WASHINGTON, 21 octobre 2015 – Un rapport de la Banque mondiale publié aujourd’hui indique que le recours longtemps fait aux indicateurs économiques comme baromètre du progrès dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ne rendait pas compte du degré de frustration et de mécontentement que nourrissait la région à la veille du Printemps arabe.
Selon le tout dernier Rapport de suivi économique de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, alors que de nombreux observateurs félicitaient la région pour ses taux de croissance systématiquement élevés au cours des années ayant précédé le Printemps arabe, les sondages menés parallèlement auprès des populations indiquent une baisse brutale des scores de satisfaction à l’égard de la vie, en particulier au sein des classes moyennes. Le rapport s’emploie à résoudre le paradoxe des manifestations de grande envergure qui ont eu lieu dans un contexte pourtant marqué par l’amélioration des conditions économiques. Dans son analyse des causes du Printemps arabe, le rapport recense les sources de frustration qui existent encore et que le ralentissement actuel de l’économie pourrait exacerber.
Le Rapport de suivi économique de la région MENA constate que les révolutions du Printemps arabe ont été déclenchées par un mécontentement croissant largement partagé à l'égard de la qualité de la vie. Les personnes ordinaires étaient frustrées de voir se dégrader leur niveau de vie, une situation qui se traduisait par le manque d'emplois de qualité dans le secteur formel, la prestation de services publics de qualité insatisfaisante et par le manque de responsabilité des pouvoirs publics. Le système généralisé des subventions ne pouvait plus compenser toutes ces difficultés ; les subventions importaient moins pour le bien-être des 40 % de la population constituant la classe moyenne que pour le bien-être des 40 % les plus pauvres.
« À la veille du Printemps arabe, le monde arabe nourrissait un mécontentement dû à des raisons diverses », déclare Shanta Devarajan, économiste en chef pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord à la Banque mondiale. « L'ancien contrat social de redistribution sans donner voix au chapitre a cessé de fonctionner avant 2011, en particulier pour la classe moyenne. Les gens voulaient se faire entendre et avoir de véritables opportunités de progrès économique ».
Le rapport soutient que de nombreux pays de la région semblent être au bord du chaos au lendemain du Printemps arabe. À moins d'un effort à l'échelle mondiale pour mettre fin aux conflits en cours et aider les pays à renouveler le contrat social, l'instabilité persistante de la région MENA et les difficultés économiques pourraient entraîner des bouleversements au sein des populations, en raison du mécontentement qui ne cesse de grandir.
Il y a quelques semaines, le Groupe de la Banque mondiale a procédé au lancement d’une nouvelle stratégie pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Axée sur les causes de conflit, elle vise à promouvoir la paix et la stabilité. L’un des objectifs de cette nouvelle stratégie est de rétablir les liens entre les citoyens et les pouvoirs publics par l’amélioration de la prestation des services et l’accroissement de la transparence et de l’éthique de responsabilité.
« La situation a continué à se détériorer dans la région parce que nombre des facteurs à l'origine du mécontentement populaire ayant précédé le Printemps arabe existent encore aujourd'hui », affirme Elena Ianchovichina, économiste principale pour la région MENA à la Banque mondiale et auteure principale du rapport. « S'il est vrai que les revendications à elles seules n’entraînent pas de guerres civiles, les soulèvements motivés par ces revendications peuvent se transformer en guerres civiles dans les sociétés polarisées suivant des critères ethniques ou sectaires. Le risque de conflit augmente lorsque le taux de chômage des jeunes hommes est élevé et que des ressources naturelles existent en abondance ».
Le rapport présente également les perspectives économiques de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, anticipant une croissance moyenne du PIB régional de 2,8 % en 2015. Les chances d'une croissance plus rapide paraissent maigres face à la baisse des cours du pétrole, aux guerres civiles et conflits, et au ralentissement de l'économie mondiale. Les guerres civiles ont profondément ébranlé les économies libyenne, yéménite, irakienne et syrienne, entraînant des répercussions sur les économies du Liban et de la Jordanie. Affaiblies à des degrés divers par les attaques terroristes, les répercussions des guerres en cours dans les pays voisins, la contraction de la croissance dans la zone euro et par les incertitudes politiques, les pays exportateurs de pétrole de la région MENA n'ont pas connu de croissance rapide après la baisse des prix du pétrole.