WASHINGTON, 2 décembre 2020 – Deux nouveaux rapports de la Banque mondiale publiés aujourd'hui révèlent que les fermetures de classes consécutives à la pandémie de COVID-19 risquent de pousser dans la pauvreté des apprentissages (a) 72 millions d'enfants supplémentaires en âge d'aller à l'école primaire. Cela signifie qu'ils seront incapables de lire et de comprendre un texte simple à l'âge de 10 ans. Ces études préconisent aussi une nouvelle vision pour l’avenir des apprentissages, ainsi que les investissements et mesures politiques que les pays peuvent mettre en œuvre aujourd'hui pour la concrétiser, en utilisant notamment le levier des technologies de l'éducation.
La pandémie est venue aggraver la crise mondiale des apprentissages. Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, elle pourrait faire passer de 53 à 63 % la proportion d'enfants qui ne savent pas lire à 10 ans, avec le risque pour cette génération d'élèves de voir leurs revenus tout au long de leur vie d'adulte amputer d’environ 10 000 milliards de dollars, soit un montant équivalent à près de 10 % du PIB mondial.
Le premier rapport, intitulé en anglais Realizing the Future of Learning: From Learning Poverty to Learning for Everyone, Everywhere, expose une vision de l'avenir des apprentissages susceptible d'orienter aujourd'hui les investissements et les réformes politiques des pays. Ceux-ci pourront ainsi bâtir des systèmes éducatifs plus équitables, plus efficaces, et faire en sorte que chaque enfant étudie avec plaisir, avec rigueur et avec détermination, en classe et hors des murs de l'école.
Le rapport qui l'accompagne, Reimagining Human Connections: Technology & Innovation at the World Bank, détaille la nouvelle approche de la Banque mondiale pour guider les décisions d'investissement dans les technologies de l'éducation. Ces technologies peuvent en effet constituer de véritables outils au service d'une meilleure résilience des systèmes éducatifs face à des chocs tels que la COVID-19, et contribuer à réinventer les modalités de transmission de l'enseignement.
« À défaut d'une action urgente, cette génération d'élèves risque de ne jamais exploiter pleinement ses capacités et son potentiel économique, et les pays perdront un capital humain essentiel pour soutenir leur croissance à long terme, a déclaré aujourd'hui Mamta Murthi, vice-présidente de la Banque mondiale pour le Développement humain, lors de l'événement de présentation des rapports (a). Il est inacceptable que plus de la moitié des enfants du monde subissent la pauvreté des apprentissages et nous ne pouvons pas continuer à faire comme si de rien n'était. S'ils se montrent visionnaires et audacieux, les responsables politiques et les parties prenantes peuvent transformer cette crise en véritable chance de repenser les systèmes éducatifs, afin que tous les enfants puissent vraiment apprendre avec plaisir, avec rigueur et avec détermination, partout dans le monde ».
La pandémie de COVID-19 a provoqué deux chocs majeurs. Les mesures de confinement ont laissé la plupart des élèves de la planète à la porte de l'école, soit 1,6 milliard d'enfants au plus fort de la crise en avril 2020 et encore près de 700 millions aujourd'hui. L'impact de la récession économique mondiale sur le revenu des familles a en outre aggravé le risque de déscolarisation. Les enfants appartenant à des groupes de population marginalisés accumuleront sans doute plus de retard. La pandémie entraîne une hausse des risques de mariages et de grossesses précoces chez les adolescentes, tandis que les enfants en situation de handicap, issus de minorités ethniques, réfugiés ou déplacés ont moins de chances d'avoir accès à du matériel pédagogique adapté pour l'enseignement à distance et de retourner à l'école après la crise.
En raison de la pandémie, les systèmes éducatifs ont été contraints de mettre rapidement en œuvre des innovations à grande échelle en matière d'apprentissage à distance. Pour atteindre le plus grand nombre possible d'enfants et de jeunes, ils ont utilisé des approches qui combinent plusieurs canaux : ressources en ligne, radio, télévision, téléphonie mobile, documents imprimés pour les plus vulnérables... Néanmoins, les énormes fractures numériques — de l’accès à l’internet aux compétences digitales — et les disparités dans la qualité du soutien parental et de l'environnement d'apprentissage à domicile amplifient les inégalités scolaires.
« Il est plus urgent que jamais de prendre des mesures efficaces aujourd'hui pour limiter des retards importants et croissants d'apprentissage, se remettre sur pied et rebâtir en mieux afin d'accélérer l'acquisition par tous les enfants des notions fondamentales et, de plus en plus, des compétences du 21e siècle, souligne Jaime Saavedra, directeur mondial du pôle Éducation de la Banque mondiale. Il est possible de tirer les leçons de la pandémie et de reconstruire un système équitable, où toutes les écoles et tous les foyers disposent des conditions et du soutien nécessaires à l'apprentissage. Un système efficace, où les enseignants et les écoles ont les moyens d'accompagner chaque élève au niveau dont il a besoin. Un système résilient, avec des services éducatifs bien gérés et assurant la continuité du processus d'apprentissage entre l'école, le foyer et la communauté ».
Les pays peuvent tracer leur propre voie, avec des politiques volontaristes pour réaliser des investissements et des réformes selon cinq axes fondamentaux :
1. Des élèves préparés et motivés pour apprendre : l'accent doit être davantage mis sur le développement de l'enfant dans son ensemble et un soutien continu aux apprentissages au-delà de l'école, ainsi que sur une meilleure préparation grâce à un enseignement préscolaire de qualité, une stimulation précoce et une alimentation correcte.
