Idealisoa Ravaohelimanana, 25 ans et mère de deux enfants, se rend régulièrement au centre de nutrition communautaire du village d’Andafiavaratra pour contrôler la croissance de son bébé, Tinah, 18 mois. Elle envoie également son fils de quatre ans à l’école maternelle, car elle estime que cela le rend plus éveillé et plus curieux que les autres enfants.
Les mères ont toujours su et senti qu’il est important d’investir dans les premières années de la vie de leurs enfants, sans toujours comprendre pourquoi. Aujourd’hui, de plus en plus d’études scientifiques et économiques montrent que ce qui se passe chez les enfants entre le moment de leur conception et leur cinquième anniversaire – leur état de santé et de nutrition, la nature des soins qui leur sont apportés, leur exposition à la langue, leur exposition au stress – a un impact profond sur leur capacité d’apprentissage future, leur capacité à interagir avec les autres et même leurs revenus à l’âge adulte. En fin de compte, cela a une incidence sur l’accumulation de capital humain et la compétitivité des pays.
Certes, nous ne savons pas quelles seront les nouvelles technologies et les découvertes scientifiques qui vont remodeler le monde au cours des prochaines décennies, mais une chose est certaine : les économies du futur auront besoin d’une main-d’œuvre capable de raisonner, d’analyser, de collaborer et de s’adapter rapidement au rythme de l’innovation.
Or, en dépit de ces conséquences évidentes, des millions d’enfants ne sont pas en mesure de réaliser pleinement leur potentiel en raison d’une nutrition insuffisante, d’une stimulation et d’un apprentissage précoces inadéquats, ou de l’exposition à la violence et à l’abandon. À l’échelle mondiale, 25 % des enfants de moins de cinq ans présentent des signes de malnutrition chronique, souffrent d’un retard de croissance, et ne connaissent pas encore l’école maternelle. À Madagascar, 47% des enfants de moins de cinq ans ont un retard de croissance, et 28 % des enfants fréquentent l’école maternelle.
Cela implique que le pays ne pourrait pas atteindre son développement économique sur le long terme. S’il n’optimise pas les capacités de ses ressources humaines, un pays ne peut ni transformer durablement la trajectoire future de sa croissance et de sa compétitivité ni préparer sa population active aux emplois les plus qualifiés du futur. Les enfants qui bénéficient de soins de santé de qualité, d’une bonne nutrition, de l’apprentissage précoce et d’éducation sont bien équipés pour acquérir des connaissances et gagner un revenu plus élevé une fois adultes.
L’État malgache a conscience qu’il faut prendre des mesures drastiques pour inverser la tendance et pouvoir tirer bénéfice de ces avantages. L’État se montre de plus en plus déterminé, non seulement à accroître les investissements stratégiques dans la jeune enfance (il a élargi la couverture de l’enseignement préscolaire, passée de 9 % à 28 % en 2015) mais aussi à essayer de s’inspirer des pays qui ont rencontré du succès dans ce domaine.
En avril dernier, par exemple, une délégation de Madagascar s’est rendue au Pérou pour appendre des autorités de ce pays comment elles se sont prises pour réduire de moitié la malnutrition chronique en moins d’une décennie. L’exemple du Pérou qui a réussi à combattre le retard de croissance a montré au reste du monde que beaucoup peut être fait en peu de temps.
D’autres succès nous parviennent aussi d’autres pays africains. Les stratégies nationales les plus efficaces sont celles qui donnent aux familles du temps, des ressources et des aptitudes à prendre soin de leurs enfants et de leur offrir une bonne nutrition, des soins de santé de qualité et de l’education. Elles ciblent un ensemble d’interventions à grands impacts sur les jeunes familles les plus vulnérables et optimisent la prestation de services.
Le Sénégal est l’un des pays où ce modèle a fait ses preuves. Sous la houlette des plus hauts dirigeants politiques, ce pays a mis en place un système de prestation de services peu onéreux et a travaillé en coordination avec des ONG et un vaste réseau de bénévoles communautaires afin de ramener le taux de retard de croissance qui était supérieur à 30 % à la fin des années 1990 à environ 18-19 % en 2014, l’un des plus bas en Afrique subsaharienne.
Que faudra-t-il faire pour que Madagascar emboîte le pas ? La première leçon à retenir est que l’investissement dans l’enfance constitue un tout, une vaste entreprise faisant appel à une approche impliquant toutes les composantes de l’État et permettant de coordonner la prestation de services essentiels dans tous les secteurs – santé, nutrition, éducation, protection sociale, eau et assainissement. En second lieu, on retiendra que les gouvernements peuvent y arriver d’une manière plus efficace et plus rapide en travaillant avec la société civile, le secteur privé, les partenaires au développement.
La valorisation du capital humain est au cœur de la stratégie adoptée par le Groupe de la Banque mondiale pour mettre fin à l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée. Et ce n’est pas seulement parce que l’institution sait qu’investir dans l’être humain – à commencer par les jeunes enfants – répond à un besoin moral, mais aussi parce qu’elle a conscience que c’est la chose intelligente et stratégique à faire. Le capital humain représente jusqu’à deux tiers de l’écart de revenu entre les économies nationales. Comme des investissements intelligents et opportuns dans les premières années de la vie jouent un rôle central dans la trajectoire de croissance des pays, nous sommes ravis d’aider Madagascar à redoubler d’efforts à ce stade clé du cycle de la vie. Tout simplement parce que nous restons convaincus qu’en investissant à ce stade précoce, on obtient des personnes en bonne santé, instruites, productives et résilientes, capables, à leur tour, d’entretenir des enfants plus forts, des ménages plus solides et des économies plus fortes.