Par Carlos Felipe Jaramillo, Vice-Président de la Banque mondiale pour la région Amérique Latine et Caraïbes
Il y a un célèbre proverbe haïtien, « Se lè ou nan bezwen, ou konn ki moun ki zanmi ou », cela signifie qu'un véritable ami sera toujours prêt à vous soutenir dans les moments les plus difficiles. S'il est vrai que les Haïtiens ont subi de terribles malheurs ces dernières années et que d'énormes défis subsistent, il existe de nombreuses bonnes raisons d'espérer – et j’ai profité de ma récente opportunité de voyager en Haïti pour promettre notre soutien continu à la reprise résiliente du pays.
C'est le message que j'ai porté lors de ma récente visite, ma première depuis que je suis devenu vice-président de la Banque mondiale pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Au cours de mon voyage, j'ai été frappé par tout ce qui peut être accompli même dans des circonstances les plus accablantes.
Le tremblement de terre de 2021 en est un exemple. Haïti a été frappée par un tremblement de terre majeur, avec un énorme bilan humanitaire et économique. Depuis lors, la Banque mondiale a travaillé dur avec le gouvernement d'Haïti dans trois domaines clés pour assurer une réponse rapide et ciblée. Tout d'abord, dans la collecte de renseignements. En deux semaines, grâce à l'imagerie et des techniques à distance, nous avons identifié, analysé et préparé un rapport - Estimation Global Rapide des Dommages (GRADE) - mettant en évidence les principaux besoins de récupération. De plus, et en partenariat avec les Nations Unies et l'Union européenne, nous avons produit une évaluation des besoins post-catastrophe qui estimait que le tremblement de terre avait causé environ 2 milliards de dollars de dommages et de pertes, soit 11 % du PIB d'Haïti en 2019-2020.
Deuxièmement, nous avons aidé Haïti à mobiliser les ressources nécessaires pour agir. Nous avons mobilisé 200 millions de dollars supplémentaires pour la réponse au tremblement de terre et travaillons avec des donateurs et des partenaires pour fournir un total de 2 milliards de dollars au cours des trois prochaines années. Cette contribution à l'effort de redressement nous met sur la bonne voie pour fournir un financement record à Haïti au cours de cet exercice, près de 500 millions de dollars au total, bien plus que ce qui avait été initialement alloué.
Troisièmement, nous mettons maintenant toute notre énergie dans la mise en œuvre de l'effort de récupération. Il s'agit notamment de s'assurer que le financement nécessaire arrive aussi vite que possible et aux bons endroits. En collaboration avec le gouvernement, nous concentrons nos efforts en Haïti au cours de la prochaine année fiscale sur ce programme unique et extrêmement important.
Nous sommes conscients des préoccupations du passé - notamment en ce qui concerne le tremblement de terre de 2010 - que la communauté internationale peut parfois promettre plus qu'elle ne livre. Nous sommes fermement déterminés à faire en sorte que, même dans les circonstances difficiles actuelles, nous trouvions des solutions rapides et pragmatiques pour fournir une assistance à ceux qui en ont le plus besoin, y compris les plus vulnérables et dans les zones les plus reculées.
Le redressement d'Haïti est malheureusement confronté à deux réalités sur le terrain. Premièrement, la reprise se fait dans un contexte de détérioration de la situation sécuritaire. Beaucoup plus que le scénario politique incertain, le rétablissement de la sécurité est de la plus haute importance pour que le programme de la Banque mondiale en Haïti soit efficace. Pour y arriver, une collaboration étroite entre nos partenaires de développement - y compris les Nations Unies, les États-Unis et le Canada - serait nécessaire. Deuxièmement, le pays continue de lutter contre les impacts socio-économiques de la pandémie de COVID-19. Comme dans d'autres pays des Caraïbes, le chômage, la pauvreté et les inégalités ont augmenté en 2020 et 2021 en raison des mesures d’isolement et de confinement. Pour aider Haïti à sortir de l'ombre de la pandémie, des efforts sont en cours pour augmenter son taux de vaccination, le plus bas de la région, et ainsi réduire le taux de 60% d'Haïtiens qui hésitent à se faire vacciner.
Malgré ces défis, je garde espoir quant à l'avenir d'Haïti. La résilience dont les Haïtiens ont fait preuve face à la fragilité chronique et aux chocs récurrents a été vraiment inspirante. Haïti a une société civile active, une jeune population dynamique et une diaspora prospère qui conserve des liens étroits avec son pays d'origine, car les envois de fonds continuent de constituer un pilier clé du soutien économique.
En fait, la réponse au tremblement de terre de 2021 montre à quel point Haïti a avancé dans ce qui a pourtant été une décennie mouvementée depuis le tremblement de terre catastrophique de 2010.
J'ai été particulièrement heureux de voir le nouveau pont temporaire à l'entrée de Jérémie qui se construit en un temps record à côté de celui qui a été endommagé lors du tremblement de terre de l'année dernière. De toute évidence, des leçons ont été apprises des expériences précédentes sur la meilleure façon de faire face aux conséquences des catastrophes naturelles.
Les investissements dans le renforcement de la gestion des risques de désastre et de la protection civile ont eu un impact, notamment si l'on considère que la catastrophe a frappé dans des circonstances politiques profondément complexes, soit à peine un mois après l'assassinat tragique du président Jovenel Moïse.
A cela s'ajoutent une série d'autres améliorations de ces dernières années : dans la gestion des chocs sanitaires ; dans l'éducation ; dans les infrastructures, y compris les routes, l'eau et les énergies renouvelables ; et dans la gouvernance locale, notamment dans le domaine des finances publiques
Ensemble, nous avons un long chemin à parcourir. Nous devons continuer à travailler pour relever les défis conjoncturels et structurels afin d'éliminer la pauvreté et de stimuler la prospérité en Haïti.
Même ainsi, chaque crise engendre une opportunité. Tout porte à croire que la situation actuelle pourrait être un point d'inflexion. Pris ensemble, la résilience des Haïtiens ainsi que les progrès dans les domaines mentionnés et dans d'autres domaines - y compris comment la communauté internationale peut contribuer au développement d'Haïti - peut apporter une contribution inestimable pour mettre le pays sur une nouvelle voie plus prospère.
Publié pour la première fois dans le Miami Herald, le 30 mai.