Votre Excellence et membres du Parlement,
Chers professeurs, étudiants et amis,
Je tiens à vous remercier de m’accueillir ici, et de me permettre de rencontrer, par le biais des étudiants de différentes universités, l’avenir du pays. C’est à vous qu’il incombe aujourd’hui de faire avancer la situation. Je suis venu vous porter un message d’espoir et d’optimisme prudent, et partager avec vous une vision d’une trajectoire orientée vers un avenir juste et viable pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Je sais qu’il est extrêmement difficile de faire preuve d’optimisme lorsque l’on considère la catastrophe qui se déroule en Syrie. L’ampleur de cette dernière dépasse tout ce que vous avez pu connaître à ce jour. Elle dépasse tout ce que la plupart d’entre nous avons jamais connu. Des millions de personnes sont réfugiées dans leur propre pays. Des millions d’autres ont cherché refuge dans des pays voisins : la Turquie, la Jordanie, l’Iraq, l’Égypte et, surtout, le Liban.
Laissez-moi, toutefois, vous ramener 70 ans en arrière, en 1944 ; la Deuxième Guerre mondiale n’était pas terminée et les canons continuaient de tirer. Il était alors difficile d’envisager la paix – l’Europe était la scène d’une tragédie humaine dont l’ampleur avait mené les Européens de votre âge à profondément douter de l’avenir. Mais, à Bretton Woods, une petite ville de l’État du New Hampshire, aux États-Unis, un groupe d’alliés s’est réuni pendant 22 jours, et a entrepris de se préparer le jour pour le moment où la paix reviendrait. Ils ont créé le Fonds monétaire international et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement qui, maintenant, fait partie du Groupe de la Banque mondiale. Ces institutions ont contribué à financer la reconstruction de l’Europe et le rétablissement des économies de pays de cette région.
Les statuts de la Banque mondiale, qui ont été écrits lors de cette conférence, restent pertinents, en particulier pour le présent auditoire. L’Article I explique que la Banque mondiale a pour objectif, et je cite « d'aider à la reconstruction et au développement des territoires des États membres, en facilitant l'investissement de capitaux consacrés à des fins productives, y compris la restauration des économies détruites ou disloquées par la guerre, la réadaptation des moyens de production aux besoins du temps de paix et l'encouragement au développement des ressources et moyens de production des pays les moins avancés. » Fin de la citation.
Il vaut la peine de rappeler que, en 1951, le produit économique de l’Europe était supérieur de 35 % à ce qu’il était avant la guerre. Nous savons qu’il est possible de reconstruire mieux qu’avant, même après les conflits les plus dévastateurs.
Il y a un peu plus de 50 ans, la Corée, où je suis né, sortait d’une guerre civile, et ceux qui connaissaient mal ce pays le qualifiaient de cas désespéré. Aujourd’hui, la Corée est l’un des grands modèles de réussite à l’échelle mondiale.
Il faut qu’aujourd’hui devienne le tournant de 1944 pour la Syrie et pour l’ensemble du monde arabe.
Il faut qu’aujourd’hui soit le jour où la communauté internationale, menée par les dirigeants arabes, commence à préparer la paix en Syrie et à bâtir les fondations d’un avenir plus prospère pour tous les habitants de la région.
(Pause)
La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord se trouve à la croisée des chemins. Certes, il existe un scénario dans lequel les crises politiques, les violents conflits et la dégradation des conditions économiques observées au cours des trois dernières années s’aggravent encore et se propagent même dans les pays voisins. Mais il est possible d’envisager un autre scénario – dans lequel la région s’appuie sur l’ouverture politique des transitions des pays arabes, s’attaque aux problèmes de longue date posés par l’exclusion, mobilise un effort international pour mettre fin aux déchirants conflits qui sévissent en Libye, en Iraq et en Syrie, et réalise son potentiel de croissance durable. La stratégie de la Banque mondiale dans cette région est résolument axée sur ce deuxième scénario – sur une trajectoire reposant sur les principes de la coexistence, de la tolérance, du compromis, de la transparence, d’une bonne gouvernance et d’une croissance économique solidaire.
Nul ne sait comment et quand cette guerre se terminera – et il ne semble malheureusement pas qu’elle doive se terminer à brève échéance. Mais c’est maintenant qu’il faut commencer à préparer la paix qui viendra certainement. La communauté internationale, et notamment le Groupe de la Banque mondiale, les Nations Unies et les principaux bailleurs de fonds, doivent concevoir un plan qui aidera non seulement la Syrie à se reconstruire, mais aussi le Liban, la Jordanie, la Turquie et l’Iraq à se remettre des énormes répercussions de la guerre sur leurs économies et leurs populations..
L’avenir réserve des jours meilleurs à la Syrie, au Liban et à la région tout entière. Et si la situation reste extrêmement difficile presque partout, il existe au moins certains signes d’espoir.
En janvier dernier, le monde s’est tourné vers le Moyen-Orient pour regarder avec excitation les membres de l’assemblée constituante tunisienne voter la nouvelle constitution qui adopte les principes du pluralisme, et conclure avec succès la première phase de sa transition démocratique.
Au Yémen, le dialogue national a réuni toute la gamme des partis politiques, la société civile, les femmes et les jeunes. Les femmes étaient, pour la première fois, représentées de manière importante à cette conférence, puisqu’elles constituaient 30 % du groupe. Cela n’a pas été facile pour le Yémen, mais la détermination des parties en présence à poursuivre le dialogue sur le conflit est une inspiration pour tous.
La région doit tirer parti de toutes ses ressources pour forger des sociétés justes et viables. Les 100 millions de jeunes de la région sont l’une de ses ressources les plus précieuses.
Je sais bien que certains d’entre vous sont sceptiques. Les troubles et les incertitudes des trois dernières années ainsi que le taux de chômage toujours élevé, en particulier pour les femmes et les jeunes, n’ont fait que nourrir le pessimisme quant aux perspectives de la région. Dans le cas du Liban, l’absence de progrès dans le domaine des réformes de l’énergie et de l’électricité est certainement décourageante. Les participants à un débat organisé pour les jeunes à Tunis au début de l’année et à une manifestation similaire tenue à Washington dans le cadre de nos Réunions de printemps annuelles, nous ont dit qu’ils étaient déçus par les changements apportés à ce jour. Dans un sondage en ligne effectué avant le débat de Tunis, 71 % des répondants ont indiqué que les jeunes se trouvaient dans une situation plus défavorable qu’avant le Printemps arabe. Un jeune tunisien, Sami Boubakri, a écrit – je cite « il y a plus de liberté, mais la même misère ». Shatha al-Harazi, une jeune activiste yéménite, membre du dialogue national, doute de de la détermination à poursuivre les réformes. Elle a dit que le Yémen avait déjà une constitution, mais que celle-ci était enfermée dans un placard – que ses lois n’étaient pas respectées et qu’elles n’étaient jamais appliquées.
Certes, des difficultés considérables existent. Que faudra-t-il faire pour tirer parti de l’optimisme généré par le Printemps arabe et faire de réels progrès?
Premièrement, il faudra améliorer la qualité de l’enseignement. Si de vastes progrès ont été faits en ce qui concerne l’accès à l’éducation, cela n’a pas été le cas pour la qualité de l’enseignement, et bien trop d’élèves et d’étudiants obtiennent des diplômes sans avoir les compétences requises sur le marché du travail. Il ne s’agit pas d’un problème de financement : l’investissement public moyen dans l’éducation à l’échelle de la région dépasse 5 % du PIB. Il s’agit d’un problème de gouvernance et de responsabilisation. Les écoles et les universités, comme toutes les institutions, doivent rendre compte aux citoyens et être tenues responsables de leurs résultats. Je suis un éducateur de longue date et, à ce titre, je m’engage personnellement ici à contribuer à la mise en place d’institutions éducatives dans la région et à l’amélioration de la qualité de l’enseignement.
Deuxièmement, il faudra rétablir la confiance entre les pouvoirs publics et les citoyens. Le développement résulte d’un partenariat qui exige des autorités déterminées à faire preuve de transparence et des citoyens bien informés qui tiennent les autorités responsables de leurs actions. La nouvelle constitution marocaine contient des dispositions particulières qui garantissent le droit à l’information. L’État a commencé à prendre des mesures à cet égard en publiant un Budget Citoyen, à publier des informations sur les finances publiques sous un format accessible par la population tunisienne. En Tunisie, le groupe de la société civile al Bawsala, a tweeté en direct les activités de l’assemblée constituante pour tenir les citoyens informés de la préparation du projet de nouvelle constitution. Nous espérons que leur constitution ne finira jamais dans un placard.
Pour rétablir la confiance, il est possible, notamment, de procéder à des réformes conçues pour mettre fin au capitalisme de connivence dont souffre la région, comme de nombreuses autres régions du monde. En Tunisie, par exemple, les études de la Banque ont montré que 20 % des bénéfices réalisés dans le pays revenaient à une seule famille – la famille Ben-Ali. Il importe que les pays de la région offrent à tous des conditions équitables, éliminent les conditions économiques du passé et établissent une concurrence stimulant une croissance solidaire.
Troisièmement, il faudra aider les femmes à surmonter les multiples obstacles juridiques et culturels qui maintiennent leur taux de participation au marché du travail à 29 % – soit le taux le plus faible du monde.
Ces efforts qui visent à améliorer l’éducation, à renforcer la confiance des citoyens et à intégrer un plus grand nombre de femmes dans la population active, doivent, de surcroît, s’inscrire dans le cadre d’un plan de développement économique conçu de manière à relier les capitales et les ports et à bâtir une puissance économique régionale. Cette vision peut vous sembler être un mirage dans le désert, mais elle est en fait une réelle possibilité, qui n’a besoin que de citoyens convaincus pour se concrétiser.
