Un nouveau rapport de la Banque mondiale appelle à un engagement renouvelé en faveur de réformes pour la prospérité dans le Machreq
WASHINGTON, 18 juin 2020 — Selon un nouveau rapport de la Banque mondiale, dix années de conflit en Syrie ont eu des répercussions économiques et sociales régionales qui se sont étendues à l’Iraq, à la Jordanie et au Liban, et qui posent avec une urgence accrue la nécessité d’une stratégie d’action régionale. Au nombre des répercussions de ce conflit figurent une hausse des taux de pauvreté, un alourdissement du fardeau de la dette, une détérioration des marchés du travail - particulièrement pour les jeunes et les femmes - et une réduction de l’accès aux services publics comme les soins de santé et l’approvisionnement en électricité.
Intitulé en anglais The Fallout of the War: The Regional Consequences of the Conflict in Syria, le rapport estime que le conflit syrien a engendré à lui seul une baisse annuelle de la croissance économique de 1,2 point de pourcentage en Iraq, 1,6 point en Jordanie et 1,7 point au Liban au cours de la dernière décennie. Il est également responsable d’une hausse des taux de pauvreté de 6 points de pourcentage en Iraq, 3,9 points en Jordanie et 7,1 points au Liban, et a provoqué la plus grave crise de réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale. À l’apogée de cette crise, le nombre de réfugiés représentait plus du quart de la population locale en Jordanie, au Liban et dans la région iraquienne du Kurdistan, soit la plus forte concentration de réfugiés au monde.
Les répercussions du conflit ont été ressenties à plusieurs niveaux. Avec la baisse du commerce de transit à travers la Syrie et le blocage des exportations de services comme le tourisme, l'effet marginal du choc commercial sur le PIB a atteint –3,1 points de pourcentage en Jordanie et –2,9 points au Liban. En comparaison, le choc démographique (arrivées de réfugiés) a stimulé le PIB de 0,9 point dans les deux pays par la hausse de l’offre et de la demande globales du travail. Cependant, ces effets sur le PIB ne représentent qu'une part relativement faible de l’incidence globale.
Malgré les efforts déployés par les autorités nationales, la communauté internationale et les organisations humanitaires, les conditions qui prévalent au Machreq restent difficiles. En raison de la faiblesse des filets de protection sociale, les Iraquiens, les Jordaniens et les Libanais restent en grande partie à la merci des chocs économiques. Les communautés d'accueil comme les réfugiés souffrent des insuffisances des services publics qui les poussent souvent à s’en remettre à des solutions de rechange à court terme comme le recours à des groupes électrogènes diesel et à de l’eau transportée par camion, des options qui mettent leur santé en danger, en plus de coûter jusqu’à trois fois plus cher que l’utilisation des réseaux d’adduction d’eau et d’électricité. Les enfants réfugiés sont privés de 5,4 années de scolarité par rapport aux écoliers réguliers au Liban, et de 3,7 années par rapport aux élèves jordaniens, ce qui est attribuable en grande partie à la faible scolarisation dans les niveaux secondaire et supérieur. Le rapport estime que les gains en capital humain obtenus en corrigeant ces carences pourraient engendrer une hausse de la croissance du PIB de 1,1 % au Liban et de 0,4 % en Jordanie.
« L'impact économique global du conflit syrien sur l'Iraq, la Jordanie et le Liban a été disproportionnellement élevé en comparaison avec d’autres situations similaires dans le monde, au cours des dernières décennies, souligne Saroj Kumar Jha, directeur régional de la Banque mondiale pour le Machreq. La communauté internationale peut ainsi promouvoir la stabilité et la prospérité du Machreq, et cette action sera d’autant plus efficace qu’elle repose sur une stratégie axée non pas tant sur des remèdes court-termistes que sur une perspective à moyen terme, combinée à une approche régionale promouvant les liens transfrontaliers et une action coordonnée par-delà les frontières. »
Selon le rapport, la complexité de la dynamique économique régionale a jusqu’ici entravé le renforcement de la résilience des institutions, alors même que celle-ci pourrait atténuer plus efficacement les retombées de la crise syrienne. L’obsession du court terme a ainsi conduit à une augmentation du coût et à une réduction de l’efficacité de la prestation des services, à un gaspillage de possibilités économiques et au sous-financement des programmes.
« Ce rapport fait appel à un éventail de sources de données, de techniques statistiques et de modèles économiques pour proposer l’analyse la plus systématique réalisée à ce jour des ramifications régionales issues du conflit syrien, explique Harun Onder, auteur principal du rapport. Cette approche nous a permis d’isoler le rôle particulier joué par la guerre en Syrie dans une région où la superposition des chocs — dont récemment l’effondrement des cours du pétrole et la pandémie de COVID-19 — est la règle plutôt que l’exception. »
Le rapport plaide enfin en faveur d’une stratégie à moyen terme pour remédier aux problèmes structurels et contrer les effets négatifs du conflit en renforçant les filets sociaux, en améliorant l’accès de l’ensemble des habitants aux services, et en investissant dans la capacité de l’État. Il soutient que l’adoption d’une approche régionale, qui se concentre sur le renforcement de la connectivité transfrontalière, peut produire de meilleurs résultats, car les problèmes comme les opportunités franchissent les frontières au Machreq. Cependant, cette approche nécessite un effort concerté et un engagement supranational en faveur de la stabilité et de la prospérité de la région.
Ce rapport est le troisième d’une série d’analyses réalisées par la Banque mondiale portant sur les répercussions humaines, matérielles, sociales et économiques du conflit en Syrie. Il fait suite au rapport The Toll of War, publié en 2017, qui se penchait sur les conséquences économiques et sociales du conflit en Syrie, et au rapport intitulé The Mobility of Displaced Syrians, publié en 2019 et consacré aux ressorts du retour volontaire des réfugiés syriens.
The Fallout of War sera officiellement présenté le 24 juin 2020 dans le cadre de la IVe Conférence de Bruxelles sur le soutien de l’avenir de la Syrie et de la région.