmenté de plus de 6 % dans les années 1990 et 2000, mais depuis la crise, le taux de croissance des importations a été de 3 % en moyenne. Les voix du protectionnisme se font de plus en plus entendre des deux côtés de l'Atlantique, mais nous savons que le protectionnisme est le plus préjudiciable aux pays pauvres. Cela dit, il nuit également de façon disproportionnée aux pauvres dans les pays riches. Aux États-Unis, par exemple, le pouvoir d'achat des pauvres pourrait être réduit de plus de la moitié si l'économie se fermait aux échanges.

L'instabilité des bourses, qui traduit l'incertitude et la peur chez les investisseurs, est au plus haut point depuis la crise de la zone euro en 2010. Il s'agit là d'une mauvaise nouvelle pour les pays en développement, car les investisseurs ont dû retirer 40 milliards de dollars des marchés obligataires et boursiers des pays émergents au cours du dernier trimestre de 2015, soit la plus importante sortie de capitaux depuis l'effondrement de Lehman Brothers en 2008.

Mais le plus inquiétant pour nous est la lente reprise de l'emploi dans le monde entier pratiquement. Un surcroît de 75 millions de personnes était toujours sans emploi cinq ans après la fin de la crise financière mondiale. L'Organisation internationale du Travail a constaté que pour chaque pays où la proportion de jeunes n'étudiant pas et ne travaillant pas a décru, on en compte trois autres où elle n'a cessé d'augmenter. Le problème se pose avec le plus d'acuité au Moyen-Orient. Depuis 2007, le chômage chez les jeunes a progressé le plus au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Nous devons aborder ce problème sur plusieurs fronts à la fois, mais l'une des mesures les plus importantes à prendre est de faciliter davantage la conduite des affaires pour les petites et moyennes entreprises dans la région.

Il y a une semaine, je me suis rendu dans le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord en mission conjointe avec le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon. Partout où je suis allé, j'ai entendu de la bouche des jeunes et de bien d'autres personnes que la principale raison pour laquelle autant de personnes sont attirées par la cause de l'extrémisme est le manque d'emplois et le manque général d'espoir pour leur avenir. Si nous devons attaquer l'extrémisme à sa racine, il nous faudra appliquer des solutions politiques pour mettre fin aux conflits – mais il faudra en faire beaucoup plus. Nous avons besoin d'abord et avant tout de créer des emplois, et pour ce faire, nous devons aider les pays les plus fragiles et les plus touchés par des conflits à commencer à bâtir leur économie et à offrir des possibilités, en particulier aux femmes et aux jeunes.

Nous devrions également y apporter une dose de réalisme. En cette année où les ressources se font rares – en particulier en Europe où les pays donateurs réalisent qu'ils auront à utiliser une partie de leur aide au développement à l'étranger pour soutenir les réfugiés à l'intérieur de leurs frontières – comment pouvons-nous accroître nos investissements dans les pays en développement, mettre fin extrême pauvreté et faire face à ces crises ?

Nous ne cesserons de le répéter, les pays en développement doivent impérativement procéder à une réforme structurelle qui peut améliorer le climat des affaires et inspirer une plus grande confiance dans le secteur privé qui est de loin la plus grande source d’emplois. Pour être plus précis, ce que nous envisageons c’est de passer du système actuel où seules quelques élites ont accès aux capitaux et les administrations s’adonnent outrancièrement à la recherche de rente, à un système transparent et équitable qui met à la disposition de tous les citoyens les capitaux, licences et tous autres éléments nécessaires à la conduite des affaires.

Nous restons également convaincus que les pays en développement peuvent accroître considérablement leurs ressources intérieures en levant plus d’impôts de façon équitable. La directrice générale du FMI, Madame Christine Lagarde, et moi-même mettons tout en œuvre pour aider ces pays à instaurer des régimes fiscaux plus équitables et efficaces. Ainsi, ils pourraient mobiliser des ressources à hauteur de 2 à 4 % du PIB, 2 % représentant déjà près de 450 milliards de dollars, soit le triple de l’APD actuelle. Et nous ne parlons pas ici de lever des impôts sur les pauvres, la plupart des pays en développement appliquant des régimes fiscaux assez régressifs dans lesquels les riches ne paient pas autant d’impôts qu’ils le devraient.

Mais pour atteindre nos objectifs, nous devons faire davantage appel à de nouveaux outils financiers. Le Groupe de la Banque mondiale œuvre aux côtés d’autres banques multilatérales de développement et de bailleurs de fonds comme l’Allemagne pour financer à des taux d’intérêt plus bas des projets qui génèrent des emplois dans les pays qui en manquent désespérément. 