2. Des enseignants efficaces et valorisés : ils doivent aussi être prêts à assumer un rôle de plus en plus complexe, avec l'aide de la technologie qui permet d'enseigner à des élèves de différents niveaux. Il faut pour cela mettre en place des parcours de carrière fondés sur le mérite ainsi qu'une formation continue axée sur la qualité de l'enseignement.
3. Des ressources éducatives, notamment des programmes bien conçus et un apprentissage mixte : il s'agit de mettre en œuvre des pratiques pédagogiques garantissant que chaque élève reçoive un enseignement adapté à son niveau scolaire.
4. Des écoles sûres et inclusives : une approche globale et extrascolaire permet de prévenir et combattre la violence et de ne laisser aucun enfant sur le bord du chemin.
5. Des systèmes éducatifs bien gérés : les responsables des écoles doivent encourager une pédagogie plus efficace et mettre en place une administration scolaire compétente, capable d’assurer une gestion fondée sur les nouvelles technologies, les données et les éléments factuels.
Quels principes fondamentaux devraient guider les réformes, de sorte que les politiques relevant de chacun de ces axes offrent le meilleur rapport coût-efficacité et qu'elles soient évolutives et durables ? S'il n'existe pas de recette unique, on observe que les systèmes performants partagent un certain nombre de principes communs : mener une réforme systémique, soutenue par une volonté politique et une démarche interministérielle qui promeuve l'apprentissage de tous les enfants ; accorder en permanence la priorité à l'équité et l'inclusion ; agir en se basant sur des éléments factuels et se concentrer sur les résultats ; veiller à la disponibilité des financements nécessaires ; réaliser des investissements pertinents dans les technologies de l'éducation.
Dans le cadre de ces cinq axes d’action, les pays pourront exploiter efficacement la puissance de tout l’arsenal des technologies de l'éducation (ou « EdTech ») — matériel, logiciels, contenus numériques, données et systèmes d'information — pour enrichir l'enseignement et l'apprentissage et améliorer la gestion et la prestation des services éducatifs. Comme le relève le rapport Reimagining Human Connections: Technology & Innovation at the World Bank (a), les technologies de l’éducation sont en mesure de favoriser de nouveaux liens entre enseignants, élèves et parents, et de rassembler des communautés plus larges pour créer des réseaux d'apprentissage. Les investissements dans ces technologies peuvent être payants, sous réserve que les ministères de l’éducation veillent au respect des conditions suivantes :
- les investissements doivent être associés à des politiques et des programmes de grande ampleur et durables, permettant aux écoles et aux systèmes éducatifs d'assurer un apprentissage mixte et multimodal, en présentiel et à distance ;
- ils doivent être conçus pour aider les professeurs à se préparer à l'apprentissage à distance et à personnaliser l'enseignement, en classe et à l'extérieur de l'école ;
- ils doivent permettre d'évaluer la réalité des apprentissages et d'exploiter des données pour mettre en place des mécanismes d'alerte précoce afin d'identifier et d'aider les enfants qui risquent de décrocher ou de prendre du retard.
Pour sa part, le pôle mondial d'expertise en Éducation de la Banque mondiale a rapidement accru son soutien aux pays pour faire face aux conséquences de la pandémie. Ainsi, la Banque mondiale aide 62 pays à réaliser des investissements couvrant l'ensemble du cycle éducatif, de la petite enfance à l'enseignement supérieur. Les nouveaux engagements de la Banque mondiale dans le domaine de l'éducation au cours du dernier exercice budgétaire se sont élevés à 5,2 milliards de dollars, un montant jamais atteint auparavant, et il devrait encore augmenter de 6,3 milliards de dollars supplémentaires cette année. L'institution encourage l'utilisation appropriée et économiquement efficace des EdTech afin d'élargir l'accès à l'éducation et d'améliorer l'apprentissage pour tous les élèves. À ce jour, les projets soutenus par la Banque mondiale bénéficient à plus de 400 millions d'élèves et 16 millions d'enseignants, soit environ un tiers de la population étudiante et près d'un quart de la communauté enseignante dans ses pays clients.
Le Groupe de la Banque mondiale, l’une des principales sources de financements et de connaissances pour les économies en développement, prend des mesures rapides et de grande envergure en vue d’aider ces pays à renforcer leur action contre la pandémie. Il s’attache à appuyer les interventions de santé publique et à garantir la circulation de fournitures médicales de première nécessité tout en soutenant le secteur privé pour permettre aux entreprises de poursuivre leurs activités et maintenir les emplois. Le Groupe de la Banque mondiale prévoit de mobiliser jusqu’à 160 milliards de dollars sur une période de 15 mois qui s’achèvera en juin 2021, afin d’aider plus de 100 pays à protéger les populations pauvres et vulnérables, soutenir les entreprises et favoriser le redressement de l’économie. Ce montant comprend notamment 50 milliards de dollars sous forme de nouveaux dons et de prêts à des conditions très favorables fournis par l’IDA, ainsi qu’une enveloppe de 12 milliards de dollars destinée à financer l'achat et la distribution de vaccins contre la COVID-19 dans les pays en développement.