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ARTICLE 19 novembre 2020

Raccorder les personnes non raccordées : comment inciter les ménages à se brancher à l’égout

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Installation de réseaux d'assainissement à Sao Paulo (Brésil).

Banque mondiale


LES POINTS MARQUANTS

  • En 2017, 45 % seulement de la population mondiale avaient accès à un service d’assainissement géré en toute sécurité.
  • Malgré la proximité immédiate des réseaux d’égouts, de nombreux ménages dans le monde n’y sont pas raccordés et s’exposent ainsi davantage à des maladies comme la diarrhée, perdent de ce fait des jours de travail et sont privés au quotidien du confort et de l’intimité que procurent des services d’assainissement gérés en toute sécurité.
  • Un rapport de la Banque mondiale et du Partenariat mondial pour la sécurité hydrique et l’assainissement (GWSP), intitulé « Connecting the Unconnected », analyse les raisons expliquant que tant de ménages ne soient toujours pas branchés à l’égout et partage les meilleures pratiques internationales pour élaborer un programme réussi de raccordement aux réseaux d’eaux usées.

Et si l’amélioration de la santé, de la productivité économique, de la dignité individuelle et du bien-être environnemental dépendait en fait de quelque chose se trouvant à proximité immédiate de votre domicile ? Si cet instrument tout simple mais aux multiples avantages était là, à portée de main ? Et si vous ne pouviez pas en profiter parce que vous n’avez pas d’argent ou assez d’informations ou parce que vous êtes sensible aux normes sociales ?

Loin d’être hypothétiques, ces interrogations décrivent malheureusement le lot de millions d’individus dans le monde. Pourquoi ? aux canalisations qui passent juste à côté de chez elles. Et malgré la proximité immédiate de ces infrastructures vitales, trop de ménages n’en bénéficient pas, s’exposant ainsi plus que d’autres à des maladies comme la diarrhée qui leur font perdre des jours de travail (a) et étant privés au quotidien du confort et de l’intimité procurés par des services d’assainissement gérés en toute sécurité. Tant que des individus ne seront toujours pas branchés à l’égout passant à côté de chez eux, les retombées environnementales et, plus largement, pour la santé publique, du développement de l’assainissement ne pourront pas se concrétiser.

Publié aujourd’hui, un rapport de la Banque mondiale et du Partenariat mondial pour la sécurité hydrique et l’assainissement (GWSP) (a), intitulé Connecting the Unconnected (a), détaille les raisons de cette exclusion et du non-raccordement de tant de ménages à un réseau d’égout existant ou nouveau. Reposant sur une analyse des meilleures pratiques mondiales, le rapport met en avant les éléments à intégrer pour élaborer un programme efficace de raccordement aux réseaux d’égouts. Il propose également une synthèse d’expériences internationales dont il tire des enseignements afin d’identifier les facteurs susceptibles de maximiser les branchements, y compris pour les ménages à faible revenu. Il s’appuie par ailleurs sur les principes de l’approche conçue par l’initiative Citywide Inclusive Sanitation (CWIS) pour des solutions d’assainissement inclusives à l’échelle de la ville.

Le rapport est publié sous les auspices de l’initiative CWIS (a), dont l’objectif est de faire évoluer notre vision de l’assainissement en milieu urbain afin de contribuer à une prise en compte globale de la chaîne des services d’assainissement et de l’accès pour tous, en particulier des plus démunis, mais aussi de promouvoir tout un éventail de solutions — sur place, via les égouts, centralisées ou décentralisées — adaptées aux réalités de villes en plein essor. L’initiative s’intéresse à la fourniture des services et aux conditions à réunir plutôt qu’à la seule construction d’infrastructures. Si les égouts font effectivement partie de la solution pour l’assainissement en milieu urbain, une difficulté récurrente tient au fait que, malgré la proximité des grandes infrastructures, trop de ménages choisissent de ne pas s’y raccorder, pour diverses raisons, sociales, économiques ou autres.

Le rapport met en évidence plusieurs facteurs expliquant ce choix.

Premièrement, de nombreux ménages n’ont pas les moyens financiers de payer les frais de branchement à l’égout, d’installer la tuyauterie supplémentaire nécessaire dans leur domicile ou de régler ensuite chaque mois les factures correspondantes. La plupart des ménages non raccordés sont pauvres : en Argentine, en El Salvador, au Guatemala, au Honduras, au Mexique, au Nicaragua et en Uruguay, le taux d’accès du quintile le plus pauvre est inférieur de 40 % au taux d’accès du quintile le plus riche.

Deuxièmement, les informations sont souvent parcellaires ou les démarches administratives excessivement lourdes. Certaines entreprises de services publics n’expliquent pas vraiment comment les ménages doivent procéder pour se brancher à l’égout ou fournissent des éléments confus ou inutiles quand d’autres laissent tout bonnement leurs clients se débrouiller tout seuls. Les processus mis en place dans certains cas sont inutilement complexes et nécessitent trop de démarches auprès d’un nombre trop important de services. D’autant que moins d’un tiers (a) de la population mondiale possède un titre officiel de propriété foncière et immobilière, ce qui engendre des difficultés supplémentaires.

Enfin, les normes sociales ou l’absence d’incitations peuvent dissuader les ménages de se brancher à l’égout. Si les chefs communautaires et d’autres figures influentes ne se raccordent pas au réseau, le reste de la population peut alors estimer ne pas avoir non plus besoin de le faire. Les ménages disposeront souvent de leur propre système d’assainissement et sont probablement peu conscients de ses effets néfastes pour la santé de leur famille et de leur communauté et, plus largement, de l’environnement. L’existence d’un système d’assainissement ad hoc dont on ne comprend pas les inconvénients peut conduire les habitants à être rétifs au changement.

