Selon un nouveau rapport de la Banque mondiale, l’important, après un conflit, n’est pas tant de reconstruire que de construire
Washington, 15 juillet 2020 — Les niveaux tragiques de pertes en vies humaines, de destruction, de déplacements de population et de désordre engendrés par les conflits en cours en Iraq, en Libye, en Syrie et au Yémen appellent une nouvelle approche non pas tant axée sur la reconstruction que sur la construction, en vue de soutenir la transition vers une paix durable. Tel est le message essentiel qui ressort d’un nouveau rapport de la Banque mondiale intitulé en anglais Building for Peace: Reconstruction for Security, Sustainable Peace, and Equity in MENA et financé par le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ).
Dressant le bilan de près d’une décennie d’efforts de reconstruction et de promotion de la paix principalement fondés sur une approche descendante de renforcement de l’État, les experts de la Banque mondiale et du BMZ ont uni leurs forces pour apporter un nouvel éclairage sur le processus de reconstruction, de développement et de transformation requis pour promouvoir une paix durable dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique Nord (MENA) et au-delà.
Les auteurs du rapport ont recours à une démarche multidisciplinaire pour acquérir une compréhension approfondie des ressorts des conflits dans le cadre plus large des dynamiques nationales, locales et régionales et des structures de pouvoir politiques et économiques. Ils arrivent ainsi à tracer une vision à long terme pour une paix durable et inclusive, tout en mettant en évidence les arbitrages et les risques auxquels les responsables publics et les professionnels du développement sont confrontés pour promouvoir la construction au lendemain d’un conflit.
« Après une décennie de conflits qui ont infligé des souffrances aussi terribles qu’insensées, nous avons besoin de changer radicalement notre approche : ne plus simplement chercher à “reconstruire en mieux”, mais promouvoir plutôt l’établissement d’une paix durable, explique Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Le rapport Building for Peace démontre avec force détails l’importance de prendre en compte les griefs du passé et s’attache à repenser de fond en comble l’approche de la reconstruction post-conflit, en proposant une feuille de route stratégique qui aidera à créer des opportunités économiques durables pour tous. »
Le rapport exhorte les responsables publics et les professionnels du développement à privilégier une participation ascendante et inclusive pour bâtir des infrastructures et des institutions publiques centrales plus solides. Il préconise d’appuyer des institutions légitimes et inclusives à tous les échelons, de relancer les économies locales pour créer des opportunités économiques viables, et de tirer parti des biens résilients. Cette approche permettra d’ancrer les interventions dans les priorités et le patrimoine des collectivités touchées par les conflits afin de promouvoir la cohésion sociale et de développer le capital social.
Le rapport plaide en faveur d’un élargissement des connaissances et de la création d’une vision à long terme fondée sur des évaluations plus complètes et plus dynamiques sur lesquelles pourront s’appuyer les interventions requises dans ces environnements complexes. Ces évaluations devraient permettre de recenser les acteurs, institutions et facteurs structurels à l’œuvre au niveau local, infranational et régional, et de déterminer comment ils influent au fil du temps sur les dynamiques politiques et économiques. Elles ne devraient pas se contenter d’un simple instantané des conditions existantes à un moment donné dans le temps, mais plutôt offrir un processus d’analyse multidimensionnel et « vivant ».
« Une compréhension exhaustive de la situation sur le terrain peut nous aider à aborder la conception de politiques sans œillère ni angle mort et à éviter des interventions mal conçues qui risquent de compromettre les perspectives de paix, soutient Francesca Recanatini, membre de l’équipe principale du rapport. Une telle analyse exige de mobiliser un éventail beaucoup plus large de parties prenantes et d’informateurs, et de faire un usage créatif des nouvelles technologies et des innovations. »
Le rapport est le fruit de deux années d’efforts de collaboration et de réflexion collective qui ont mobilisé plus de 15 laboratoires d’idées et institutions politiques, ainsi qu’un grand nombre de chercheurs universitaires, décideurs, fonctionnaires, professionnels sur le terrain et collègues d’autres organisations internationales et d’ONG dans la région MENA et dans le monde entier. Il a aussi bénéficié des avis et des retours d’informations des citoyens, experts et professionnels recueillis dans le cadre d’une série d’ateliers de consultation et d’enquêtes anonymes réalisées en ligne en Iraq, en Libye et au Yémen.
« Ce projet régional et intersectoriel a démontré l’importance d’une démarche multidimensionnelle et collaborative mobilisant un éventail de parties prenantes d’horizons divers. C’est exactement ce qu’il nous faut dans des contextes de crise, et l’expérience vaudrait d’être répétée dans d’autres régions, souligne Volker Oel, commissaire pour le Moyen-Orient, l’Europe du Sud-Est, l’Europe de l’Est et l’Amérique latine au BMZ. Pour relever les défis posés par les situations de violences et de conflits prolongés, nous avons besoin de partenariats plus efficaces et d’interventions plus éclairées, fondées sur un engagement international et appuyées par des ressources prévisibles. Nous comptons créer une plateforme pour continuer à enrichir nos connaissances et mettre en pratique cette approche de “construction pour la paix” en collaboration avec la Banque mondiale. »
Le rapport s’inscrit dans la ligne de la nouvelle stratégie du Groupe de la Banque mondiale pour les situations de fragilité, confit et violence 2020-2025 ; il étaye notamment les piliers II et III de la stratégie, en ce qu’il propose des solutions pour permettre le maintien de l’engagement dans les situations de conflit et de violence et aider les pays à échapper au piège de la fragilité. Le rapport trouve aussi une forte résonance avec la nouvelle stratégie d’aide au développement et à la transition du BMZ, qui vient d’être annoncée.
Le rapport sera officiellement présenté le 15 juillet 2020, dans le cadre du Forum sur la fragilité 2020.