M. le Président, distingués invités, Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour cette invitation qui m’honore.
C’est ma deuxième visite en Chine depuis ma nomination à la vice-présidence de la Banque mondiale pour la région Afrique. Je me réjouis de l’occasion qui m’est donnée de contribuer au partenariat entre la Chine et la Banque mondiale, particulièrement sur le sujet capital qui nous rassemble aujourd’hui, à savoir mobiliser les sciences et technologies agricoles pour éradiquer la pauvreté en Afrique et au-delà.
Notre rencontre se tient à un moment critique pour l’économie mondiale. Alors même que les pays industrialisés ont des taux de croissance anémiques, les 49 pays d’Afrique subsaharienne sont en plein essor, affichant une croissance de 5 % et bien plus. La demande des produits alimentaires augmente partout dans le monde, et les prix deviennent plus volatils. Ajouté à ce tableau complexe, nous savons que le changement climatique affectera le potentiel agricole du continent africain, particulièrement dans les zones arides qui hébergent la majorité des pauvres.
Comme vous le savez, sous la conduite de notre nouveau Président, Jim Yong Kim, la Banque mondiale s’est fixée de nouveaux objectifs pour éradiquer la pauvreté et assurer une prospérité partagée de notre vivant.
Un secteur agricole dynamique qui pourvoie des emplois, des vivres et un revenu garanti, et une plus large ouverture des marchés et des échanges, y compris sur le continent africain, seront nécessaires pour ramener la proportion des personnes vivant avec moins de 1,25 dollar par jour à 3 % d’ici 2030 et accroître les revenus des deux quintiles inférieurs de la population dans chaque pays en développement.
Je suis ici pour parler de l’Afrique et de son potentiel agricole inexploité — mais réalisable.
La Chine nourrit près de 20 % de la famille humaine. L’Afrique peut et doit tirer parti de la richesse de l’expérience chinoise en matière de production alimentaire durable et de transformation du monde rural.
Le besoin de transformation agricole n’est nulle part plus important que dans les zones arides du continent. Dans la sous-région sahélienne, plus de 10 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire chronique. Dans la corne de l’Afrique, plus de 8,32 millions de personnes traversent une phase difficile ou critique d’insécurité alimentaire. Face à ces défis, nous adoptons une démarche stratégique et régionale axée sur la réduction de la vulnérabilité, le renforcement de la capacité de résilience et la promotion de possibilités et d’une intégration économiques accrues.
La Banque mondiale est résolue à introduire des changements positifs dans l’économie agricole africaine.
Compte tenu de l’importance du secteur agricole, le plan d’action de la Banque mondiale nous engage à investir 8 à 10 milliards de dollars chaque année. Une portion considérable de cet investissement, pouvant aller jusqu’au tiers, est consacrée aux besoins spécifiques de l’agriculture africaine.
Nous avons élargi quantitativement et qualitativement le programme agricole de la Banque mondiale en Afrique. Plus particulièrement :
- Nous renforçons notre programme de prêts, qui passe de 0,4 milliard de dollars en 2008 à 1,2 milliard de dollars par an. En plus de l’aide budgétaire et des projets d’investissement traditionnels, ces prêts accompagneront des partenariats public-privé et des opérations de plus grande envergure, réalisées à l’échelle sous-régionale, qui génèrent des économies d’échelle et des transformations profondes.
- Nous nous employons à étendre les zones irriguées sur le continent, pour passer de 20 % actuellement à 40 % en 2030. Il faudra 40 milliards de dollars pour réaliser cet objectif, dont le quart pourrait être fourni par la Banque.
- Nous passons d’actions modestes et fragmentées menées à titre expérimental à des projets audacieux, systématiques, d’aménagement des terres. Le moment est venu de donner une grande impulsion pour transposer les pratiques les plus efficaces à une échelle plus grande, et notre objectif est de réaliser au moins deux nouveaux projets d’aménagement des terres par an, d’une valeur de 150 millions de dollars chacun, pour atteindre au moins 1,5 milliard de dollars sur une décennie. Ramener les délais d’enregistrement des propriétés de 65 à 30 jours serait un objectif des plus valables.
- Nous travaillons à accroître l’accès aux marchés, à lever les barrières tarifaires et à améliorer la compétitivité afin de doubler le volume des échanges de produits alimentaires en dix ans. Nous voulons être ambitieux, améliorer le commerce, le transport, les infrastructures et les systèmes de sécurité tout en poursuivant l’objectif de réduire de moitié les coûts de la mise sur le marché des denrées alimentaires dans un délai de dix ans.
