Les dernières enquêtes révèlent un recul de l’emploi, un problème d’insécurité alimentaire et les risques pesant sur le bien-être des populations à long terme
Washington, 12 janvier 2015 — Ebola a des répercussions socio-économiques profondes et durables au Libéria et en Sierra Leone, selon deux nouvelles études du Groupe de la Banque mondiale. Les deux pays continuent d’enregistrer des pertes d’emplois bien que leurs situations sanitaires soient différentes. L’impact socio-économique ne se limite pas aux zones les plus touchées par l’épidémie, ce qui laisse à penser que le ralentissement économique est général. Aussi, de nombreux ménages ont-ils été contraints, pour faire face à la situation, de prendre des mesures à court terme qui risquent d’avoir d’importantes conséquences à long terme sur leurs conditions de vie.
« Il faut éradiquer le virus Ebola : c’est la priorité absolue », déclare Ana Revenga, directrice générale du pôle Pauvreté du Groupe de la Banque mondiale. « Pour autant, il faut réaliser que ses retombées socio-économiques mettent en péril la prospérité actuelle et future des ménages du Libéria et de Sierra Leone. Nous devons porter une attention particulière aux populations les plus exposées aux chocs sanitaires et économiques, et veiller à les aider durant toute la crise et au-delà ».
Le Groupe de la Banque mondiale et ses partenaires mesurent les principales conséquences socio-économiques d’Ebola en réalisant des enquêtes très fréquentes au moyen de la téléphonie mobile. Au Libéria, les sondages sont effectués par la société Gallup en collaboration avec l’Institut libérien de la statistique et Geo-Information Services. En Sierra Leone, c’est l’organisme Statistics Sierra Leone qui dirige le recueil des données en collaboration avec l’organisation Innovations for Poverty Action.
Libéria
L’économie libérienne continue de supprimer des emplois plus vite qu’elle n’en crée. Selon la troisième série de sondages téléphoniques, près de la moitié des chefs de famille libériens sont sans emploi en dépit de la création de postes dans la construction et la santé au titre des mesures de riposte prises contre l’épidémie. Les suppressions d’emplois les plus récentes ont frappé avant tout les salariés des zones urbaines, principalement dans le secteur privé et le secteur non gouvernemental. Contrairement aux employés du secteur public, qui continuent d’être rémunérés sans travailler, ces nouveaux chômeurs représentent une perte de revenus pour les ménages.
Les femmes sont particulièrement menacées par la stagnation du marché du travail, car elles sont surreprésentées dans le secteur, particulièrement éprouvé, des activités indépendantes non agricoles. Sur le nombre d’actifs comptabilisés dans les données de référence, 60 % des femmes sont aujourd’hui sans travail, contre 40 % des hommes. De surcroît, les femmes sont invariablement plus susceptibles d’être au chômage que les hommes.
La peur qu’inspire le virus Ebola suscite des inquiétudes au sujet de la capacité des agriculteurs à constituer des équipes de travail et fait craindre une diminution des récoltes. Parmi les ménages qui ont terminé leurs récoltes, 80 % indiquent que leur production est inférieure à celle de l’année précédente et l’expliquent avant tout par l’impossibilité de travailler en groupe en raison de l’épidémie d’Ebola. Les récoltes des autres ménages agricoles sont restées inachevées pour la même raison.
L’insécurité alimentaire persiste dans l’ensemble du pays, où les ménages continuent de dire que le manque de ressources financières les empêche d’acheter du riz, indépendamment de son prix. Environ les trois quarts des ménages indiquent qu’ils ont redouté, à un moment ou un autre de la semaine précédente, de ne pas pouvoir se nourrir suffisamment. Les deux tiers environ n’ont pas pu acheter suffisamment de riz pour satisfaire leurs besoins durant les deux semaines précédentes et près de 80 % d’entre eux citent le manque d’argent comme principale raison plutôt que le niveau de l’offre ou le niveau élevé des prix, bien que ceux-ci restent supérieurs de 40 % à leur niveau de référence de janvier.
