Peu de défis du développement en Afrique sont aussi urgents et controversés que la propriété foncière et l’écart persistant dans ce domaine entre les communautés riches et pauvres.
Du fait de la profonde mutation démographique en Afrique, marquée par l’exode vers les villes où la moitié de la population du continent vivra à l’horizon 2050, ces écarts deviendront de plus en plus prononcés, au moment où les gouvernements et les communautés relèvent le défi consistant à produire suffisamment de denrées alimentaires nutritives pour permettre à toutes les familles de prospérer sur le continent.
Dans certains pays de la région, ces écarts — accompagnés par des taux élevés de pauvreté et un chômage généralisé — sont devenus suffisamment larges pour compromettre la croissance partagée et la cohésion sociale.
Les femmes sont particulièrement vulnérables. Elles représentent jusqu’à 70 % des exploitants agricoles en Afrique et pourtant, elles sont pour la plupart exclues de la propriété foncière par les lois coutumières. Dépourvues de titre de propriété sur la terre qu’elles exploitent, les femmes ne peuvent pas mobiliser l’argent dont elles ont besoin pour augmenter leurs maigres récoltes ou relever leur niveau de vie. Cet héritage préjudiciable perpétue la pauvreté et pèse sur la vie des femmes qui occupent et continueront d’occuper une place centrale dans l’agriculture.
De nombreux pays dans le monde ont été confrontés au défi de la privation des terres et de l’inégalité de la propriété foncière. Toutefois, en Afrique, qui compte 202 millions d’hectares soit la moitié de la totalité des terres fertiles utilisables non cultivées du monde, la situation est aggravée par une productivité agricole extrêmement basse — 25 % seulement du potentiel.
Malgré cette abondante richesse en terres et en minerais, la majeure partie de l’Afrique demeure pauvre et trop peu de pays ont été en mesure de faire en sorte que leur croissance économique rapide se traduise par une réduction sensible de la pauvreté et une multiplication des opportunités.
Un nouveau rapport de la Banque mondiale intitulé « Securing Africa’s Land for Shared Prosperity: a Program to Scale Up Reforms and Investments », qui vient à point nommé, laisse supposer que la mauvaise gouvernance des terres, système qui régit les droits fonciers, pourrait être la cause principale de ce grave problème.
Ainsi, les pays africains, dans leur vaste majorité, utilisent les systèmes d’administration foncière dont ils ont hérité à l’indépendance, ainsi que des techniques d’arpentage et de cartographie qui sont désuètes.
Il n’est guère surprenant que 10 % seulement des terres rurales en Afrique soit enregistré. Les 90 % restant sont sans titre et administrés de manière informelle, et peuvent ainsi faire l’objet d’accaparement, d’expropriation sans compensation équitable et de corruption. Une fois de plus, ces conséquences pèsent le plus sur les agricultrices qui nourrissent souvent leur famille.
Les terres sans titre posent également un problème dans les villes africaines, devenues la destination des millions d’anciens habitants de zones rurales. Les habitants des villes d’Afrique en plein essor ont besoin d’un accès assuré aux terrains pour vivre légalement sans crainte d’expulsion.
C’est ici qu’une législation foncière renforcée, conjuguée à une reconnaissance juridique des droits des squatters sur les terrains publics, améliorerait sensiblement la vie des familles pauvres et leur capacité à entretenir les jardins communaux, améliorer l’agriculture urbaine et gérer des entreprises rentables.
Heureusement, il existe dans le monde des exemples de pays qui ont amélioré la gouvernance des terres et révolutionné l’agriculture. Par exemple, en 1978, la Chine a démantelé les fermes collectives et utilisé les baux à long terme pour accorder des droits fonciers aux ménages, ce qui a donné naissance à une ère de croissance agricole prolongée qui a transformé la Chine rurale et entraîné la plus grande réduction de la pauvreté de l’histoire. En Argentine, en Indonésie et aux Philippines, la reconnaissance juridique des droits fonciers des résidents des bidonvilles a amélioré la qualité de leur logement et la valeur de leurs lots.
Se fondant sur cette expérience au plan mondial et des données encourageantes collectées dans le cadre de projets pilotes dans des pays comme le Ghana, le Malawi, le Mozambique, l’Ouganda et la Tanzanie, ce nouveau rapport préconise une série de dix mesures qui pourraient contribuer à révolutionner la production agricole et éradiquer la pauvreté en Afrique. Ces mesures consistent notamment à améliorer la sécurité des droits fonciers sur les terres individuelles et communales, renforcer l’accès à la terre et les droits fonciers des familles pauvres et vulnérables, régler les différends fonciers, mieux gérer les terres publiques et renforcer l’efficacité et la transparence des services d’administration foncière.
La mauvaise gouvernance des terres pose un problème de taille, qui n’est toutefois pas insurmontable. La dernière décennie a vu une intensification des efforts concertés des pays africains et des partenaires de développement, visant à réformer les politiques foncières et à mettre à l’essai des approches novatrices afin d’améliorer la gouvernance des terres. Bon nombre de ces pays ont soit mis en place une législation adéquate soit pris des initiatives pour faire face au problème des droits sur les terres communales et d’égalité des sexes, le fondement d’une administration foncière saine.
La flambée des prix des denrées de base et l’accroissement de l’investissement direct étranger ont augmenté le rendement potentiel de l’investissement dans l’administration foncière. Nous devons répondre aux recommandations de ce rapport avec la volonté politique et le leadership nécessaires pour transformer l’agriculture en Afrique et les perspectives de développement du continent.
L’occasion de mettre un terme aux difficultés que l’Afrique rencontre depuis longtemps en matière de propriété et de productivité des terres n’a jamais été aussi bonne. Il faut agir maintenant.
Makhtar Diop est le vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour l’Afrique