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ARTICLE14 novembre 2024

Emplois bleus et alimentation bleue : un levier pour transformer des vies

The World Bank

Littoral restauré au Bénin et au Togo. (WACA/World Bank)

LES POINTS MARQUANTS

  • Au Togo et au Bénin, 167 000 personnes sont désormais mieux protégées contre l’érosion côtière et les inondations grâce au programme WACA.
  • Au Yémen, les pêcheurs peuvent exploiter pleinement le potentiel du littoral grâce à la restauration des sites de débarquement, à des formations spécialisées et à l’octroi de subventions à 1 500 pêcheurs et entrepreneurs, dynamisant ainsi les activités de pêche.
  • Au Maroc, un projet vise à renforcer la résilience climatique des écosystèmes marins et côtiers. Il inclut la surveillance de 182 plages, l’évaluation de 14 stocks de poissons pour favoriser leur gestion durable et leur restauration, ainsi que la régénération de 1 113 hectares de forêts côtières afin de mieux protéger le littoral.

Pour Mohamed Bachir Chabou, né et ayant grandi à Tanger, au Maroc, l’océan est bien plus qu’un simple élément de son environnement : c’est le cœur de sa vie. Depuis des décennies, il en tire son revenu grâce aux sardines, aux anchois et aux maquereaux qui soutiennent non seulement ses moyens de subsistance, mais aussi une économie bleue florissante dans le pays. Cependant, la diminution des stocks de poissons a considérablement réduit ses revenus. Malgré les défis, Mohamed reste profondément attaché à l’océan, reflétant le lien indéfectible entre les communautés côtières et la mer.

Le littoral marocain abrite deux tiers de la population du pays, génère 59 % du PIB et 52 % des emplois. Face à l’impact croissant du changement climatique, le Maroc intensifie ses efforts pour s’y adapter tout en explorant les opportunités de renforcer son économie bleue. Sur le continent africain, le Royaume joue un rôle central en lançant l’Initiative de la Ceinture Bleue, la « Blue Belt Initiative », une plateforme regroupant 31 États membres, dont 23 pays africains, pour promouvoir des solutions durables à l’économie bleue.

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Des pêcheurs vendant leur poisson à Tanger, Maroc. (Banque mondiale/Madjiguène Seck)

« Nous ne pouvons développer notre économie bleue sans unir nos efforts à ceux de tous les pays, et plus particulièrement à ceux du continent africain, affirme Abdelmalek Faraj, directeur général de l’Institut national de recherche halieutique du Maroc. Les ressources que nous partageons doivent être préservées collectivement. Nous ne pouvons pas agir seuls : il nous faut un mécanisme de coopération pour protéger l’océan, ses richesses, et échanger sur les expériences qui ont fait leurs preuves. »

L’économie bleue représente un moteur essentiel pour la croissance de l’Afrique, en particulier dans les pays côtiers. En 2019, l’Union africaine estimait qu’elle avait généré près de 300 milliards de dollars et créé 49 millions d’emplois sur le continent.

Les aliments bleus – poissons, fruits de mer et algues – issus de la pêche artisanale jusqu’à l’aquaculture à grande échelle, jouent un rôle clé dans l’amélioration de la nutrition et de la sécurité alimentaire de millions de personnes. À l’échelle mondiale, 3,3 millions de personnes tirent 20 % de leurs protéines animales des produits aquatiques. Au Yémen, où la malnutrition aiguë touche les enfants de moins de cinq ans, les aliments bleus offrent une voie prometteuse vers une sécurité nutritionnelle durable à long terme. En intégrant des technologies de transformation pour prolonger leur durée de conservation et réduire les pertes postrécolte, ils peuvent devenir accessibles aux communautés éloignées des côtes. Parallèlement, la création d’emplois dans les secteurs de la pêche, de l’aquaculture, du transport maritime, de la conservation marine, du tourisme durable et des énergies renouvelables – connus sous le nom d’emplois bleus – peut garantir des moyens de subsistance durables.