Sierra Leone
La première série de collectes de données a révélé que la baisse de l’emploi avait principalement frappé les travailleurs indépendants salariés et non agricoles dans les zones urbaines de Sierra Leone, Ebola étant mentionné comme une des principales causes de l’inactivité de ces travailleurs. Selon les estimations, 9 000 salariés et 170 000 travailleurs indépendants hors secteur agricole ont cessé de travailler depuis la période de référence de juillet-août 2014. La proportion de ménages associés à une entreprise familiale non agricole contrainte de cesser ses activités a triplé pour passer de 4 % à 12 %. En outre, parmi les ménages qui exploitent encore ce type d’entreprises, le revenu moyen a chuté de 40 %.
Ces pertes d’emplois sont dues principalement aux effets indirects des mesures préventives prises pour enrayer la propagation de la maladie ainsi que par la désorganisation générale de l’économie causée par l’épidémie. Dans le domaine du travail, on n’a décelé aucune différence d’impact entre les districts mis en quarantaine et les autres, ce qui confirme que des effets indirects substantiels s’exercent à l’échelle de l’économie tout entière.
Les récoltes se poursuivent, mais l’insécurité alimentaire est élevée. À ce jour, rien n’indique qu’Ebola a eu des conséquences négatives particulières sur l’agriculture, mais les récoltes ne sont pas terminées et les prochaines collectes de données permettront d’évaluer un éventuel impact lié à l’épidémie.
Certains indices laissent à penser que le recours aux services de santé pour des problèmes autres qu’Ebola a diminué à Freetown. En comparaison de 2013, il apparaît notamment que les habitantes de la capitale ont été beaucoup moins nombreuses à effectuer des visites postnatales en clinique. En revanche, rien ne permet d’affirmer qu’un phénomène similaire s’est produit dans le reste du pays.
« Les enquêtes à haute fréquence ont fortement contribué à combler le vide entre les analyses de croissance à l’échelle nationale et les observations notées par les acteurs intervenant sur le terrain dans le cadre des mesures de riposte », commente Kristen Himelein, économiste du Groupe de la Banque mondiale spécialisée dans les problèmes de pauvreté au Libéria et en Sierra Leone. « Du point de vue de la pauvreté, nous sommes particulièrement inquiets au sujet des ménages contraints d’adopter des stratégies d’adaptation qui risquent de compromettre leur capacité d’améliorer leurs conditions de vie à long terme. Nous sommes maintenant en mesure de suivre cette question pratiquement en temps réel ».
La poursuite des enquêtes par téléphone mobile permettra d’assurer, dans les meilleurs délais, un suivi fiable des effets d’Ebola sur l’économie et les ménages du Libéria et de Sierra Leone — de manière à aider les pouvoirs publics et autres parties intéressées à résoudre les questions socio-économiques les plus urgentes à mesure qu’elles se présenteront et à programmer des mesures de redressement.
La réponse du Groupe de la Banque mondiale face à la crise Ebola
Le Groupe de la Banque mondiale mobilise actuellement près d’un milliard de dollars à l’intention des pays les plus éprouvés par la crise Ebola. Cette somme se répartit de la manière suivante : une enveloppe de 518 millions de dollars de l’Association internationale de développement (IDA) — fonds de la Banque mondiale pour les pays pauvres — destinée à financer les mesures d’urgence ; un financement d’au moins 450 millions de dollars provenant de la Société financière internationale (IFC) et visant à soutenir le commerce, l’investissement et l’emploi en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone. Pour plus d’informations : www.worldbank.org/ebola
Cette enquête vient compléter une analyse publiée précédemment par le Groupe de la Banque mondiale, selon laquelle la poursuite de la flambée épidémique dans les trois pays les plus touchés et sa propagation aux pays voisins pourraient se traduire, sur deux ans, par des pertes économiques de l’ordre de 32,6 milliards de dollars d’ici à la fin 2015 à l’échelle régionale et porter ainsi un coup très dur à des États déjà fragiles.