À titre d’exemple, tout juste le mois dernier, nos Administrateurs ont pris la décision inédite d’accorder à la Jordanie, un pays à revenu intermédiaire, des taux d’intérêt que nous réservons généralement aux pays les plus pauvres, parce qu’elle a fait preuve d’une très grande générosité en accueillant plus d’un million de réfugiés syriens sur son sol.  Dans un premier temps, nous avons consenti un prêt de 100 millions de dollars à des taux concessionnels normalement réservés aux pays les plus pauvres, et nous fournirons 200 à 400 millions de dollars supplémentaires de financements concessionnels pour la création d’une zone économique spéciale pour les entreprises, qui contribuera à créer plusieurs milliers d’emplois dont bénéficieront aussi bien les réfugiés syriens que les Jordaniens au cours des cinq prochaines années. Il s’agit là d’une véritable initiative nouvelle qui ne demande plus qu’à être transposée à une plus grande échelle et mise en œuvre dans d’autres pays.

Il est urgent de stimuler la croissance économique et la création d’emplois dans les contextes de fragilité. Selon les projections de nos économistes, nous ne réussirions à réduire l’extrême pauvreté dans le monde que de 6 % à l’horizon 2030 si la croissance économique actuelle restait à l’image du taux moyen enregistré au cours des dix dernières années. Dans les États les plus fragiles, cela se traduirait par un taux de pauvreté qui resterait extraordinairement élevé, à 47 % de la population. L’Europe et l’Allemagne tout entières se focalisent à juste titre sur les crises de réfugiés que le continent traverse aujourd’hui, mais si 47 % des populations des États fragiles disposent de 2 euros par jour pour vivre d’ici 2030, alors que le monde développé continue de prospérer, les flux de migrants et de réfugiés ne s’arrêteront pas.

Certes, la crise des réfugiés semble pour l’heure un immense défi à relever, mais n’oublions pas que le monde fait face à d’autres menaces importantes qui pèsent aussi bien sur les pays en développement que sur le monde développé – le changement climatique et la menace d’une future pandémie étant les plus urgentes.

 Des sources dignes de foi indiquent que les sécheresses successives qu’a connues la Syrie ne sont pas étrangères à la crise actuelle, comme il ne fait aucun doute que la modification du climat contribue à la montée des tensions et à la disparition des moyens de subsistance dans de nombreuses parties du monde en raison de la rareté de l’eau, des ondes de tempête et du nombre croissant de phénomènes météorologiques extrêmes.

Les températures des mois de janvier et février ont atteint des niveaux sans précédent dans le monde. Les données recueillies par la NASA indiquent qu’en février, la température moyenne à la surface de la Terre était de 1,35 °C plus élevée que la moyenne enregistrée à la même période au cours des 30 années antérieures, soit l’écart le plus important relevé jusqu’ici. Même le Pôle Nord s’est réchauffé, avec en décembre dernier une température proche de 0 °C, soit plus de 30 °C au-dessus de la moyenne.

En prélude à la COP21 qui s’est tenue en décembre dernier  à Paris, le Groupe de la Banque s’était engagé à augmenter d’un tiers le financement de l’action climatique d’ici 2020, à 29 milliards de dollars par an. Les dirigeants des pays du monde ont surpris même les plus optimistes en reconnaissant lors de la Conférence de Paris que le monde devrait aspirer à maintenir la température mondiale bien au-dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. La Chancelière allemande, Angela Merkel, de même que le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, le président français, François Hollande, et le Président Obama, parmi d’autres, ont eu le grand mérite d’inciter et pousser de nombreux pays et institutions, dont la nôtre, à apporter leur pierre à l’édifice.

