Si l’Afrique subsaharienne a enregistré aux cours des dernières décennies des taux de croissance à faire pâlir d’envie les pays développés, le niveau de vie des populations africaines n’a pas connu la même embellie. Selon les estimations les plus récentes de la Banque mondiale, le pourcentage d’Africains vivant dans la pauvreté extrême est passé de 56 % en 1990 à 43 % en 2012 : un déclin encourageant mais bien entendu insuffisant. Sur le front de la lutte contre la pauvreté, l’Afrique peut et veut mieux faire.
Car ce déclin du taux de pauvreté en Afrique masque une réalité difficile à ignorer : en raison d’une croissance démographique fulgurante, l’Afrique est la région qui concentre aujourd’hui le plus grand nombre de pauvres. Selon nos projections les plus optimistes, alors que l’Afrique recensait 280 millions de pauvres en 1990, elle en comptait 330 millions en 2012. En 1990, c’était l’Asie de l’Est qui abritait la moitié des pauvres de la planète, l’Afrique subsaharienne ne représentant que 15 % du total. La tendance s’est donc inversée, la plupart des pays d’Afrique continuant d’afficher des taux de fécondité de quatre enfants ou plus.
Que cachent les chiffres ?
« Poverty in a Rising Africa », un nouveau rapport de la Banque mondiale publié le 16 octobre, effectue un état des lieux de la pauvreté et des inégalités en Afrique sur la base des données disponibles. En l’absence de statistiques fiables, la tâche est compliquée. En 2012, seuls 25 pays d’Afrique subsaharienne sur 48 avaient réalisé au moins deux enquêtes sur la consommation des ménages au cours de la dernière décennie. L’absence de données fiables et comparables contribue également à masquer des réalités plus complexes, l’Afrique étant tout sauf un continent homogène.
Un pays comme le Ghana, l’un des rares pays d’Afrique à mener régulièrement des enquêtes auprès des ménages, a par exemple enregistré une baisse spectaculaire de son taux de pauvreté qui est passé de 50 % de la population en 1991 à 21 % en 2012. Fait peu surprenant : les populations des pays affectés par les conflits continuent de payer un lourd tribut, les Etats fragiles ou en conflit enregistrant une réduction de la pauvreté inférieure de quinze points de pourcentage à celle des autres pays d’Afrique pendant la période étudiée. Fait paradoxal : les habitants des pays riches en ressources naturelles semblent bien moins lotis que les autres. Preuve, s’il en faut, que dans la lutte contre la pauvreté, la croissance économique est une condition nécessaire mais non suffisante. Manque à cette équation une meilleure répartition des richesses.
Les indicateurs non monétaires de la pauvreté sont également à la hausse, à en croire les données du rapport, le taux d’alphabétisation des adultes gagnant par exemple quatre points de pourcentage, l’espérance de vie augmentant de six ans et la prévalence de la malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans déclinant de six points. Mais le bien-être des populations africaines passe aussi par le renforcement des filets sociaux, un fait dont les dirigeants africains ont conscience, de plus en plus nombreux étant les Etats à mettre en place des systèmes efficaces de protection sociale. On connaît le rôle fondamental joué par les femmes dans la lutte contre la pauvreté et ces dernières ont de plus en plus leur mot à dire dans la vie politique et économique des pays africains.
Importantes disparités
En matière d’inégalités, le portrait reste un peu plus flou : l’Afrique recense sept des dix pays les plus inégalitaires de la planète, mais si l’on exclut ces pays et en tenant compte des niveaux de PIB, les inégalités ne semblent pas plus élevées en Afrique qu’ailleurs. On assiste cependant à une augmentation impressionnante du nombre d’Africains très fortunés et d’importantes disparités subsistent entre les zones urbaines et rurales et les régions.
Ces données nous aident à brosser un portrait d’un continent aux multiples visages et à interpréter ce paradoxe apparent d’un continent en plein essor qui peine pourtant à faire fléchir ses taux de pauvreté. Plus que jamais, la constitution d’une base de données fiable sur l’Afrique est un outil indispensable à la lutte contre la pauvreté. À l’occasion du lancement de ce rapport sur la pauvreté en Afrique subsaharienne, la Banque mondiale a donc annoncé une initiative qui permettra aux 78 pays les plus pauvres de la planète – plus de la moitié étant localisés en Afrique – de réaliser des enquêtes de qualité auprès des ménages, tous les trois ans.
Le fait de disposer de meilleures données sur l’évolution de la pauvreté permettra aux gouvernements de mettre en place des politiques mieux adaptées. Et aux citoyens de faire pression sur leurs gouvernements pour qu’ils s’investissent dans le combat contre la pauvreté.
Miser sur l’agriculture et les énergies renouvelables
Chaque année, entre 2015 et 2035, près de 5 millions de personnes supplémentaires auront 15 ans, passant ainsi du cap de l’enfance à celui de la jeunesse alors que dans le reste du monde, la population vieillira. Dividende démographique ou bombe à retardement ? Une chose est sure : l’Afrique ne pourra gagner son combat contre la pauvreté que si elle investit massivement dans le capital humain et crée des emplois pour ses jeunes.
Portée par le boom des matières premières, la croissance en Afrique ne s’est pas accompagnée d’une hausse significative de la productivité dans les secteurs dont les populations les plus vulnérables dépendent pour leur survie. Pour réduire la pauvreté, on ne peut délaisser le secteur agricole. La raison est simple : plus de trois quarts des pauvres en Afrique travaillent dans l’agriculture. Dans un pays comme le Rwanda, on estime d’ailleurs que l’expansion de la production agricole a contribué à hauteur de 35 % à la réduction de la pauvreté au cours des dix dernières années. L’agriculture représente une aubaine pour l’Afrique qui dispose de terres fertiles, d’eau et de main-d’œuvre en abondance.
Accélérer la lutte contre la pauvreté
La chute du cours des matières premières et le ralentissement de la croissance en 2015 donnent aux pays africains une occasion unique d’accélérer la lutte contre la pauvreté en mettant en œuvre des réformes visant à stimuler la productivité agricole et étendre l’accès des populations vulnérables à une électricité fiable et bon marché. Il serait en effet illusoire d’imaginer que nous parviendrons à endiguer la pauvreté en Afrique sans mettre fin à la pauvreté énergétique. Seul un Africain sur trois a aujourd’hui accès à l’électricité. Et en l’absence d’investissements gigantesques (estimés à 40 milliards par an), moins de six Africains sur dix auront accès à l’électricité en 2030. Des chiffres qui en disent long.
À l’approche de la COP 21, il est temps de mobiliser nos énergies pour que l’Afrique soit au centre de la stratégie mondiale sur le climat, le changement climatique affectant de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables du continent. L’Afrique dispose d’un des plus grands potentiels hydroélectriques et géothermiques au monde, de réserves de gaz naturel considérables et d’abondantes ressources solaires. Elle peut donc contribuer au bien public qu’est la lutte contre le changement climatique tout en œuvrant à endiguer la pauvreté.