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ARTICLE 30 mars 2021

Analyser les défis de l’emploi au Maroc

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Ouvrier d’une usine dans la région de Rabat. 


Au Maroc, la mise en place d’un marché du travail dynamique et inclusif reste un défi persistant. Même si le revenu par habitant a doublé entre 2000 et 2018 et que le taux de pauvreté a été divisé par trois sur la même période, les créations d’emplois n’ont pas suivi. En outre, le marché du travail subit actuellement le choc de la pandémie de COVID-19.

Un nouveau rapport de la Banque mondiale intitulé Morocco’s Jobs Landscape présente un regard neuf et actualisé sur les tendances du marché du travail au Maroc et sur les priorités à venir. Cette étude, qui scelle la première étape d’un partenariat noué avec le Haut-Commissariat au Plan marocain, établit un diagnostic des défis liés à l’emploi dans le pays. Elle donne maintenant lieu à une analyse et une évaluation approfondies des options politiques concrètes capables de surmonter ces défis.

Le rapport se penche sur les nombreuses évolutions positives à l’œuvre sur le marché du travail marocain au cours de la dernière décennie, mais il met aussi en évidence, à l’aide de diverses sources de données, des freins importants : le ralentissement des créations d’emplois en regard de l’essor démographique, la pénurie d’emplois de qualité dans les industries à forte productivité et les nombreux exclus du marché du travail, notamment les femmes et les jeunes.  

Alors que les préoccupations relatives au marché de l’emploi mettent souvent l’accent sur la persistance d’un chômage élevé, le rapport pointe un autre problème majeur : les 55 % d’adultes qui sont tout simplement absents de la population active. Au Maroc, le taux de participation à la vie active est particulièrement faible, même en comparaison de l’ensemble de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) qui possède les taux d’activité les plus bas au monde.

« Même si elle constitue depuis longtemps un défi persistant, l’inactivité mériterait une attention particulière. Cette situation affecte le bien-être des individus et de leurs familles et entrave le développement économique du pays. Chez les jeunes, le niveau élevé d’inactivité est particulièrement inquiétant, au regard de l’importance que peuvent représenter les premières expériences professionnelles dans la recherche d’un emploi, et même pour le pays », observe Jesko Hentschel, directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Maghreb.

Le rapport dégage quatre axes prioritaires pour accroître la création d’emplois et la qualité des emplois et pour élargir la participation au marché du travail.

1. Améliorer l’insertion des jeunes sur le marché du travail

Aujourd’hui, environ 30 % des 15-24 ans ne sont pas en train de travailler ni d'investir dans leur avenir en se formant. Ces jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (ou « NEET » selon l’acronyme du terme anglais qui décrit ce phénomène) constituent une source d'inquiétude, comme l’ont souligné à maintes reprises les allocutions publiques du roi Mohammed VI. Dans l’étude, une analyse détaillée désigne le niveau d’éducation, le sexe, le contexte familial et le lieu de résidence des jeunes comme autant de facteurs clés associés au statut de NEET.


Mais les difficultés de l’emploi des jeunes ne se bornent pas au seul problème des NEET. Les jeunes possédant un bon niveau d’éducation sont aussi mal lotis : frappés par un taux de chômage élevé, ils finissent par se démotiver et se voient condamnés à l’inactivité, ce qui nuit à leur sentiment d’accomplissement personnel et à leur contribution à l’économie, aujourd’hui comme demain.

2. Élargir le champ de participation des femmes

Moins de 30 % des femmes font partie de la population active, et le Maroc est l’un des rares pays de la région MENA où le taux d’activité féminin recule. Des disparités importantes existent cependant entre zones urbaines et zones rurales. Le taux d’inactivité des femmes est particulièrement élevé dans les villes (plus de 80 %). En milieu rural, elles sont un peu plus présentes, mais leur participation s’est plus nettement érodée. Et elles sont employées dans leur quasi-totalité de manière informelle, souvent au sein d’une exploitation agricole familiale et pour des activités connexes. Leurs options sont particulièrement restreintes. Dans les zones urbaines, la participation des femmes est étroitement liée à l’éducation et au statut familial. Si les femmes qui travaillent en ville possèdent plutôt un bon niveau d’éducation, la majorité (55 %) est employée dans le secteur informel.

En 2009, le marché du travail comptait 200 000 femmes actives de plus qu’en 2019, alors même que le nombre de femmes en âge de travailler a augmenté ces 20 dernières années. Si les facteurs qui sous-tendent ces tendances sont complexes, le faible taux d’activité des femmes a d’importantes répercussions sur leur capacité d'action et de décision et sur leur autonomie financière, mais aussi sur le potentiel économique du pays.