Maintenant qu’un accord a été trouvé, nous devons travailler plus rapidement que jamais pour avoir une chance d’atteindre nos objectifs. Les deux voyages que j’ai entrepris récemment au Pakistan et au Viet Nam m’ont appris que nous devons agir plus vite que je ne le pensais. En effet, ces deux pays poursuivent leurs projets de construction de centrales à charbon. Le Viet Nam prévoit la construction d’une centrale à charbon d’une puissance installée de 40 GW, soit à peu près la moitié de l’énergie totale dont dispose actuellement l’Afrique subsaharienne. Pourquoi ? Parce que l’électricité produite au charbon coûte moins que celle produite à partir de sources renouvelables – dans les deux pays, 9 à 10 centimes le kilowattheure pour l’électricité au charbon et 11 à 12 centimes pour l’énergie solaire et éolienne. Au Mexique, au Pérou, aux Émirats arabes unis et dans de nombreuses autres régions du monde, nous avons démontré qu’avec des mécanismes de financement novateurs qui associent le secteur privé, nous pouvons faciliter le passage à des sources d’énergie plus propres au moyen de très grosses incitations financières. Au Pérou, nous avons pu conclure un accord prévoyant la production d’électricité à 4,8 centimes le kilowattheure et au Mexique, l’IFC, notre branche chargée des opérations avec le secteur privé, vient de conclure un accord sur la production d’énergie solaire à 3,2 centimes le kilowattheure. Nous voulons agir urgemment au Viet Nam et au Pakistan et demandons aux dirigeants de ces pays d’envisager de recourir à des sources renouvelables si de notre côté nous pouvons, avec d’autres acteurs, aider à faire baisser le prix des énergies renouvelables. De surcroît, l’énergie solaire et éolienne permet de produire de l’électricité plus rapidement que le charbon – en quelques mois au lieu de plusieurs années – ce qui signifie que les électeurs peuvent jouir d’un meilleur accès à l’électricité au cours du cycle politique « présent » et non au prochain.

Qu’est-ce qui nous retient ? Nous n’avons toujours pas convenu des modalités d’utilisation des financements promis lors de la COP21 et nous aurons besoin de l’aide des bailleurs de fonds pour pouvoir accorder des financements concessionnels à des pays comme le Pakistan et le Viet Nam. Des discussions ont lieu, mais le temps imparti pour l’adoption des mesures d’atténuation des effets du changement climatique en temps voulu pour atteindre nos objectifs s’amenuise très rapidement.

En ce qui concerne la menace que représentent les pandémies, il ressort d’une enquête menée auprès de 30 000 experts de l’industrie de l’assurance à travers le monde entier que les pandémies figurent au premier rang des risques extrêmes à long terme que l’industrie de l’assurance prend le plus en considération. L’épidémie d’Ebola et maintenant la pandémie du virus Zika rappellent à tous que nous sommes loin d’être préparés à une pandémie à évolution plus rapide. Qu’adviendrait-il si une pandémie aussi rapide et meurtrière que la grippe espagnole de 1918 nous frappait aujourd’hui ? Les modélisations montrent qu’elle se propagerait dans tous les centres urbains du monde en deux mois, et pourrait entraîner des dizaines de millions de décès et une perte de non moins de 5 % du PIB mondial, soit environ 4 milliards de dollars.

À la demande de la Chancelière allemande, Angela Merkel, du Premier ministre japonais, Shinzo Abe, et d’autres dirigeants, nous nous sommes attelés à créer un Mécanisme de financement d’urgence en cas de pandémie. Nous savions qu’il faut 1) des sources de financement mobilisables rapidement, 2) des systèmes de santé nationaux capables de riposter à une épidémie, et 3) un niveau de coordination internationale jamais atteint. L’année dernière, nous avons réuni des membres de sept équipes différentes du Groupe de la Banque mondiale, experts dans les domaines de la santé, de l’agriculture, du secteur privé, des opérations de trésorerie, du financement du développement, des assurances et de la communication, pour travailler en étroite collaboration avec l’Organisation mondiale de la Santé et d’autres agences du système des Nations Unies, des spécialistes de la modélisation des maladies infectieuses, des compagnies de réassurance, des experts en chaînes d’approvisionnement, des gouvernements et des groupes de la société civile, à la conception du Mécanisme de financement d’urgence en cas d’épidémie dont le lancement est prévu plus tard ce printemps.

Ce nouveau mécanisme comblera une lacune fatale du système international de financement que la crise d’Ebola a mise en lumière. Pour lutter contre Ebola, après la prise de conscience initiale de l’épidémie, il a fallu de nombreux mois pour que le monde se mobilise afin d’y apporter une réponse de grande envergure. Maintenant, nous disposerons d’un mécanisme d’assurance innovant, assorti d’un ensemble de critères prédéfinis et transparents qui activeront une riposte. Lorsque les déclencheurs paramétriques spécifiques sont activés, le Mécanisme de financement d’urgence en cas de pandémie mettra des fonds dans les jours qui suivent à la disposition des pays en développement et des organismes internationaux afin d’aider à stopper l’épidémie. En principe, nous allons créer un système de riposte qui, chaque année, coûtera des millions de dollars qui pourraient sauver des centaines de milliers, voire des millions de vies – et permettra de préserver des milliards, sinon des milliers de milliards, de dollars.