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Vente de poisson séché à Bissau, Guinée. (Banque mondiale / Madjiguene Seck)

« D’ici 2025, la population de l’Afrique atteindra 2,5 milliards d’habitants, déclare Paubert Mahatante, ministre de la Pêche et de l’Économie bleue à Madagascar. Comment allons-nous satisfaire les besoins en alimentation et en emplois ? Une économie bleue qui soit durable, équitable et responsable peut nous y aider tout en prenant soin de nos jeunes et de nos femmes. »

L’Afrique et le Moyen-Orient enregistrent des avancées significatives, mais le chemin vers une pleine exploitation du potentiel de l’économie bleue reste semé d’embûches.

Des défis communs

L’économie bleue représente une voie prometteuse pour le développement durable en Afrique, mais son potentiel demeure limité par des défis majeurs. Parmi eux, la faiblesse des systèmes de contrôle et l’ampleur de l’illégalité favorisent la surexploitation des ressources halieutiques.

Les petits pêcheurs, en particulier, subissent les conséquences de la diminution des stocks de poissons, en grande partie due à la pêche illégale, non réglementée et non déclarée. Par ailleurs, dans les régions de la Méditerranée et de la mer Rouge, la surexploitation met en péril la biodiversité marine et les moyens de subsistance des communautés locales.

Le changement climatique exacerbe ces pressions, avec la montée du niveau des mers, le réchauffement des eaux et l’acidification des océans, qui dégradent les écosystèmes côtiers et repoussent les poissons des zones de pêche traditionnelles. L’érosion côtière, en parallèle, menace habitations et infrastructures. En Tunisie, les plages emblématiques de Hammamet illustrent bien cette réalité : entre 2006 et 2019, elles ont perdu 24 000 mètres carrés, avec des reculs atteignant jusqu’à 8 mètres par an. Sans stratégies d’adaptation robustes, les impacts du changement climatique continueront à fragiliser les opportunités offertes par l’économie bleue.

La pollution plastique provenant des déchets, des eaux usées non traitées et du ruissellement agricole contamine les eaux côtières à travers tout le continent. Chaque année, les populations du MoyenOrient et d’Afrique du Nord rejettent plus de 6 kilos de déchets plastiques par habitant dans les espaces marins, contre 5 kilos en Afrique subsaharienne.

De plus, de nombreuses petites entreprises et pêcheurs africains peinent encore à obtenir les financements nécessaires pour moderniser leurs activités et accéder à de nouveaux marchés. Débloquer des investissements est indispensable pour créer des emplois bleus durables et bâtir des économies côtières résilientes.

Opportunités pour les emplois bleus et l’alimentation bleue

Malgré les nombreux défis, l’Afrique est idéalement positionnée pour tirer parti de l’économie bleue en faveur d’une croissance durable. Une planification stratégique rigoureuse s’impose, permettant aux pays de prendre des décisions éclairées sur l’allocation optimale de leurs ressources.  

La Banque mondiale joue un rôle clé en soutenant ces efforts. En tant que principal bailleur de fonds pour l’économie bleue, son portefeuille est passé de 5 milliards de dollars en 2018 à plus de 10 milliards en 2024. Par le biais de PROBLUE, un fonds fiduciaire multi-donateurs, elle a permis des avancées significatives avec un investissement de 280 millions de dollars dans une centaine de pays, principalement en Afrique.  

La reconstitution des stocks halieutiques figure parmi les priorités. En Égypte, chef de file africain en aquaculture, des avancées significatives ont été réalisées ces vingt dernières années, générant des revenus et des emplois pour les communautés rurales tout en réduisant la pression sur les stocks de poissons marins. Aujourd’hui, environ 80 % de la demande en poisson y est satisfaite par l’aquaculture. L’assistance technique de la Banque mondiale a permis d’améliorer la santé des poissons, la sécurité alimentaire, la durabilité de l’aquaculture et la résilience face aux risques climatiques.  