Cette région n’est nullement différente des autres. La paix, la stabilité, la croissance et les opportunités se matérialisent lorsque les peuples et les pays comprennent qu’il est dans leur intérêt commun de vivre, de poursuivre leur développement et de prospérer ensemble, quelles que soient leurs différences nationales, ethniques ou sectaires. Dans cette région, l’intégration jouera un rôle crucial. C’est pourquoi le Groupe de la Banque mondiale a entrepris de promouvoir l’intégration au sein des pays, en commençant par mettre en place un corridor de transport et de logistique en Iraq. Ce projet ouvre la voie à une plus grande intégration nationale et créera de nouvelles opportunités de développement commercial et économique dans un pays qui est profondément fragmenté et en proie à de nombreuses forces qui s’emploient à le faire éclater de toutes parts.
Nous nous employons également à assurer l’intégration des transports et des échanges entre les pays de la région, au-delà des frontières nationales, par exemple en reliant le port de Bassora au port d’Aqaba, à travers la Jordanie grâce à l’amélioration de l’infrastructure routière. Ces projets favoriseront la poursuite d’un programme plus général de synergies régionales, et incluront les pays du Golfe, qui sont eux-mêmes de mieux en mieux reliés grâce à d’importants projets routiers et ferroviaires, en plus de la Turquie, du Liban et, une fois que la guerre aura pris fin, la Syrie. Cela montre qu’il est possible pour le Moyen-Orient d’être un lien essentiel entre l’est et l’ouest, une région qui est effectivement propice aux affaires.
Mais un monde arabe ainsi redynamisé sera également confronté à l’un des plus grands défis de la région – le changement climatique. Ce phénomène fait sentir son impact de manière particulièrement aiguë dans cette région et menace aussi bien la vie que les moyens d’existence des habitants. Les grandes villes côtières région sont menacées par l’élévation du niveau de la mer, mais c’est le manque d’eau et les nouvelles pénuries engendrées par l’impact de plus en plus marqué du changement climatique qui constituent les problèmes fondamentaux. Même avant le conflit syrien, trois années de sécheresse avaient forcé 1,5 million de personnes à migrer. La région s’adapte à l’évolution du climat depuis des milliers d’années, mais le rythme des changements s’accélère et exige de nouvelles stratégies ainsi que des mesures plus immédiates. Nous devons maintenant prendre en compte l’impact du changement climatique dans la formulation de l’action publique, dans des domaines aussi divers que l’urbanisme et l’agriculture.
L’année dernière, le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon et moi-même avons effectué deux voyages de concert dans les régions africaines des Grands Lacs et du Sahel. À l’occasion de l’un de ces déplacements, le Secrétaire général a dit qu’« il ne peut y avoir de développement sans paix, et il ne peut y avoir de paix sans développement. » Déclaration simple, mais mémorable s’il en est.
Comme le sait le Secrétaire général, comme vous le savez tous, le développement et la paix sont indissociables. Pour la Syrie comme pour le Liban, la Jordanie la Turquie et l’Iraq, ce processus de préparation de la paix ne sera pas facile.
Mais la guerre prendra fin. Nous devons nous engager à saisir cette opportunité et préparer des plans concrets pour le jour où les canons syriens cesseront de tonner et où un gouvernement reconnu au plan international assurera la paix et la stabilité. Il faudra alors que la communauté internationale vienne sans plus attendre à l’aide de la Syrie. Il faudra également qu’elle aide davantage les pays voisins. Nous devons faire passer ce message de façon à ce qu’il ne fasse aucun doute que les dividendes de la paix auront un pouvoir de transformation, pour encourager les parties au conflit à mettre fin à ces horreurs.
Vous vous trouvez à la croisée des chemins, qui définira l’avenir du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Pour les jeunes qui se trouvent ici et partout ailleurs dans le monde arabe– pour les 100 millions d’entre vous – votre génération devrait avoir la possibilité de vivre dans une région résolue à créer des emplois et non à se battre, résolue à promouvoir une croissance inclusive et non une croissance réservée à l’élite, et dans des pays dirigés par des équipes qui investissent dans leur population par le biais de solides systèmes éducatifs et sanitaires. Il s’agit là du Moyen-Orient qui doit s’édifier au cours des années à venir, pour faire de ces ruines de lointains souvenirs et donner cours au dynamisme d’une région où régnera, enfin, la paix.
Je voudrais, pour conclure, citer quelques vers d’Abu El Kacem El Chebbi, qui ont trait à la prise en main par le peuple de sa destinée. Je sais que certains d’entre vous ont certainement appris ces vers par cœur lorsque vous étiez plus jeunes. N’hésitez pas à vous joindre à moi. Vous m’aiderez certainement à améliorer mon arabe :
Itha echaabou yawmane arada al hayat[1]
Fa la boudda ane yastajeeba al kadar
Wa la boudda li el layli an yanjali
Wa la boudda li el kaydi an yankassir
Shukran Jazeelan — Je vous remercie.
[1] Lorsque le peuple un jour veut la vie
Force est au destin de répondre
Aux ténèbres de se dissiper
Aux chaînes de se briser.