J’ai évoqué trois grandes menaces qui nous affectent tous – le déplacement involontaire des populations, le changement climatique et les pandémies. Mais il en existe une autre qui a échappé à l’attention du monde, et c’est honnêtement l’un des problèmes les plus accablants pour tous les artisans du développement que nous sommes : le taux extraordinairement élevé d’enfants atteints de retard de croissance dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Trente à quarante-cinq pour cent (voire pas moins de 70 % dans certains pays) d’enfants dans de nombreux pays d’Afrique et d’Asie ont littéralement des cerveaux dont les neurones sont moins développés que ceux de leurs camarades ayant une croissance normale.

Le retard de croissance a des effets qui, non seulement durent toute la vie de l’individu concerné, mais touchent aussi son pays. Comment des pays pourraient-ils être compétitifs dans une économie mondiale qui sera très certainement plus numérisée dans le futur si 30 à 45 % de leurs enfants n’ont pas autant de connexions cérébrales que les enfants des pays concurrents ?

D’aucuns estiment que le problème est trop complexe, ou que de trop nombreux facteurs doivent être traités en amont pour espérer faire des progrès. Cela n’est tout simplement pas vrai. Il est clair que des interventions axées sur la petite enfance, notamment une alimentation saine et une bonne stimulation, un cadre de vie sans risque, peuvent considérablement réduire les taux de retard de croissance en de laps de temps relativement courts. Au Pérou, après des années d’efforts sans grand succès, les autorités ont réduit de moitié la prévalence du retard de croissance – de 28 à 14 % – en  seulement huit ans en persuadant les parents et les leaders que la taille de leurs enfants était importante. Elles ont proposé des incitatifs à des familles pour qu’elles recourent à des services nutritionnels, encouragé les mères à communiquer avec leurs bébés et assaini le cadre de vie de certains ménages.

Les retombées peuvent être énormes. Il ressort d’une étude sur le relèvement des taux d’inscription préscolaire menée dans 73 pays que chaque dollar investi dans les programmes préscolaires générait non moins de 17 dollars de bénéfices en termes de salaires élevés dans le futur.

De tous nos investissements en infrastructures, je crois que ceux concernant la matière grise pourraient être les plus importants de tous. L’infrastructure neuronale est peut-être la plus importante dont ont besoin les pays pour affronter un avenir incertain – où la croissance économique dépendra davantage des compétences numériques dans une économie plus axée sur les services que sur des emplois agricoles et manufacturiers peu qualifiés. Nos valeurs morales fondamentales sont aussi remises en question. Plusieurs d’entre nous n’ont pas manqué d’affirmer avec grande conviction notre croyance en l’égalité des chances pour tous – mais ce slogan est dénué de tout sens dans un pays dont 45 % des enfants souffrent de retard de croissance. Aujourd’hui, je nous invite tous à commencer à agir pour mettre un terme au retard de croissance chez l’enfant, afin de bâtir des sociétés fortes et résilientes qui prospéreront et profiteront à tous.  

Je dirais, pour conclure, que le monde actuel connaît de rapides mutations et fait face à un nombre croissant de menaces dont l’envergure est de plus en plus mondiale. Nous ne pouvons les ignorer et nous devons agir. Comme le disait l’avocat, le romancier, le poète et le politique Johann Wolfgang Von Goethe, il ne suffit pas de savoir ; il faut agir. Le Groupe de la Banque mondiale sait quelles sont les menaces, a entrepris sa réforme au cours des dernières années et est maintenant mieux outillé pour s’attaquer à ces menaces mondiales. 

Nous ne perdrons jamais de vue que le Groupe de la Banque mondiale est une coopérative de pays et que notre rôle est de travailler avec nos clients afin de les aider à réaliser leurs plus hautes aspirations. Mais il est maintenant on ne peut plus clair que nous ne mettrons jamais fin à l’extrême pauvreté, pas plus que nous ne réussirons à promouvoir une prospérité partagée, si nous ne nous attaquons pas à des menaces telles que les pandémies, le changement climatique et les déplacements involontaires des populations, et ce en partenariat avec nos pays membres, en accordant notre attention à une région, un pays et une personne à la fois.

Je vous remercie de votre très aimable attention.

 


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