Beyrouth, 1er juin 2021 - le Liban est frappé par une dépression économique grave et prolongée. Selon la dernière édition du Lebanon Economic Monitor (LEM) de la Banque mondiale publié aujourd’hui, la crise économique et financière que connaît le pays pourrait être classée parmi les 10, voire les 3 crises mondiales les plus sévères depuis le milieu du XIXe siècle. Face à ces défis colossaux, l’inaction politique persistante et l’absence d’un exécutif pleinement opérationnel menacent d’aggraver une situation socio-économique déjà sérieusement détériorée et de briser une paix sociale fragile, sans que se profile à l’horizon une sortie de crise.
L’édition du printemps 2021 du LEM intitulée « Le Naufrage du Liban (Top 3 des pires crises mondiales) » présente les évolutions économiques récentes du pays et examine ses perspectives économiques et les risques éventuels. Depuis plus d’une année et demie, le Liban est assailli par une multitude de problèmes : sa crise économique et financière la plus importante en temps de paix, la COVID-19 et l’explosion du port de Beyrouth. Comme le relevait le LEM dans son édition intitulée The Deliberate Depression (LEM - Automne 2020), les réponses des autorités libanaises à ces défis ont été extrêmement insuffisantes. Cette insuffisance est moins due à un déficit de connaissances ou des actions malavisées, qu’à i) l’absence de consensus politique sur des mesures publiques efficaces et ii) un consensus politique de préserver un système économique en faillite qui a profité à quelques-uns pendant très longtemps. Son histoire jalonnée d’une longue guerre civile et de nombreux conflits (le Liban est classé par la Banque mondiale parmi les États touchés par la fragilité, les conflits et la violence (FCV)) fait de plus en plus craindre l’apparition de troubles sociaux. La situation socio-économique de plus en plus difficile risque de provoquer une faillite systémique de l’État dont les répercussions auraient une portée régionale, voire mondiale.
Selon les estimations de la Banque mondiale, le PIB réel a dévissé de 20,3 % en 2020, après une contraction de 6,7 % en 2019. En effet, le PIB du Liban est passé de près de 55 milliards de dollars en 2018 à environ 33 milliards de dollars en 2020, tandis que le PIB par habitant reculait de 40 %. Une contraction aussi brutale est généralement observée en temps de conflit ou de guerre. Les conditions monétaires et financières demeurent extrêmement volatiles ; dans un contexte de pluralité des taux de change, le taux de change moyen de la Banque mondiale a connu une dépréciation de l’ordre de 129 % en 2020. Les effets sur les prix se sont traduits par une inflation galopante atteignant 84,3 % en moyenne en 2020. Dans cet environnement extraordinairement incertain, le PIB réel devrait reculer à nouveau de 9,5 % en 2021.
« Le Liban fait face à un épuisement dangereux de ses ressources, notamment son capital humain. La main-d’œuvre hautement qualifiée est de plus en plus susceptible de saisir les opportunités qui se présentent à l’étranger, ce qui représente une perte sociale et économique irrémédiable pour le pays » a affirmé Saroj Kumar Jha, le directeur régional de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient. « Seul un gouvernement tourné vers les réformes, qui s’engagerait sur une trajectoire de relèvement économique et financier crédible tout en collaborant étroitement avec l’ensemble des parties prenantes, peut empêcher le Liban de sombrer davantage et éviter une fragmentation plus grande du pays ».
La situation du secteur financier continue de se détériorer, alors que les principaux acteurs ont jusque-là du mal à s’accorder sur la répartition de la charge des pertes enregistrées. Le fardeau du processus d’ajustement ou de désendettement en cours dans le secteur financier est très régressif et concentré sur les petits déposants, la majeure partie de la population active et les petites entreprises.
Plus de la moitié de la population vit vraisemblablement en dessous du seuil de pauvreté national avec la majorité de la population active payée en livre libanaise souffrant de la chute vertigineuse du pouvoir d’achat. Face à la hausse du taux de chômage, un nombre croissant de ménages a du mal à accéder aux services essentiels, notamment aux soins de santé.
Dans sa section « Focus spécial », le LEM du printemps 2021 met en relief deux mesures économiques fortement discutées, susceptibles d’avoir des répercussions sociales importantes.
Le premier focus spécial se penche sur les subventions aux taux de change pour les importations vitales et essentielles, qui posent des défis politiques et sociaux importants, et suggère en outre quand et comment éliminer ces subventions. Le dispositif actuel de subventionnement des taux de change est source de distorsions, onéreux et régressif. Son élimination et son remplacement par un programme plus efficace et efficient tourné vers les pauvres amélioreraient la balance des paiements (rallongeant ainsi considérablement « la durée de vie » des réserves restantes de la BDL) tout en contribuant à minimiser les effets sur les Libanais démunis. Pour autant, ces solutions resteraient temporaires et sous-optimales. Seule une stratégie globale et crédible de stabilisation macroéconomique empêcherait le pays d’épuiser totalement ses réserves et d’être contraint à un ajustement des taux de change désordonné et extrêmement perturbateur.
Le deuxième focus spécial du LEM porte sur les effets de la crise sur quatre services publics essentiels, à savoir l’électricité, l’approvisionnement en eau, l’assainissement et l’éducation. La « Dépression délibérée » a fortement mis à mal des services publics déjà faibles, de deux manières : i) elle a considérablement accru les taux de pauvreté, un nombre grandissant de ménages ne pouvant s’offrir des services privés de substitution et se retrouvant, par conséquent, plus tributaires des services publics ; et ii) elle a mis en péril la viabilité financière de même que le fonctionnement de base du secteur en augmentant les coûts et en diminuant les revenus. La prestation des services publics de base est essentielle pour le bien-être des habitants. La détérioration brutale des services de base aurait des répercussions durables, comme des migrations massives, des pertes au niveau de l’apprentissage, de piètres résultats en matière de santé, l’absence de protection sociale appropriée, etc. Les dégâts permanents au niveau du capital humain sont difficiles à inverser. C’est peut-être cet aspect particulier de la crise libanaise qui la distingue des autres crises mondiales.