La pandémie de COVID-19 a mis une fois encore en évidence le rôle clé des envois de fonds des migrants dans le développement économique et la réduction de la pauvreté. L’expression « remises migratoires » désigne les sommes d’argent que des membres d’une famille ou des amis qui vivent ailleurs dans le pays ou à l’étranger envoient à leurs proches pour les aider à joindre les deux bouts. Cet argent sert à acheter de la nourriture, à amortir les chocs et à maintenir une activité économique lorsque les moyens de subsistance et le bien-être des bénéficiaires sont en péril. Face à l’importance de ces envois, l’Objectif de développement durable 10c des Nations Unies vise à ramener le coût moyen des transferts au-dessous de 3 % de leur valeur d’ici 2030.
Les remises migratoires à destination du Maroc ont fortement augmenté pendant la pandémie (a), ressortant à 6,5 % du PIB fin 2020 selon les estimations, soit 7,4 milliards de dollars. L’essentiel des expéditeurs sont installés en France, en Espagne et en Italie, ces trois pays ayant concentré 70 % des transferts d'argent vers le Maroc. Les envois de fonds entre régions du pays sont également fréquents, puisqu’un adulte marocain sur cinq a bénéficié ou été à l’origine de transferts d’argent nationaux en 2017. Le coût de l’envoi de 200 dollars au Maroc varie fortement selon le pays d’origine, de 4,7 % en moyenne depuis la Belgique à 12,4 % quand l’argent provient d’Israël. Malgré une légère baisse des tarifs depuis quelques années, le coût moyen de 5,9 % observé sur tous les couloirs reste bien supérieur à la cible de 3 % fixée par l’ODD.
Soucieuse d’améliorer l’inclusion financière de la population, la banque centrale du Maroc (Bank Al-Maghrib) a récemment lancé l’initiative Greenback dans le pays. Conçue par la Banque mondiale, l’initiative Greenback (a) a pour objectif de renforcer l’efficience du marché des transferts de fonds et, ce faisant, de réduire leur coût. Elle promeut une approche innovante, fondée sur les besoins des clients et la collaboration des différentes parties prenantes. Pour donner le coup d’envoi de l’initiative au Maroc, 16 groupes de discussion ont été organisés par le cabinet marocain LMS-CSA avec un panel de 146 bénéficiaires de transferts choisis de manière aléatoire dans quatre régions du pays. Les résultats ont été diffusés auprès des principaux acteurs du secteur financier en avril 2021. Certaines conclusions de cette recherche qualitative sont présentées ci-dessous, et le rapport peut être téléchargé dans son intégralité ici.
Premier constat, les expéditeurs et les bénéficiaires des transferts de fonds privilégient largement les transactions en liquide :
- la plupart des envois de fonds (97 %) sont effectués à travers des services de transfert d’argent liquide. Deux opérateurs internationaux dominent le marché de ces transactions, qui permettent au bénéficiaire de toucher en mains propres l’intégralité de la somme versée à réception. Même lorsqu’ils détiennent un compte bancaire (62 % de l’échantillon), les bénéficiaires ne l’utilisent en général pas pour récupérer cet argent. Seuls 12 % des personnes interrogées ont indiqué utiliser ponctuellement leur compte en banque pour réceptionner l’argent envoyé.
- Les bénéficiaires ont également tendance à recourir toujours au même opérateur de transferts de fonds, indépendamment du montant en jeu ou du pays d’origine.
Les services de transfert d’argent liquide ne sont pas la solution la moins chère du marché. Ainsi, le transfert de l’équivalent de 200 dollars à partir d’une carte bancaire depuis la France vers un compte en banque marocain peut être effectué dans un délai de trois à cinq jours ouvrables pour environ 2 % du montant transféré. Tandis que le recours à un opérateur peut facilement coûter 8 % ou plus, mais l’envoi des fonds est pratiquement immédiat. En optant pour un autre service et d’autres délais, l’expéditeur et le bénéficiaire auraient pu économiser 12 dollars. D’autant que le même opérateur peut pratiquer des tarifs raisonnables dans un pays mais onéreux dans un autre. En bref, l’étude montre que les personnes concernées risquent de payer bien plus que le coût moyen de transfert de 5,9 % estimé pour le Maroc.
