Pour les quelque 50 000 habitants du petit port de Kelibia, sur la côte orientale de la Tunisie, la pêche est la principale source de revenus. Mais leur mode de vie est compromis, car ce secteur d'activité périclite à cause de la surpêche qui anéantit la ressource et du changement climatique qui érode le littoral. À l'est de la Méditerranée, en Iraq, trois années de sécheresse ont dévasté l'agriculture et privé au moins 7 millions de personnes d'électricité et d'eau potable.
Ce ne sont que deux exemples des conséquences du changement climatique dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), où le nombre de catastrophes naturelles a presque triplé depuis les années 1980, infligeant plus de 1 milliard de dollars de pertes moyennes par an. Avec la dégradation des écosystèmes sous-marins et côtiers, la hausse des températures estivales, l'avancée de la désertification, la rareté de l'eau douce et l'aggravation de la pollution atmosphérique, la région MENA est, du point de vue climatique, l'une des plus fragiles du monde.
En outre, la région abrite certains des pays du monde où la pollution augmente le plus rapidement, sachant que de nombreuses économies continuent à dépendre fortement des recettes tirées des énergies fossiles. Tous ces facteurs, qui affectent déjà les membres les plus vulnérables de la population, deviendront irréversibles sans une action climatique ambitieuse et transformatrice.
Plan d'action
S’inscrivant dans la continuité du Plan d'action du Groupe de la Banque mondiale sur le changement climatique, la Feuille de route pour l'action climatique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord orientera le soutien de la Banque dans la région pendant les cinq années à venir. Elle guidera nos interventions pour aider les pays à réduire leurs émissions et à s'adapter face à des dérèglements du climat de plus en plus rapides. Cette feuille de route consiste notamment en une hausse des investissements : le Groupe de la Banque mondiale consacrera jusqu’à 10 milliards de dollars de financements à des projets climato-intelligents et à des réformes connexes, qui permettront de lever 2 milliards de dollars supplémentaires auprès du secteur privé. Pour répondre aux attentes de la région et à celles de pays qui aspirent à un équilibre entre mesures d'atténuation des émissions et mesures d'adaptation au changement climatique, environ 50 % de ces fonds seront affectés à des interventions en faveur de la résilience.
Nos stratégies et interventions reposeront également sur les rapports nationaux sur le climat et le développement (a) réalisés par la Banque mondiale — des outils de diagnostic essentiels qui intègrent la gestion de la menace climatique en permettant d'identifier non seulement les risques mais aussi les opportunités qui accompagnent une croissance sobre en carbone. Les investissements, en particulier ceux destinés aux infrastructures et aux actifs physiques, seront alignés sur les objectifs de l'accord de Paris, traité international juridiquement contraignant sur les actions à entreprendre pour limiter les effets du changement climatique, que près de 200 pays ont adopté en décembre 2015.
Une approche du développement verte, résiliente et inclusive (a) peut amener un nouveau modèle de croissance pour la région MENA, synonyme de créations d'emplois mais aussi de bienfaits environnementaux : résilience climatique, décarbonation, meilleure qualité de l’air et de l’eau, restauration de la santé des océans, systèmes agricoles et alimentaires durables. Pour tirer les bénéfices de ces investissements, les pays de la région MENA doivent définir les secteurs à transformer en priorité.
Secteurs à transformer
Les systèmes agroalimentaires sont particulièrement fragiles dans cette région extrêmement tributaire des importations de denrées et dont les sols sont très vulnérables aux variations météorologiques. La feuille de route soutiendra l'évolution des pays vers une agriculture climato-intelligente et vers une meilleure gestion de leurs ressources naturelles, en les aidant à préserver la biodiversité et à assurer leur sécurité alimentaire.
En Jordanie, par exemple, remplacer le maraîchage en plein air par la technique de l'hydroponie pourrait améliorer les rendements, qui passeraient ainsi de près de 5 à 30 tonnes/1 000 m2, tout en ramenant la quantité d'eau nécessaire de 500 à 150 m3/1 000 m2. Autre exemple, le Maroc favorise, à l'aide des technologies numériques, la conversion des exploitants vers une agriculture de précision en remplacement des méthodes actuelles, fortement consommatrices de ressources ; parallèlement, les pouvoirs publics financent des programmes d'entrepreneuriat qui visent à attirer davantage de femmes et de jeunes vers le secteur agricole.
