L’Afrique peut-elle sauter des étapes pour accélérer son développement et s’imposer comme le royaume de l’innovation ? Cette question est au moins aussi vieille que l’iPhone 1. Il est en tout cas évident que la technologie et l’innovation sont en train de transformer le continent.
Tout le monde a entendu parler de M-Pesa, ce service de paiement par téléphone portable qui, comme l’iPhone, vient de fêter sa dixième année d’existence et qui a, de facto, propulsé le Kenya au rang de leader mondial de la banque mobile. En Afrique subsaharienne, le téléphone portable fait désormais office de banque pour des millions de personnes qui n’avaient aucun espoir de pouvoir un jour ouvrir un compte bancaire traditionnel.
En appuyant sur un simple bouton, les petits exploitants peuvent déterminer le prix de vente de leur production. Mais le téléphone portable sert aussi à acheter de l’énergie solaire, à passer un électrocardiogramme grâce à une tablette médicale au fin fond du Cameroun ou à livrer du sang par drone au Rwanda.
Des lacunes inacceptables
Toutefois, ces réussites masquent une réalité moins radieuse. Plusieurs conditions sont nécessaires pour faire de l’Afrique une terre d’innovation : investir massivement dans les infrastructures, instaurer une réglementation favorable à de nouveaux modèles économiques et, bien entendu, mettre l’accent sur la recherche et le développement, ainsi que sur la science et la technologie.
Lors d’un voyage dans la province du Guangdong, en Chine, il y a quelques années, j’ai visité l’une des plus grandes usines d’assemblage de téléphones portables au monde. J’ai été surpris de constater que presque tous les jeunes ouvriers que j’ai rencontrés n’avaient qu’un diplôme de fin d’études secondaires mais s’y connaissaient probablement mieux en informatique que la plupart des Africains diplômés d’université.
De fait, l’innovation requiert une main-d’œuvre suffisamment formée et un système éducatif solide. Selon le Rapport sur le développement dans le monde consacré à l’éducation, en Afrique la majorité des enfants qui rentrent en sixième ont d’énormes lacunes en lecture et en maths. Ceci est inacceptable.
Le Kenya est parvenu à raccorder des écoles rurales très isolées au réseau électrique et à leur fournir un accès à Internet. En 2016, 95 % des écoles du pays avaient l’électricité, contre seulement 43 % en 2013. Plus de 90 000 enseignants ont reçu une formation à l’éducation numérique et l’apprentissage en ligne a été introduit dans plus de 18 000 écoles primaires. Ces investissements porteront leurs fruits.
N’oublions pas non plus qu’en Afrique, la moitié des adultes ne sont jamais allés à l’école ou ont uniquement fréquenté l’enseignement primaire. Si l’on veut que personne ne reste sur le bord du chemin, il faut doter ces adultes de compétences informatiques de base. La technologie évolue à un rythme tel que les pays ne peuvent se contenter de rattraper leur retard (la moitié des pays affichant les vitesses de connexion à Internet les plus faibles se trouvent en Afrique subsaharienne).
Faire preuve d’audace
D’Accra à Dar es-Salaam, rien ne semble pouvoir arrêter les jeunes qui ont accès à Internet… dès lors qu’ils disposent des financements pour déployer tout leur potentiel. Rappelons que les start-up africaines ont levé 129 millions de dollars (environ 122 millions d’euros) de financements en 2016. Il s’agit certes d’un montant honorable, mais ce n’est qu’une goutte d’eau par rapport aux sommes dont ils auraient besoin.
Sur l’ensemble du continent, je rencontre des jeunes entrepreneurs talentueux, qui sont en train de changer leur pays, start-up après start-up. Dès qu’ils voient un problème, ils essaient d’y remédier. En trouvant des solutions locales, ils pourraient devenir l’une des principales sources de création d’emplois dans leur pays. Qu’il s’agisse de petites start-up ou de grands projets d’infrastructures visant à électrifier le continent, par exemple, le principal obstacle reste souvent le manque de financements.
Les énergies renouvelables confèrent à l’Afrique une occasion unique de se développer. Saura-t-elle la saisir ? Elle devra investir massivement dans ce secteur, moderniser les entreprises publiques, la réglementation et les moyens de financement. Des mécanismes de financement non conventionnels peuvent s’avérer utiles, par exemple dans le domaine des infrastructures. La Banque mondiale a un rôle à jouer dans ce processus : nous atténuons le risque pays à l’aide de différents outils, tels que les garanties, ce qui permet d’attirer des investissements internationaux de qualité et des financements locaux.
Toutes les tentatives n’aboutiront pas. Les pays africains, le secteur privé et les partenaires de développement doivent être prêts à prendre des risques et à apprendre de leurs échecs. Mais une chose est sûre : nous devons faire preuve d’audace et considérer les obstacles comme des opportunités. Ce n’est qu’ainsi, et en créant un environnement propice à la diffusion des technologies, que l’Afrique pourra mettre à profit l’innovation et s’approprier le XXIe siècle.
Cette tribune a été publiée dans Le Monde