Or, l’évacuation en toute sécurité des eaux usées de tous les quartiers d’une ville est non seulement vitale pour le bien-être physique et économique de ses habitants mais également pour l’agglomération tout entière : si ses résidents sont trop malades pour travailler, elle va perdre en productivité ; si l’état sanitaire général laisse à désirer, la demande de services de santé essentiels va augmenter ; si elle est insalubre, les activités liées aux loisirs et au tourisme vont en pâtir ; et si les ménages ne se branchent pas à l’égout, les stations d’épuration, insuffisamment alimentées, ne fonctionneront pas de manière optimale et rencontreront des problèmes d’efficacité opérationnelle.

En outre, si les ménages ne sont pas raccordés et ne paient donc pas de redevances, l’entreprise gestionnaire des réseaux et des stations d’épuration gagne moins d’argent, avec le risque d’un fonctionnement sous-optimal qui conduirait à reporter les travaux d’entretien nécessaires. Au final, les infrastructures se détérioreront et contribueront à aggraver la pollution de l’environnement et l’état sanitaire de la population.

Le raccordement des ménages non raccordés à des réseaux existants et nouveaux peut donc procurer de multiples avantages sociétaux. Le rapport met systématiquement en évidence des stratégies, inspirées des meilleures pratiques internationales, pour les concrétiser.

Premier impératif : accorder la priorité au client. Bien souvent, les projets d’investissement s’intéressent davantage aux canalisations qu’aux usagers. Les ménages doivent être associés en amont à la conception d’un nouveau projet ou à l’élaboration d’un programme de raccordement — et cet engagement doit être initié par des personnes qui bénéficient d’une vraie crédibilité et d’un véritable capital social au sein de leur communauté. Grâce à cette sensibilisation, les ménages seront parfaitement au courant de toutes les possibilités et des conséquences d’un raccordement. Ils doivent aussi pouvoir exprimer leurs besoins et leurs préférences. Les enseignements tirés de ces consultations serviront de base à la définition des solutions adoptées par chaque programme. Ce dialogue doit idéalement être entamé avant la conception du projet mais, dans tous les cas, avant le commencement des travaux proprement dits.


Étude de cas : Salvador (Brésil)

Dans la ville de Salvador, au Brésil, l’entreprise de services publics Embasa a créé un service de mobilisation sociale qui a eu les moyens nécessaires pour prendre contact avec les responsables communautaires, organiser des réunions de voisinage et faire le lien avec les ménages. Embasa a pu ainsi tisser des relations de confiance avec les habitants. L’entreprise a également exigé de tous ses sous-traitants qu’ils aient leurs propres équipes de mobilisation sociale et de relations avec les communautés, afin de sensibiliser au mieux les populations pendant les premières phases du déploiement du programme. Au final, le programme a bénéficié à plus de 250 000 ménages, soit 2,5 millions d’habitants.


Deuxième impératif : se focaliser sur les « derniers mètres » et non plus seulement sur le « dernier kilomètre ». S’il est indispensable d’apporter des infrastructures publiques d’égout aux collectivités, ce n’est pas suffisant : le branchement des ménages est tout aussi important. Couvrir les derniers mètres implique de comprendre pourquoi tant de raccordements restent inactifs, sont bloqués ou n’existent tout simplement pas et d’éliminer tous les facteurs à l’origine d’une telle situation. Cela exige également d’évaluer de manière proactive les endroits où les raccordements des ménages sont possibles mais inexistants et de rectifier le tir en ayant tous les éléments en main. Il faut pour cela faire preuve d’innovation et d’adaptabilité, en envisageant des options non conventionnelles et en associant toutes les parties prenantes à la réflexion, afin d’identifier et d’apporter des solutions flexibles pour tous. Une telle approche garantira que chaque ménage pouvant être potentiellement branché à l’égout le soit effectivement.

Troisième et dernier impératif : identifier des champions à tous les niveaux pour accompagner le déploiement du programme de raccordement aux réseaux. Des décideurs influents et connus peuvent jouer un rôle décisif en orientant la réflexion dans les villes et les entreprises de services publics. Lorsque des individus issus des rangs des organisations chargées de la mise en œuvre du projet comprennent et font leurs ces idées, ils peuvent plaider en leur faveur et créer ainsi un cercle vertueux qui débouchera au final sur un programme mieux conçu et appliqué de manière plus efficace. De même, des responsables locaux contribueront à la réussite du programme en mobilisant la communauté et en donnant eux-mêmes l’exemple. À partir du moment où les ménages comprennent les avantages du branchement à l’égout — grâce à leur implication active dans le processus de conception et de déploiement — ils peuvent se transformer en ambassadeurs après de leurs voisins et vanter les mérites du dispositif.

Étude de cas : Tamil Nadu (Inde)

Dans l’État indien du Tamil Nadu, le gouvernement s’est fait le champion du programme et des élus y ont participé, depuis sa création jusqu’à sa mise en œuvre. Les autorités nationales, municipales et locales ont toutes eu un rôle clair et des responsabilités à assumer au niveau des politiques adoptées, du financement et du développement du programme d’assainissement urbain de l’État, de sorte qu’aujourd’hui, plus d’un million de ménages sont raccordés aux égouts.

Des résultats d’une telle envergure sont tout à fait accessibles et peuvent transformer le quotidien. Il ne s’agit certes que de quelques mètres de canalisations, les derniers, mais ils peuvent vraiment changer la donne…