Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA), deux personnes sur trois ont moins de 24 ans, ce qui représente environ 300 millions de jeunes. Ces nombreux jeunes pourraient être une source d’innovation et de transformation économique, mais il va falloir beaucoup d’audace et d’ambition pour lever les obstacles qui se sont accumulés. Dans la plupart des régions, l’éducation constitue un moyen d’ascension sociale et économique. Cependant, dans le monde arabe, les diplômés de l’université ont encore moins de chances de trouver un emploi que les personnes peu instruites. Environ 30 % des jeunes détenant un diplôme universitaire sont au chômage en Égypte, et près de 40 % en Tunisie.
La solution pour exploiter le potentiel de ces 300 millions de jeunes se trouve au bout de leurs doigts, à savoir sur leur smartphone : alors que, dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les jeunes ont accès à des services et des produits en ligne, et peuvent transférer facilement de l’argent par voie électronique, dans le monde arabe, les jeunes souffrent généralement d’exclusion à cause d’un système de télécommunications sur-réglementé, qui ne suit pas le rythme des bouleversements rapides que l’on observe dans le reste du monde. La jeunesse arabe souffre de l’insuffisance de la bande passante par abonné, la plus faible au monde, et le taux d’utilisation de comptes d’argent mobile est plus élevé en Afrique de l’Est que dans la région MENA. Les jeunes Arabes utilisent couramment Facebook et Instagram, mais quasiment pas PayPal.
Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les jeunes savent très bien utiliser les technologies numériques, ils sont hyperactifs sur les réseaux sociaux, et le nombre de téléphones portables est plus élevé parmi eux qu’ailleurs dans le monde. Ce fossé entre un vaste potentiel numérique inexploité et le manque d’accès à un réseau Internet de qualité et à des comptes d’argent mobile prive le monde arabe et sa population jeune d’opportunités considérables de dynamiser la croissance économique, de constituer des entreprises et de créer des emplois.
Comment remédier à cette situation ? En 1961, John F. Kennedy a fixé un objectif pour les États-Unis : envoyer un homme sur la Lune d’ici la fin de la décennie. Nous souhaiterions mettre au défi les dirigeants du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord pour qu’ils en fassent autant et qu’ils fixent la trajectoire qui permettrait de donner un avenir à des millions de jeunes technophiles.
Pour ce faire, les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord devraient se concentrer sur deux objectifs concrets à atteindre d’ici 2020. Premièrement, ils doivent se doter d’un réseau Internet moderne, à haut débit, couvrant l’ensemble de la région, y compris les zones économiquement en retard. Ils pourraient, pour cela, s’inspirer du modèle élaboré par l’Inde, qui consiste à offrir un accès gratuit à Internet pendant un certain temps, de façon à en démultiplier les effets positifs sur la croissance économique et l’emploi. Deuxièmement, ils doivent mettre en place une infrastructure et un cadre réglementaire favorisant le transfert d’argent électronique au moyen d’appareils mobiles et d’Internet. Cette infrastructure pourrait être fournie par des opérateurs télécoms, des banques et d’autres acteurs.
Il est temps que les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord rattrapent leur retard numérique et permettent à leur population jeune de saisir les opportunités offertes par la Nouvelle économie. Contrairement aux pays d’Amérique latine ou d’Asie de l’Est, qui ont fortement encouragé la concurrence et la libéralisation dans le secteur des télécommunications, les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont opté pour un changement selon une approche très progressive, et inefficace. Ils devraient s’inspirer de pays comme le Kenya, dont le modèle — une réglementation légère mais efficace — a favorisé l’expansion rapide du système de paiement M-Pesa qui ne nécessite aucun intermédiaire financier, tel qu’une banque.
Bien sûr, l’amélioration de l’accès à Internet et l’instauration de systèmes de paiement mobile ne résoudront pas tous les problèmes du monde arabe, et ne répondront pas non plus complètement aux aspirations de sa jeunesse. Mais une trajectoire propre aux pays de la région pourrait réunir les pouvoirs publics et les jeunes derrière un objectif commun, et transformer la manière dont les administrations publiques, les entreprises, la société civile et les jeunes entrepreneurs mènent leurs activités et collaborent sur Internet. L’une des grandes solutions pour stimuler l’emploi et la croissance au Moyen-Orient et en Afrique du Nord se trouve au bout des doigts des millions de jeunes qui utilisent chaque jour WhatsApp, Instagram, Facebook, Twitter. Il est temps que les jeunes vivant dans le monde arabe aient les mêmes chances que les autres jeunes de réussir grâce à Internet, et que les pays de la région fixent la trajectoire qui les propulsera vers l’avenir.
Ferid Belhaj est le vice-président de la Banque mondiale pour la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord
Rabah Arezki est l’économiste en chef de la Banque mondiale pour la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord