ANTANANARIVO, le 8 juin 2020—C’est avant l’aube, quand seule la lumière des étoiles se reflète sur les eaux de la Baie d’Antongil que Labako, 31 ans et son frère cadet Gérard, 20 ans quittent leurs lits pour prendre la mer et s’en aller pêcher. À deux heures du matin, toute la maisonnée reste profondément endormie. En silence, les deux frères se donnent rendez-vous sur la plage pour préparer leur pirogue construite en bois, à laquelle est fixé un moteur flambant neuf.
Aller de plus en plus loin
« La pêche, c’est notre vie. C’était celle de nos parents et de nos grands-parents. On a toujours connu la mer. Elle nous fait vivre », explique Labako, père de deux enfants. Récemment, les deux frères ont investi leurs économies dans l’achat d’un petit moteur qui fonctionne au diésel pour ne plus avoir à compter sur la seule force de leurs bras et aussi pour pouvoir pêcher plus loin.
« Depuis quelques années, les poissons se font rares. Il faut aller de plus en plus loin pour pouvoir en pêcher », confie Gérard, nouvellement papa d’une petite fille. « C’est certes plus dangereux de s’aventurer au large, mais on reviendrait bredouille si on n’y allait pas. »
Ces dernières années, les prises de poissons ont effectivement diminué dans les régions côtières de Madagascar, notamment en raison de la surpêche et de pratiques de pêche nocives pour l'environnement. On estime en effet, que la moitié de la production totale du secteur de la pêche provient de prises illégales.
« Seule une pirogue sur cinq, soit 22 %, est immatriculée auprès des autorités, les prises de poissons ne sont généralement pas déclarées, les évaluations des stocks de poissons sont rares et les données économiques limitées », explique Julien Million, spécialiste principal de la pêches et chef du deuxième Projet sur la gouvernance des pêches et une croissance partagée dans le sud-ouest de l’océan Indien. « En conséquence, les stocks sont exploités au-delà des limites biologiques, sociales et économiques optimales et s’amenuisent à chaque saison de pêche. »
Un des poumons de l’économie malgache
Le secteur de la pêche joue un rôle primordial dans l’économie avec une production annuelle de 750 millions de dollars, soit 7 % du PIB national et une contribution de 6,6 % aux exportations de la Grande Île. Il est aussi important pour la santé nutritionnelle et la sécurité alimentaire des Malgaches, car il contribue à environ 20 % de la consommation de protéines animales. La pêche et l’aquaculture font également vivre près d’un 1,5 million d’habitants vivant le long du littoral. Ils font partie des communautés les plus vulnérables et les plus marginalisées du pays, la majorité d’entre eux ne possédant aucune autre source de revenu, même pas un lopin de terre pour cultiver. Les pêcheurs commencent très jeunes, dès l’âge de 11 à 15 ans. Selon une enquête nationale menée en 2012, environ deux tiers d’entre eux ne fréquentent pas l’école et seulement 6 % des pêcheurs ont étudié au-delà du primaire.
Bien que la pêche soit indispensable pour l’économie malgache, ainsi que pour la subsistance de plusieurs milliers d’individus, ce secteur fait face à des défis aussi complexes que nombreux. L’équilibre fondamental entre la conservation et l’exploitation des ressources halieutiques, en fait partie.
« Un des grands défis du secteur est de trouver le juste équilibre entre pêche économique et pêche responsable, de manière à intégrer adéquatement le rôle de l’humain dans son environnement, » affirme Lucien Fanomezantsoa Ranarivelo, ministre de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche. « C’est ainsi que notre ministère poursuit sa vision de valorisation de l’économie bleue tout en préservant l’écosystème marin et encourageant l’exploitation durable des ressources naturelles. »
Préserver les ressources grâce à l’engagement des communautés
En 2017, Madagascar a obtenu un financement de la Banque mondiale, du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et du Fonds japonais pour le développement des politiques et des ressources humaines (PHRD) à hauteur de 74,15 millions de dollars. Le but de ce financement était d’améliorer l’exploitation de certaines ressources halieutiques à l’échelle nationale et communautaire, et de permettre à certains pêcheurs dans les zones identifiées comme ultra prioritaires d’avoir accès à des moyens de subsistance alternatifs.
Ce projet, le deuxième SWIOFish2, vient compléter un premier projet démarré en 2015 aux Comores, au Mozambique et en Tanzanie. Il vise à faire en sorte que les pays du sud-ouest de l’océan Indien, et en particulier Madagascar, tirent profit des avantages économiques, sociaux et environnementaux procurés par l’exploitation durable des ressources halieutiques.
À Madagascar, le projet se concentre sur cinq zones cibles identifiées comme stratégiques pour la pêche et ses pôles de croissance. Trois de ces zones sont considérées comme Ultra Prioritaires : les baies d’Ambaro à Ampasindava dans la région de Diana, la baie d’Antongil dans la région d’Analanjirofo et la région de Melaky.
Labako et Gérard vivent à Rantohely, à 48 km de la ville de Maroantsetra, dans la région d’Analanjirofo où se trouve la baie d’Antongil. Ils font partie des 40 membres de l’association villageoise des pêcheurs de leur village, créée plusieurs années auparavant pour mieux gérer les ressources halieutiques de manière locale et concertée. Les membres se réunissent une fois par mois pour échanger sur leurs problèmes et se partager les responsabilités, notamment en matière de surveillance des zones de pêche.
Entre autres activités, le Projet SWIOFish2 appuie ces associations villageoises à assurer l’exploitation durable des ressources et la survie des espèces. Cela est effectué en incitant les pêcheurs à respecter les zones et périodes de pêche autorisées et en les sensibilisant à l’utilisation d’engins légaux et respectueux de l’habitat marin. Les activités du projet visent également à résoudre les problèmes de gouvernance et de productivité dans le secteur de la pêche à Madagascar, à éliminer les obstacles qui entravent l’investissement privé et nuisent à la viabilité des entreprises de pêche. Ensemble, ces interventions aident à restituer aux économies nationales une partie de la richesse tirées principalement du secteur de la pêche en haute mer et à créer de la valeur ajoutée cette filière grâce à une collaboration régionale.