« Le recul de la pauvreté est impressionnant, mais il ne faut pas pour autant nous reposer sur nos lauriers », alerte Carolina Sánchez-Páramo, directrice principale du pôle Pauvreté et équité de la Banque mondiale. « Les dernières prévisions dessinent un tableau sombre mais réaliste de la probabilité de parvenir à mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici 2030. Dès lors, nous devons renouveler l’attention à accorder à l’Afrique, en sachant qu’il ne suffira pas de continuer comme avant pour atteindre notre objectif. Nous devons investir dans les ressources humaines et veiller à ce que la croissance soit partagée par tous, en nous attachant plus vigoureusement à augmenter la capacité productive des populations pauvres. »
De nouveaux repères pour un monde qui ne cesse de croître
En plus du seuil international de pauvreté fixé à 1,90 dollar par jour, la Banque mondiale se penche également sur la situation aux seuils de 3,20 et 5,50 dollars par jour, qui correspondent en général à ceux en vigueur dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et supérieure respectivement. Et de montrer que les avancées rapides obtenues contre l’extrême pauvreté ne se sont pas accompagnées des mêmes progrès dans la réduction du nombre de personnes vivant au-dessous de ces seuils de revenu plus élevés.
Kalu Ram et Kherun Nisha, par exemple, vivent à Jaipur (Inde), où le revenu médian est inférieur à 3,20 dollars par jour. Le couple possède un commerce de beignets. Un prêt obtenu auprès d’un établissement client de l’IFC leur a permis d’acheter ce magasin et de doubler ainsi leurs revenus. Les familles qui disposent de ce niveau de ressources ont généralement une habitation en pierre ou en brique, avec un toit en béton, en pierre ou en ardoise. À l’intérieur, le sol est en béton ou carrelé, et les maisons ont la plupart du temps l’électricité et l’eau courante.
Kalu Ram et Kherun Nisha. © Iwan Bagus / IFC
De même, quand un pays se développe, sa définition de ce qui constitue les besoins essentiels évolue. Dans un pays pauvre, il suffira par exemple de pouvoir s’alimenter et se vêtir pour s’insérer sur le marché du travail. En revanche, dans un pays plus riche, il sera également nécessaire de disposer d’un accès internet, d’un véhicule et d’un téléphone portable. C’est pourquoi la Banque mondiale a créé un « seuil de pauvreté social », qui repose sur le niveau de consommation ou de revenu propre à chaque pays. À l’aune de ce critère, en 2015, 2,1 milliards d’habitants étaient relativement pauvres par rapport à la norme dans leur pays, soit trois fois plus que le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté.
« Le Groupe de la Banque mondiale va continuer à diriger ses efforts vers la réduction de l’extrême pauvreté, et à utiliser le seuil de 1,90 dollar par jour comme repère pour suivre l’évolution des progrès dans ce sens », explique Haishan Fu, directrice du Groupe de gestion des données sur le développement de la Banque mondiale. « Mais parce que l’extrême pauvreté a reculé à travers le monde, nous pouvons aujourd’hui élargir notre champ d’analyse et évaluer si les personnes qui sortent de l’extrême pauvreté atteignent un niveau de bien-être élémentaire dans la société qui est la leur. »
Les limites de la pauvreté monétaire
La mesure de ce bien-être n’est pas réductible à la pauvreté monétaire. Un individu peut ne pas être pauvre au sens monétaire et néanmoins ressentir les effets de la pauvreté car il n’a pas accès à des services essentiels comme les soins de santé, l’eau potable et l’éducation.
La Banque mondiale a mis au point une méthode de mesure de la pauvreté pluridimensionnelle qui tient compte du niveau de consommation ou de revenu, mais aussi de l’éducation et de l’accès à des services de base (électricité, eau et assainissement, etc.). Il apparaît, selon cette nouvelle approche, que la pauvreté pourrait être beaucoup plus répandue et profondément enracinée que ce que nous pensions. Selon les données issues d’un échantillon de 119 pays aux alentours de 2013, seul un habitant sur huit est pauvre en termes monétaires, mais les autres formes de pauvreté (manque d’accès à l’éducation ou à des installations sanitaires) touchent en réalité un habitant sur cinq.
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La pauvreté à l’intérieur des ménages
Enfin, les membres d’un même ménage ne seront pas touchés par la pauvreté de la même façon. Les méthodes de mesure classiques ne mettent pas en évidence ces disparités, car elles sont basées sur des enquêtes qui s’arrêtent à l’échelon du ménage. Pour pouvoir mesurer la pauvreté au niveau individuel, il est indispensable de prendre en considération la manière dont les ressources sont réparties entre les membres du foyer. Même si les données disponibles sont limitées, il ressort de l’analyse de la Banque mondiale que les femmes et les enfants sont plus particulièrement touchés par la pauvreté dans la majorité — mais pas la totalité — des pays. Il faudra cependant multiplier et approfondir les enquêtes pour pouvoir mettre au jour les niveaux de consommation individuels et permettre aux pays de remédier aux inégalités au sein des ménages grâce à des politiques qui favorisent notamment la participation des femmes à la vie active et le développement du jeune enfant.
Alors que le combat contre l’extrême pauvreté est loin d’être gagné, il faut souligner que la grande majorité des pauvres aujourd’hui vivent dans des pays à revenu intermédiaire où la mesure de l’extrême pauvreté ne rend que partiellement compte de la précarité existante. Si l’on veut mettre fin à la pauvreté dans ces pays en particulier, il est indispensable d’élargir notre champ d’analyse, d’étudier les multiples dimensions que revêt la précarité et de reconnaître que la notion de pauvreté dans le monde est plus complexe que ce qu’en disent les indicateurs actuels.
« Avec ce rapport, la Banque mondiale élargit considérablement sa vision de la pauvreté, tout en continuant de mettre la priorité sur la pauvreté monétaire extrême et donc d’utiliser comme référence le seuil de 1,90 dollar par jour », conclut Francisco Ferreira, conseiller principal pour la recherche sur le développement à la Banque mondiale. « Cette double approche reconnaît le caractère complexe et multidimensionnel de la notion de pauvreté, ainsi que son imbrication sociale, tout en affirmant qu’il est indispensable de s’attaquer d’abord à ses formes les plus aiguës, en particulier en Afrique. »