Le flux de migrants quittant le Venezuela ne se tarit pas. Depuis 2016, plus de 4,6 millions de personnes ont fui le pays, pour la plupart vers d'autres pays d'Amérique latine comme le Pérou. Comment les communautés qui les accueillent peuvent-elles non seulement faire face à un tel afflux de population, mais aussi en tirer parti ?
Combien de kilomètres seriez-vous prêt à parcourir pour échapper à la faim ? Pour les Vénézuéliens, aucune distance n'est trop grande pour se soustraire à l'effondrement économique et social de leur pays.
Les migrations sont inscrites dans l'histoire de l'Amérique latine, mais on assiste aujourd'hui à un exode sans précédent. Selon l'agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), plus de 4,6 millions d'hommes, de femmes et d'enfants ont fui le Venezuela en quête d'un avenir meilleur.
Il s'agit de la migration la plus importante dans le passé récent de la région. Ces migrants fuient une crise humanitaire et économique à l’origine d’une grave dégradation des conditions de vie et de sécurité dans le pays.
Le HCR estime que, chaque jour, entre 4 000 et 5 000 personnes abandonnent le Venezuela. La plupart s'enfuient à pied, sans vraiment savoir où ils iront, mais avec l'espoir d'un avenir meilleur pour leur famille. Cet exode change profondément le visage de l'Amérique latine et des Caraïbes.
La Colombie, le Pérou et l'Équateur sont les principaux pays de destination des émigrés vénézuéliens.
Historiquement, la région a connu d'importants flux migratoires, surtout pendant la première moitié du 20e siècle, avec l'arrivée de vagues d’Italiens et d’Espagnols en Argentine, de Japonais au Brésil et de Chinois au Pérou. Puis, à partir des années 60, la région a été marquée par l'essor des migrations internes et vers les États-Unis, principalement à partir de l'Amérique centrale.
Mais la crise migratoire actuelle est différente. Son ampleur considérable exerce en effet une pression énorme sur les pays d'accueil, en particulier dans les domaines de l'éducation, de l'emploi et de la santé.
Mythes et réalités
La situation est devenue tellement critique que 11 pays de la région ont durci les conditions d'entrée pour les migrants et les réfugiés vénézuéliens. Le Pérou en fait partie. Au total, 870 000 Vénézuéliens ont parcouru 4 500 kilomètres pour y trouver refuge et d'autres devraient suivre.
Si ces mesures n’ont pas endigué le flux de nouveaux arrivants, elles ont augmenté le nombre d’entre eux en situation illégale. Or un nouveau rapport de la Banque mondiale (en espagnol) souligne que la réponse à la crise passe par l'intégration des migrants et la capacité du pays d’accueil à exploiter le potentiel que recèle leur présence en termes de croissance économique.
Ce ne sera pas chose facile. Au Pérou, les Vénézuéliens font l’objet de préjugés qui engendrent des réactions xénophobes et freinent leur intégration : « Si nous fermons les frontières, ils ne pourront plus entrer », « Tous les Vénézuéliens qui sont dans mon pays sont des délinquants », « Mon pays ne peut pas accueillir tous ces gens », « Les Vénézuéliens nous prennent notre travail »...
Le rapport de la Banque mondiale révèle que « les perceptions négatives à l'encontre de la population vénézuélienne sont plus répandues au Pérou que dans d'autres pays d'accueil et il est probable qu'elles vont se renforcer ».
Cette étude est l'un des volets d'une série de rapports consacrés aux migrations vénézuéliennes en Amérique latine et dans les Caraïbes. Elle a aussi constaté que la communauté vénézuélienne au Pérou (en espagnol) est majoritairement jeune — 42 % ont entre 18 et 29 ans — et que la plupart des migrants viennent de zones urbaines. Cette immigration est principalement constituée de familles, dont 117 000 enfants, et de personnes très qualifiées : 57 % des Vénézuéliens en âge de travailler vivant au Pérou ont fait des études supérieures et la moitié d'entre eux ont un diplôme universitaire.
Comment tirer parti de ce potentiel ? Si ces migrants étaient intégrés au marché de l'emploi formel péruvien, les estimations suggèrent que la productivité pourrait augmenter de 3,2 %. Et même lorsque les migrants vénézuéliens travaillent dans le secteur informel — la moitié d'entre eux sont employés dans les services — et perçoivent des salaires inférieurs à ceux des travailleurs locaux, ils peuvent générer des recettes fiscales d'environ 670 millions de dollars par an grâce à l'augmentation de la consommation et des impôts perçus, soit plus de 12 % du budget consacré par le Pérou au secteur de la santé en 2019.
Les salaires des migrants sont de l'argent frais qu'ils peuvent dépenser pour acheter des biens et des services au Pérou, contribuant ainsi à la croissance économique du pays.
Quels emplois pour les Vénézuéliens du Pérou ?
« Hola hija, tu as bien dormi ? ». C'est la question que pose chaque matin via WhatsApp le père de Paola Soto à sa fille. Il y a un an et demi, cette chirurgienne a fui son Venezuela natal et, avec beaucoup de détermination, elle a réussi à s'insérer sur le marché du travail péruvien.
Le personnel de la clinique qui l'emploie est très cosmopolite : elle travaille avec des médecins cubains, des infirmières péruviennes et des professionnels de la santé colombiens. Alors qu'elle n'a plus que des relations virtuelles avec sa famille, restée au pays, Paola met aujourd'hui sa formation et son expérience professionnelle au service des patients qu'elle reçoit.