Ce sont-là quelques exemples pour montrer comment nous pouvons obtenir un effet catalytique, générateur de transformations profondes, sur l’économie agricole en Afrique.
D’une manière générale, l’objectif ultime de nos investissements sera d’apporter un changement véritable en accroissant la productivité agricole, particulièrement dans les zones arides, en favorisant l’accès des agriculteurs aux marchés, en renforçant les chaînes de valeur, en réduisant les risques et les vulnérabilités, en promouvant l’égalité des sexes, et en augmentant la participation de l’agriculture à la protection de l’environnement par la diminution des émissions de gaz à effet de serre.
Pour contribuer à la réalisation de ces objectifs, nous sommes d’avis qu’une agriculture à l’épreuve du climat offre de grands espoirs d’obtenir des résultats probants sur trois plans : accroître les revenus des agriculteurs, les aider à s’adapter aux futures variations du climat, et contribuer à la bataille contre le réchauffement climatique.
Il est bien connu dans la littérature sur le développement que la révolution verte qui a transformé la production alimentaire en Asie et en Amérique latine ne s’est pas arrêtée en Afrique.
Nous sommes ici pour changer l’orientation future du développement agricole du continent africain.
Pour que l’Afrique accomplisse sa propre révolution verte durable — ou sa révolution doublement verte — nous devons renforcer notre collaboration en travaillant main dans la main, et collaborer plus étroitement à travers des partenariats stratégiques axés sur les besoins particuliers des petits agriculteurs, tout cela dans le but d’accroître la productivité et la rentabilité de l’agriculture africaine.
Nous devons renforcer les échanges de connaissances et d’expériences entre pays du Sud. C’est un domaine dans lequel notre hôte, l’Académie chinoise d’agronomie (CAAS), et l’entreprise brésilienne de recherche agricole — EMBRAPPA — peuvent jouer un rôle d’avant-garde en mobilisant les nouveaux partenariats nécessaires pour assurer le développement de l’agriculture africaine. Le succès obtenu par la Chine sur le Plateau de Loess et la transformation du Cerrado au Brésil sont des expériences extrêmement instructives.
Je me félicite de constater que le changement est en marche : un nombre croissant de pays africains reconnaissent en effet la capacité potentielle de leur agriculture à contribuer à une réduction durable de la pauvreté.
En 2003, 53 pays africains décidèrent d’unir leurs efforts pour accroître les investissements agricoles, renforcer la planification et la programmation, baser davantage les politiques publiques sur des résultats probants et améliorer la coordination entre les partenaires externes. Ainsi fut créé le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA) avec la bénédiction de la Commission de l’Union africaine.
Aujourd’hui, dix ans après sa création, le PDDAA peut se prévaloir de succès notables :
- 17 pays africains ont réalisé ou dépassé l’objectif de 6 % de croissance agricole fixé par le PDDAA
- 40 pays africains ont bénéficié de l’aide du PDDAA pour réaliser leurs objectifs en matière d’agriculture et de sécurité alimentaire
- Le PDDAA a permis l’émergence de plateformes pour les dirigeants africains, pour l’action collective et pour l’examen des pairs.
- Des niveaux record d’aide publique au développement en faveur de l’agriculture africaine ont été atteints — 4 milliards de dollars par an en 2010 et 2011.
L’harmonisation et l’alignement de l’aide figurent parmi les résultats les plus importants des processus de ce programme.
Le PDDAA est une initiative axée sur l’Afrique, conduite par l’Afrique, appartenant à l’Afrique et mise en œuvre par des Africains. L’une des mesures les plus importantes qu’on peut porter à son crédit est que les partenaires au développement — dont la Banque mondiale — ont aligné leurs stratégies afin d’appuyer ses priorités.
Alors que nous nous réjouissons de la perspective d’une nouvelle ère de collaboration scientifique, je suis convaincu que le GCRAI (groupe consultatif pour la recherche agricole internationale), qui a conduit la révolution verte, peut à présent s’employer à mettre le meilleur de la science moderne au service des agriculteurs africains.
J’invite cette auguste assemblée à se consacrer à cette importante tâche d’amélioration de l’agriculture africaine. Je suis convaincu qu’avec votre appui, cet objectif peut être réalisé.
C’est le moment ou jamais de changer l’orientation de l’agriculture africaine en mettant l’accent sur l’accroissement de la productivité, sur le renforcement de l’équité, et sur des pratiques agricoles plus durables. Je vous remercie.