3. Créer plus d’emplois de qualité

Le Maroc a progressé dans la formalisation du marché du travail : en 2019, le secteur formel employait 600 000 salariés de plus qu’en 2010. Pourtant, près de trois salariés sur cinq travaillent encore aujourd’hui dans le secteur informel ; si l’on y ajoute les travailleurs indépendants et les travailleurs familiaux, le poids de l’informalité est bien plus lourd.

Il faut cependant souligner que l’emploi informel revêt de nombreuses formes. Il concerne par exemple des travailleurs d’entreprises rentables qui devraient être déclarées, mais qui demeurent clandestines pour éviter l’assujettissement aux impôts et aux cotisations sociales. Dans ces entreprises, les conditions de travail sont souvent dégradées et parfois dangereuses, comme en témoigne le récent drame de l’usine de Tanger. L’informalité concerne aussi des millions de ménages qui vivent de l’agriculture rurale, travaillent à leur compte ou comme employés dans des micro- et petites entreprises où la productivité est souvent trop faible pour qu’elles puissent entrer dans le giron de l’économie formelle.

Cela ne signifie pas pour autant que ces emplois ne peuvent pas sortir ces populations de la pauvreté et constituer à terme un lien social essentiel, voire un premier échelon vers des emplois de meilleure qualité. Cependant, parce qu’ils n’appartiennent pas au secteur formel, la quasi-totalité de ces travailleurs et de leurs familles souffre d’un accès insuffisant aux services de santé, aux droits à la retraite et à l’assurance chômage. Pour y remédier, il faudrait élargir l’accès au régime de sécurité sociale. Mais une stratégie alternative serait de fournir une protection sociale et sanitaire indépendamment du statut professionnel. Les pays d’Amérique latine ont progressé sur cette voie en mettant sur pied des politiques sociales destinées à soutenir les travailleurs pauvres tout en limitant les risques de distorsion sur le marché du travail.

La croissance de l’économie ne permettra pas à elle seule de doper fortement les perspectives de travail dans le secteur formel. La prépondérance du secteur informel au Maroc est liée, au moins en partie, à la structure de l’économie et à la faible productivité de certains secteurs. C’est pourquoi, si l’on veut obtenir des résultats en améliorant les incitations en faveur de la régularisation des activités économiques informelles, cette stratégie doit s'accompagner plus largement de mesures destinées à améliorer la productivité et les moyens de subsistance au sein même du secteur informel, ce qui constituerait la pierre angulaire d’un développement économique et social plus ouvert.

4. Faire rimer hausse de la productivité et création d’emplois de qualité

Le Maroc a réussi à promouvoir certaines industries à forte valeur ajoutée, notamment dans ses grands centres urbains. Ces efforts ont conduit à la création localisée d’un certain nombre d’emplois de qualité, mais ils n’ont eu que des retombées modestes sur d’autres secteurs et d’autres régions du pays.

Comme le montre l’expérience d’autres pays, une des clés de la création durable d’emplois repose sur une transformation structurelle grâce à laquelle les travailleurs évoluent vers des activités à plus forte productivité. Ce processus est souvent porté par l’expansion du secteur industriel ou, de plus en plus, par la progression des services à forte valeur ajoutée. Quelques régions du Maroc ont connu ce type de transformation : à Casablanca, par exemple, le secteur manufacturier a connu un essor rapide d’activités à forte intensité de capital et à forte valeur ajoutée, tandis qu’à Tanger, on a vu émerger divers secteurs qui contribuent de manière plus équilibrée à l’accroissement de la productivité.

Toutefois, à l’échelle nationale, ces transformations structurelles sont limitées. Depuis 2010, ce sont des gains intrasectoriels qui sont à l’origine des deux tiers de la hausse de la productivité du pays, tandis que seul un tiers résulte de la réaffectation des intrants de production entre secteurs. Par comparaison à d’autres pays au niveau de revenu similaire, on observe que le rythme des changements structurels est plus lent au Maroc. Des études supplémentaires sont indispensables au niveau microéconomique pour mieux comprendre la répartition des entreprises, leurs caractéristiques et leur contribution à la hausse de la productivité.

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Pour améliorer les perspectives d’emploi au Maroc, il est essentiel de relever chacun de ces défis. Cela implique d’agir à plusieurs niveaux, avec des politiques qui prennent en compte le contexte et les outils de différents secteurs. Les stratégies en faveur de l’emploi doivent également tenir compte des disparités régionales et des facteurs culturels et sociaux.

La prochaine phase du projet Morocco’s Jobs Landscape s’attachera à passer en revue des solutions concrètes pour lever les freins à la création d’emplois et à la participation étendue à la vie active.



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