MANGA, Burkina Faso, le 8 mars 2021—Le goûter vient de se terminer. Repérables à leur fine moustache blanche, les plus gourmands s’attardent à table, siphonnant les dernières gouttes de lait dans leur gobelet et ramassant consciencieusement avec leur doigts potelés les miettes de leur tartine. Mais la majorité de cette ribambelle d’enfants est déjà partie s’activer à l’ombre du grand acacia de la cour.
Hauts comme trois pommes, les uns s’amusent sur le tourniquet, d’autres se lancent un ballon ou jouent les équilibristes perchés sur des pneus vissés au sol. Un petit groupe de filles préfère jouer à la dinette. Les plus timides feuillètent les pages d’un livre ou découvrent, pinceaux en main, le plaisir de gribouiller des traits multicolores sur une feuille de papier. Plus loin, assis en cercle, les plus grands tapent dans leurs mains au son de la nouvelle comptine qu’une assistante maternelle est en train de leur apprendre tandis que les plus petits font la sieste.
En somme, des tranches de vie classiques de halte-garderie, à un détail près, Une révolution à Manga, ville de 28 000 habitants située à deux heures de route de Ouagadougou. « Savoir que nos enfants sont en lieu sûr nous permet de travailler en toute confiance et rassure nos maris », explique Minata Dianda, jeune maman d’un enfant de la crèche.
Gagner assez d’argent pour élever ses enfants tout en s’occupant d’eux, une équation compliquée pour les femmes
Tout a commencé en 2016 lorsque le gouvernement a décidé de lancer un programme d’emplois temporaires dans les communes les plus pauvres pour lutter contre le chômage des jeunes. Un phénomène répandu et source de tensions sociales au Burkina Faso, l’un des pays les plus pauvre au monde, où 40 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté (établi à 1,9 dollars par jour et par personne) et où la montée de l’insécurité a créé une crise humanitaire sans précèdent depuis 2016.
L’objectif : offrir une formation et des compétences de bases à ces jeunes et les employer pendant six mois sur des chantiers publics d’aménagement urbain et de construction de routes. Un système de loterie est mis en place pour sélectionner les candidats. Curage de caniveaux, désherbage, élagage d’arbres, les tâches sont variées et très physiques.
Pourtant, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à postuler et de fait, à être sélectionnées. Le hic, c’est que nombre d’entre elles n’ont pas osé dire qu’elles étaient enceintes ou avaient des enfants en bas âge et n’avaient pas les moyens de les faire garder, parce que cela les aurait disqualifiées d’office.
« On s’est aperçu que les femmes se cachaient et se débrouillaient comme elles le pouvaient pour faire garder leurs enfants », explique Savadogo Ouédraogo, maire du 3e arrondissement de Manga. Un système D rarement idéal. Les sœurs aînées étaient souvent appelées à surveiller leurs petits frères et sœurs, passant à côté de leur propre enfance et de leur scolarité. « Sinon, confiés à une parente ou une amie, à proximité des chantiers de construction pour que leurs mères puissent venir les allaiter et s’en occuper à chaque pause, les enfants passaient de longues heures, souvent assis à même le sol en plein soleil ». Une situation dangereuse pour l’enfant et stressante pour la maman.
Un constat qui déclenche une prise de conscience chez les organisateurs du programme: « Au Burkina Faso, les femmes en âge de travailler peuvent avoir entre 5 et 7 enfants », souligne Rebekka Grun, experte en questions sociales à la Banque mondiale qui a financé le projet d’emploi des jeunes à hauteur de 50 millions de dollars par le biais de son Association internationale de développement.
Comme « il faut tout un village pour élever un enfant », l’équipe du projet décide de créer un groupe de réflexion pour trouver une solution. Il contacte plusieurs ministères concernés, notamment celui de l’éducation, celui des affaires sociales et celui des femmes. Il recrute aussi un expert en développement de la petite enfance et reçoit l’aide de partenaires pour gagner en efficacité. Mais surtout, il invite les mamans employées sur les chantier à exprimer leurs difficultés et leurs besoins. Pour s’adapter au caractère temporaire des emplois et des chantiers, l’idée d’une garderie mobile prend forme et un projet pilote démarre à Manga et dans deux autres communes.