Les groupes de discussion ont révélé trois grands facteurs expliquant un tel comportement :
- D’une manière générale, les participants disposent de plusieurs points de services financiers à proximité, mais connaissent mal les services proposés. La plupart des bénéficiaires de transferts au Maroc peuvent se rendre à pied dans un point de services financiers ou trouver ce type de services lorsqu’ils vont faire leurs courses. Dans les zones semi-rurales et périurbaines, il s’agira souvent d’établissements de paiement et de la banque postale. À proximité des marchés et dans les zones plus urbanisées, ils auront également accès à des banques. Souvent, les points de services financiers travaillent pour plusieurs opérateurs ou banques, mais les personnes interrogées ne font pas la différence : il s’agit pour elles du même opérateur.
- Un grand nombre de personnes interrogées connaissent mal ou ne sont pas à l’aise avec les solutions alternatives. La plupart ont entendu parler des portefeuilles électroniques ou des cartes prépayées mais n’ont pas suffisamment confiance en leur maîtrise du produit pour les utiliser. Plusieurs expriment également des réserves à l’idée de détenir ou d’utiliser un compte bancaire, dissuadées par l’opacité du coût des services financiers, le manque de familiarité avec la procédure ou simplement le fait de ne pas se sentir bien accueillies dans une agence.
- Enfin, les participants ont indiqué choisir leur prestataire de services en fonction des critères de proximité, de rapidité, de fiabilité et de qualité des services. Le coût d’un transfert en liquide incombant à l’expéditeur, le bénéficiaire ne se préoccupe en général pas de cet aspect de la transaction. Les bénéficiaires privilégient les établissements de paiement, qu’ils considèrent comme rapides, fiables et de bonne qualité. Ils apprécient l’immédiateté de l’opération, la fiabilité de la connexion internet, la simplicité et la transparence des procédures pour récupérer les fonds, ainsi que l’accueil, jugé chaleureux et non bureaucratique. Un jugement à l’opposé de celui exprimé pour les banques : les personnes interrogées considèrent que l’argent met du temps à arriver, avec d’éventuels coûts de transaction inconnus et des délais d’attente plus longs, le tout dans une ambiance intimidante pour celles et ceux qui connaissent mal les produits bancaires.
L’étude a mis en lumière un certain nombre de points important qui, s’ils étaient pris en compte, permettraient aux expéditeurs comme aux bénéficiaires de ces transferts d’économiser de l’argent et de généraliser le recours aux solutions numériques. D’une manière générale, les personnes interrogées sont ouvertes à des options alternatives pour envoyer ou recevoir de l’argent, mais ont besoin d’informations plus précises sur les coûts encourus et les procédures à suivre. Pour favoriser la généralisation des services financiers numériques, elles doivent aussi savoir comment réagir en cas de difficultés (« que se passe-t-il si ma carte reste bloquée dans un distributeur ou que je me la fais voler ? », « comment faire s’il y a un problème au moment de la transaction sur mon téléphone portable ? ») et avoir la certitude qu’elles pourront facilement récupérer l’argent en liquide.
L’initiative Greenback va élaborer et mettre en œuvre un plan d’action pour remédier aux problèmes mis au jour par l'enquête. Le plan d’action prévoira un éventail d’activités concrètes d’éducation financière afin d’améliorer les connaissances des expéditeurs et des bénéficiaires des transferts de fonds et les familiariser avec les modalités à suivre pour utiliser les différentes options. Elles seront déployées en collaboration avec la banque centrale, les prestataires de services financiers, la Fondation marocaine pour l’éducation financière (FMEF) et d’autres parties prenantes du secteur public et privé Par ailleurs, des projets pilotes conduits dans une ou deux villes « championnes » seront conçus pour rapprocher les clients des établissements de paiement et, ce faisant, promouvoir l’essor de services financiers adaptés. L’expérience internationale confirme l’efficacité de cette approche pour induire des changements. Enfin, la transparence de l’information et la protection du client de services de transferts de fonds seront au cœur des priorités. Les remontées d’information des groupes de discussion montrent l’importance de fournir aux clients des informations simples et claires sur les options de transfert d’argent et de les aider à comprendre où et comment résoudre les éventuels problèmes ou porter plainte. Tous ces éléments seront cruciaux pour favoriser le recours aux services financiers et modifier la perception des populations vis-à-vis des intermédiaires financiers formels.