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TRIBUNE

Tribune libre: La pauvreté ne peut être éliminée sans une meilleure gouvernance

16 mai 2013


Sri Mulyani Indrawati, Directrice générale de la Banque mondiale Première publication: Thomson Reuters Foundation- TrustLaw



En avril, les Gouverneurs de la Banque mondiale ont approuvé deux objectifs historiques : mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici à 2030 et promouvoir une prospérité partagée. Il reste beaucoup à faire pour mettre fin à la pauvreté : une croissance soutenue, davantage d’investissements d’infrastructure, des gains de productivité agricole, un meilleur cadre d’activité économique, des emplois, une éducation de qualité et un bon système de santé. Nous devons agir surtout là où c’est le plus difficile, notamment dans les Ėtats fragiles touchés par un conflit.  Mais il faudra aussi surmonter des difficultés institutionnelles et appliquer une tolérance zéro en matière de corruption. Sans améliorer la gouvernance, il ne sera pas possible de faire sortir de la pauvreté les 1,2 milliard d’êtres humains qui subsistent encore avec moins de 1,25 dollar par jour, ni d’assurer une croissance qui profite à tous.

La notion de bonne gouvernance et son rôle dans la lutte contre la pauvreté sont des questions complexes. Un ministre des finances d’un pays riche en ressources naturelles mais pauvre à tous les autres égards m’a dit récemment que les subventions aux combustibles destinées à protéger les plus vulnérables contre les hausses de prix sont en fait défavorables aux pauvres, inefficaces et inéconomiques car ce sont les riches qui en profitent le plus. Et un responsable d’un pays à revenu intermédiaire m’a décrit les difficultés de son pays à assurer une prospérité partagée face à une classe moyenne toujours plus nombreuse et plus exigeante qui, lasse de la corruption et du manque de services, est moins encline à soutenir l’Ėtat.

Le premier problème est celui des dépenses, et il est généralement difficile à régler sans payer un lourd tribut sur le plan politique. Le Yémen, le Nigéria, la Jordanie et mon propre pays, l’Indonésie, ont connu des émeutes à la suite de la réforme des subventions aux combustibles. Lorsque les contraintes qui pèsent sur les finances publiques ne laissent aucune place au gaspillage, les subventions inconditionnelles ne font qu’aggraver la situation : elles gaspillent des ressources rares, elles coûtent cher et sont inefficaces. Selon une analyse de la  Banque mondiale, 8 % seulement des 409 milliards de dollars dépensés en subventions aux combustibles fossiles dans les pays en développement en 2010 sont allés aux 20 % les plus pauvres de la population. Dans sept pays africains, les 20 % les plus riches perçoivent six fois plus de subventions aux combustibles que les plus pauvres parce qu’ils consomment davantage.

Dans certains pays, les prix des combustibles sont maintenus à un niveau si bas qu’ils alimentent une économie parallèle prospère.  Dans un pays producteur de pétrole, par exemple, les pertes dues à la contrebande de carburant vers les marchés où ils sont revendus plus cher sont estimées à 857 millions de dollars, soit plus de 300 dollars par habitant.

Deuxièmement, il y a un problème de confiance, qui touche surtout la nouvelle classe moyenne. À certains égard c’est une bonne chose car lorsque leur niveau de vie augmente, les gens exigent des services de meilleure qualité et tolèrent moins la corruption et la mauvaise gouvernance. Mais si leur gouvernement ne répond pas à leurs attentes, ils sont moins enclins à payer des impôts, à investir ou à respecter les règles.  Ceux qui en ont les moyens se tournent vers des services privés, ce qui n’incite guère l’Ėtat à apporter des améliorations susceptibles de relever le niveau de vie de tous les citoyens. Selon certains analystes, il existe également un lien entre le manque de confiance dans l’Ėtat et la pratique du clientélisme qui consiste à protéger et récompenser certains groupes favoris aux dépens des autres. Cela peut créer un cercle vicieux – le manque de confiance et l’exclusion se renforcent mutuellement et sapent les efforts faits pour renforcer les institutions et améliorer la qualité des services. En d’autre termes, un Ėtat qui ne fournit pas des services « propres » étouffe le moteur de la croissance  – une classe moyenne prospère – et crée un obstacle de taille à la prospérité partagée.

Il existe pourtant des exemples qui montrent que les citoyens peuvent améliorer la gouvernance. L’initiative “I paid a bribe” (« J’ai versé un pot-de-vin ») lancée en Inde est aujourd’hui en oeuvre dans plusieurs autres pays en développement. Afin de responsabiliser davantage l’administration publique, les participants dénoncent les cas de corruption sur un site Web qui fonctionne comme un outil d’humiliation publique. Ils peuvent également signaler lorsqu’ils ont affaire à un fonctionnaire honnête.

À la Banque mondiale, j’ai l’honneur de présider le Conseil pour la gouvernance et la lutte contre la corruption — chargé de s’attaquer aux problèmes de gouvernance qui entravent la réalisation des objectifs de développement. De nombreux pays en développement ont fait appel au conseils et à l’aide de la Banque mondiale pour leurs programmes de réforme.  Au Mexique, par exemple, le système de passation des marchés publics représentait 40 % du budget fédéral, soit près de 10 % du PIB. Le manque de transparence était également un facteur de corruption. Avec le soutien de la Banque mondiale, le gouvernement a introduit un ensemble d’innovations. En l’espace de trois ans, le nombre de petites entreprises qui soumissionnent pour des contrats publics a augmenté de 36 % et l’Ėtat a économisé près de 1 milliard de dollars. La Banque a également collaboré à d’autres programmes novateurs qui visent à améliorer la transparence dans les industries extractives ou à utiliser la technologie pour  améliorer la qualité des soins de santé maternelle en Inde. 

Mais il faut faire davantage.  Nos travaux dans le domaine de la gouvernance visent essentiellement à assurer le respect des normes et la probité financière de nos projets. Et notre institution continuera de mettre davantage l’accent sur les résultats concrets, que ce soit pour les plus pauvres ou la classe moyenne, dans le cadre de filets de sécurité ciblés ou de réformes de la gouvernance. Car à moins de produire efficacement et honnêtement des résultats pour tous les citoyens, nous ne pourrons pas mettre fin à l’extrême pauvreté ni promouvoir une prospérité partagée.

 

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