Au Maroc, le Programme pour les résultats Économie bleue, doté de 350 millions de dollars, vise à bâtir une économie bleue résiliente face au changement climatique. Ce programme finance notamment la durabilité du secteur de la pêche, la restauration des forêts côtières, la création d’aires marines protégées et l’installation de fermes maricoles.  

Au Mozambique, le programme MaisPeixe Sustentável, intégré au SWIOFish (South-West Indian Ocean Fisheries Governance and Shared Growth), a renforcé les gains économiques issus de la pêche et de l’aquaculture. Des subventions de contrepartie ont permis aux individus, familles et entreprises d’améliorer leurs moyens de subsistance.  

« Avant, j’avais des difficultés financières et peinais à joindre les deux bouts, car la vente de poisson séché n’était plus rentable, témoigne Raquel Ernesto, une habitante de Quelimane âgée de 47 ans et bénéficiaire du programme. Le congélateur obtenu grâce au programme m’a permis de vendre du poisson frais et de la glace, ce qui a dynamisé mon activité et même permis d’économiser pour construire une nouvelle maison. »  

Des côtes saines et productives sont essentielles à l’exploitation durable des ressources marines. Le programme de gestion des zones côtières d’Afrique de l’Ouest (WACA), doté de 630 millions de dollars et mis en œuvre dans neuf pays, reconnaît l’interconnexion des systèmes environnementaux et sociaux. En restaurant des littoraux soumis à une érosion rapide et à des inondations, il aide également les communautés, notamment les femmes, à s’adapter à leur environnement en mutation.  

Le tourisme, pilier économique de nombreux pays côtiers, illustre les opportunités offertes par l’économie bleue. En Tunisie, le tourisme balnéaire représente 13 % du PIB et emploie deux millions de personnes. Depuis 2020, un partenariat avec la Banque mondiale soutient la transition vers un tourisme côtier durable et résilient, générant des emplois bleus tout en préservant les écosystèmes marins.  

Compte tenu du caractère transfrontalier des ressources marines, l’approche de la Banque mondiale privilégie la coopération et l’intégration régionales, considérées comme essentielles au succès de l’économie bleue.

Le programme de développement durable de la pêche en mer Rouge et dans le golfe d’Aden, le premier du genre dans cette région, fournit une plateforme pour des solutions collectives de gestion durable des pêches et de sécurité alimentaire. En partenariat avec l’Organisation régionale pour la conservation de l’environnement de la mer Rouge et du golfe d’Aden (PERSGA), des protocoles ont été établis pour renforcer la coopération régionale.  

Enfin, les initiatives de restauration côtière démontrent l’importance d’une action concertée. En Afrique de l’Ouest, le programme WACA a restauré 41 km de côtes à la frontière entre le Togo et le Bénin, protégeant ainsi 167 000 personnes contre l’érosion et les inondations. Une preuve éclatante que la gestion intégrée des littoraux est essentielle pour relever les défis environnementaux et sociaux liés à l’économie bleue.  

La voie à suivre

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Un pêcheur répare un filet de pêche à Bissau, en Guinée. (Banque mondiale / Madjiguene Seck).

De l’Atlantique aux rivages méditerranéens, l’économie bleue représente un levier pour le développement durable, la sécurité alimentaire et la création d’emplois. Pour les communautés côtières, l’océan est essentiel à leur survie. En investissant dans des pratiques durables, en protégeant les écosystèmes marins et en favorisant l’innovation, l’Afrique peut renforcer la résilience de ses océans et des moyens de subsistance qui en dépendent. L’avenir des zones côtières repose sur une gestion responsable de l’une de leurs ressources les plus précieuses : l’océan.

« La découverte du continent s’est opérée par les voies maritimes et fluviales, souligne Georges MbaAsseko, chef de la division de l’économie bleue de l’Union africaine. Malheureusement, nous avons oublié qu’elles étaient les points d’entrée pour le développement de nos économies. Il est temps de renouer avec le potentiel immense que nous offrent les océans pour faire prospérer notre continent. »

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Un pêcheur travaille avec son filet sur le sable en Guinée (Banque mondiale/Vincent Tremeau).

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