En raison de sa dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, de son inefficacité énergétique et de la sous-exploitation des sources d'énergie renouvelables, la région MENA risque de manquer le virage mondial vers les énergies propres. Il faut convaincre les États qu'en se tournant vers les énergies renouvelables pour les véhicules publics comme privés, et en popularisant les transports publics, on peut créer de l'emploi, stimuler la croissance économique et construire des infrastructures écologiques. Avec 10 millions de dollars d'investissements dans les énergies renouvelables et dans un meilleur rendement énergétique, il est possible, selon le cabinet de conseil McKinsey, de créer 75 à 77 emplois verts de long terme, contre 27 pour un montant équivalent investi dans l'industrie des combustibles fossiles.
De telles transitions sont en cours dans de nombreux pays de la région MENA mais, pour élargir leur impact, il faut les multiplier via des modèles économiques et des financements innovants. Au Maroc, deux projets soutenus par le Groupe de la Banque mondiale dans le domaine de l'énergie solaire, Noor I et II, ont ouvert la voie à une opération historique, montée sous l'égide de la Société financière internationale (IFC, la branche « secteur privé » du Groupe), pour le parc solaire de Benban, en Égypte. À terme, ce complexe sera l'un des plus importants du monde, avec une capacité de production de 1 650 MW.
Environnements urbains
Alors que les villes de la région MENA sont en première ligne face au changement climatique, elles ne disposent pas des capacités nécessaires pour réduire leur empreinte carbone croissante et surmonter les chocs climatiques. Tenir compte des considérations climatiques dans la planification urbaine, renforcer les plans municipaux de façon à assurer la continuité des services en cas de crise, et intégrer tous les aspects de la gestion des côtes en une stratégie unique, améliorera l'habitabilité des villes et atténuera les risques climatiques qui les menacent.
La gestion des eaux usées est un autre domaine de progrès potentiel. Aujourd'hui, environ 80 % des eaux usées de la région ne sont pas recyclés, contre seulement 30 % dans les pays à revenu élevé. Cela constitue un grave danger pour la santé humaine et pour le milieu naturel, mais cela représente aussi une chance énorme de répondre à la demande en eau des populations et des activités. En effet, les eaux usées sont la seule ressource naturelle qui s'accroît en même temps que les villes et les populations. Correctement traitées, les eaux usées de la région pourraient servir à irriguer et à fertiliser plus de 2 millions d'hectares de terres agricoles, en épargnant ainsi l'eau douce destinée à la consommation, aux usages domestiques et à la production.
Les économies côtières offrent elles aussi des possibilités de croissance propres à protéger leur population. La Banque mondiale aide ainsi le Maghreb à combattre l'érosion du littoral en associant l'ensemble des parties prenantes autour d’initiatives qui développent des pratiques durables et soutiennent l'économie bleue (a).
Toutes ces transformations nécessiteront de solides systèmes financiers, publics et privés, afin de soutenir des actions climato-intelligentes. Pour cela, il faut des partenaires avec lesquels édifier un secteur financier voué à des actions qui aient pour but de verdir l'économie et de renforcer la résilience, tout en contribuant à dégager des capitaux privés, à soutenir les budgets et dépenses des États, ainsi qu'à renforcer les institutions financières qui favorisent les investissements écologiques.
Il existe chez les investisseurs un grand appétit de financement durable. Avec le soutien de la Banque mondiale, l'Égypte a par exemple émis une obligation verte souveraine qui lui a permis d'emprunter 750 millions de dollars pour des projets à impact durable.
IFC s'attache à déployer à grande échelle des financements du secteur privé alignés sur des plans climatiques nationaux qui privilégient l'action. Cela implique notamment d'examiner les cibles visées par les États et les mesures qu'ils entendent appliquer, en partie en développant leurs capacités à identifier, gérer et réduire les risques climatiques dans les portefeuilles de la Banque mondiale. En Tunisie, le secteur privé facilite l'accès des PME et des microentreprises aux financements accordés dans les secteurs de l'agriculture climato-intelligente, du recyclage des déchets et de l'énergie solaire photovoltaïque.
L'intégration d'actions en faveur du climat dans les stratégies de développement peut consolider les institutions, aider à surmonter les obstacles à l'engagement du secteur privé, favoriser l'intégration régionale et, enfin, permettre de bâtir des sociétés résilientes et plus inclusives. La nouvelle feuille de route aidera les pays à atteindre leurs objectifs pour le climat, à éviter les conséquences les plus graves de la crise climatique et à récolter de triples bénéfices en matière d'emploi, de viabilité économique et d'inclusion sociale.
À ce stade critique de la bataille contre le changement climatique, nous avons hâte d'œuvrer aux côtés des décideurs politiques, des acteurs du secteur privé et des professionnels du développement pour une région MENA plus verte et plus résiliente.