Cette tribune a été publiée dans Jeune Afrique le 5 novembre 2024.
Mohamed Ould El-Ghazaouani, Président de la République Islamique de Mauritanie
Mahamat Idriss Déby, Président de la République du Tchad
Ousmane Diagana, Vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre
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Le Sahel est une vaste région qui s’étend du littoral Atlantique en Mauritanie et au Sénégal, jusqu’à la vallée du Nil au Soudan. C’est un lieu de passages et de mouvements, un lieu d’arrivées et de départs, un lieu d’échanges et de commerce. Dense en activités humaines, plaque tournante de l’intégration régionale en Afrique sub-saharienne, ce territoire est essentiel à quelques 212 millions d’habitants, et au-delà de ses frontières naturelles, pour l’économie et la stabilité de l’Afrique de l’Ouest.
Toutefois, depuis les grandes sécheresses des années 1970, le Sahel est le lieu d’une succession de crises récurrentes et interdépendantes, tour à tour climatiques avec sécheresses, inondations, ou invasions acridiennes ; environnementales avec la désertification ; alimentaires avec les famines ; économiques ou sécuritaires. Au cours des six premiers mois de 2024, plus de 3 000 civils ont été tués par violence, un chiffre en augmentation de 25% comparé aux six mois précédents. Alors que nous écrivons ces lignes, les pluies torrentielles et les inondations qui affectent cet espace géographique ont sinistré plus de 2,5 millions de ses habitants et causé la mort d’au moins 900 personnes.
Les éleveurs : figures emblématiques et champions de la résilience du Sahel
Dans ce contexte, la résilience des sociétés sahéliennes est rudement mise à l’épreuve par les répercussions conjuguées des crises multiples. Les vastes territoires où vivent les communautés pastorales font l’objet de pressions aggravées par l’expansion marquée des activités agricoles et la croissance démographique, et par une insécurité civile accablante qui traverse les frontières. Autant de tensions qui contribuent à accentuer la stigmatisation des éleveurs pastoraux.
Pourtant ces éleveurs, figures emblématiques du Sahel, sont les mieux placés pour s’adapter à l’évolution de l’espace sahélien. Leur flexibilité face aux différents contextes et leur capacité à tirer parti de façon optimale des ressources naturelles disponibles en font des champions toutes catégories de la résilience. En renforçant leur capacité d'adaptation, nous pouvons non seulement améliorer leur qualité de vie, mais aussi contribuer à la prospérité des communautés sahéliennes.
Un puissant facteur d’intégration économique régionale
Le pastoralisme revêt une importance économique considérable pour le Sahel. Il assure la sécurité alimentaire et nutritionnelle, en fournissant 90% de la viande rouge et 70% du lait. Il contribue également à la gestion durable des ressources naturelles et à la lutte contre le changement climatique sur plus de 3 millions de km², tout en générant des revenus aux pasteurs et agro pasteurs. Ce mode d’existence dont dépendent directement plus de 20 millions de personnes dans les pays du Sahel est un atout majeur et un puissant facteur d’intégration économique régionale.
Plus de dix ans après les déclarations de Ndjamena et de Nouakchott sur le pastoralisme que nous avions portées ensemble en 2013, et avec plus d’un milliard de dollars d’investissements par les pays et leurs partenaires, l’heure du bilan a sonné. Nous saluons les nombreux progrès réalisés dans les domaines clés que sont la gestion durable des ressources naturelles, le développement de la production animale et des infrastructures de commercialisation, la santé animale, l’inclusion sociale des éleveurs, en particulier des femmes et des jeunes, et le renforcement des institutions nationales chargées de l’élevage.
Cependant, le bilan des politiques et projets mis en œuvre apparaît en demi-teinte. Certains défis demeurent, et de nouveaux se dressent sous nos yeux. On peut citer, entre autres, l’aggravation de l’insécurité et de la violence, la réduction des espaces pastoraux, l’urbanisation galopante, et l’amplification des contraintes climatiques.
D’une « transhumance apaisée » à des « territoires apaisés »
Malgré ces défis, le pastoralisme et la mobilité sont au cœur du développement des territoires ruraux du Sahel, comme des pays côtiers. Les affronter implique des réformes de gouvernance complexes du secteur de l’élevage. Le pastoralisme au Sahel dépasse le cadre géographique et sectoriel au travers duquel il a été abordé jusqu’à présent et il importe maintenant d’évoluer d’une logique de « transhumance apaisée » à une logique de « territoires apaisés ». C’est tout le sens de notre partenariat ouvert et renouvelé.
Le forum qui se tiendra à Nouakchott dans les prochains jours nous offre l’opportunité d'explorer des solutions innovantes pour revitaliser le pastoralisme et l'élevage au Sahel, et partout en Afrique de l'Ouest. Notre ambition, plus que jamais, est de porter plus d’attention à ce secteur capital, et de renforcer nos actions pour bâtir un avenir florissant et serein pour une population qui devrait atteindre près de 514 millions d’habitants d’ici 2030.