La Jordanie comptera un Syrien pour six Jordaniens d’ici la fin de l’année. Ce chiffre frappant est un exemple parmi d’autres des répercussions de la guerre civile syrienne sur les pays voisins où environ 1,5 million de Syriens se sont réfugiés et où d’autres continuent d’affluer chaque jour en quête de sécurité. Ce chiffre devrait inciter la communauté internationale à agir.
La Banque mondiale a approuvé une contribution de 150 millions de dollars pour aider la Jordanie à atténuer les pressions qui s’exercent de façon croissante sur la population vivant près de la frontière syrienne et à Amman, la capitale. Une grande partie des réfugiés syriens présents en Jordanie se trouve non pas dans des camps mais dans des zones urbaines, hors de portée de l’aide directe des Nations Unies et d’autres bailleurs de fonds. On estime qu’environ 70 % d’entre eux sont hébergés dans des collectivités locales, une situation qui pèse lourdement sur les ressources publiques.
À Mafraq, ville située au nord-est d’Amman, le gonflement de la population, passée de 90 000 à 200 000 personnes en l’espace de quelques mois, met les services publics à rude épreuve. Bien que le volume des déchets ait fortement augmenté, la ville ne dispose que de six compacteurs pour les traiter ; dans les établissements scolaires, les effectifs ont quasiment doublé et les classes alternées sont devenues courantes dans le nord, où les écoles ouvrent leurs portes à l’aube et les ferment à la nuit tombée. Le maire et le gouverneur craignent que les chaleurs estivales n’épuisent des ressources en eau déjà limitées et ne poussent les services de santé et d’assainissement aux limites de leurs capacités.
Éprouvés au niveau des ressources publiques, les Jordaniens le sont aussi sur les marchés. Les prix des produits alimentaires ont augmenté, les loyers ont parfois triplé et la concurrence sur le marché du travail fait baisser les salaires. On voit aisément comment ces facteurs peuvent attiser les tensions entre citoyens jordaniens et réfugiés syriens.
Lors d’un entretien que j’ai eu récemment avec le roi Abdallah de Jordanie, nous avons parlé de la façon dont le Groupe de la Banque mondiale pouvait venir en aide au pays. Le souverain a réaffirmé la volonté de la Jordanie de garder ses frontières ouvertes et d’aider les réfugiés syriens, que son gouvernement, a-t-il précisé, prend en compte dans les services qu’il fournit à ses propres citoyens. Il me semblait évident que la communauté internationale devait faire en sorte que la Jordanie ne porte pas ce fardeau seule. Les mêmes besoins se font sentir au Liban et en Turquie, eux aussi confrontés à un afflux de réfugiés en provenance de Syrie.
À la suite de la rencontre avec le roi Abdallah, les services de la Banque mondiale ont travaillé avec les autorités jordaniennes pour déterminer avec précision où les services publics étaient le plus mis à l’épreuve. Il est apparu que le secteur de la santé avait besoin d’un soutien immédiat. Depuis janvier 2012, le nombre de réfugiés syriens ayant besoin de soins de santé primaires est passé d’une soixantaine à 16 000. Les admissions dans les hôpitaux ont bondi de 300 à plus de 10 000. Des maladies transmissibles comme la tuberculose, la polio et la rougeole — qui avaient disparu en Jordanie — commencent à réapparaître. Les stocks de médicaments et de vaccins sont tombés à des niveaux dangereusement bas.
Tandis que le carnage se poursuit en Syrie et que les dirigeants de la planète plaident en faveur d’une résolution du conflit, il existe, en dehors de la sphère politique, des domaines essentiels où la communauté internationale peut intervenir rapidement et efficacement.
Tout d’abord, il est fondamental de maintenir — et de renforcer — le soutien apporté au travail que l’Organisation des Nations Unies accomplit courageusement en faveur des Syriens venus chercher refuge dans les camps de Jordanie, de Turquie et d’Iraq. Il convient aussi d’aider pleinement le gouvernement libanais et les partenaires internationaux à accueillir et à assister les réfugiés au Liban. Il faut absolument que ces efforts se poursuivent et que les bailleurs de fonds continuent de prêter leur appui aux opérations visant à sauver des vies.
Ensuite, il est très important que nous cherchions à prêter main-forte aux pays voisins qui viennent à l’aide des victimes du conflit syrien. Veillons à ce que les hostilités ne se propagent pas davantage. Le soutien que nous apportons à la Jordanie lui permettra de renforcer son budget de santé et de distribuer des denrées alimentaires de base et des produits de première nécessité aux catégories les plus pauvres de sa population. Toutefois, les pressions qui pèsent sur les services destinés aux ressortissants jordaniens et aux réfugiés continueront de s’accentuer. Il faudra bientôt traiter d’urgence les problèmes d’éducation, d’approvisionnement en eau, d’assainissement et de traitement des déchets, avec le concours des bailleurs de fonds.
Enfin, nous devons travailler encore plus étroitement avec les autorités des villes frontalières jordaniennes pour les aider à renforcer leur capacité à dispenser des services publics de base. Par ailleurs, nous travaillons plus que jamais en étroite collaboration avec les Nations Unies pour trouver le juste équilibre entre la fourniture immédiate d’aide humanitaire de première intervention et les efforts d’apaisement, de redressement et de reconstruction dont les pays ont besoin à plus long terme pour se relever d’un conflit.
L’impératif de changement qui submerge le monde arabe suscite de grands espoirs, mais exacerbe aussi les divisions, anciennes ou récentes. Tandis que les dirigeants mondiaux exhortent tous les belligérants à mettre fin à la violence et à recourir à des moyens pacifiques, la communauté internationale doit agir rapidement là où elle peut apporter une aide ciblée en temps opportun (comme dans le cas de la Jordanie) de sorte que les gens puissent se sentir en sécurité et sauvegarder leurs aspirations.
Publié initialement dans la section « Global Development » du Guardian en ligne.