MORONI, 18 juin 2019―La réponse habituelle au vol d’électricité consiste à débrancher l’usager, engager des poursuites et lancer une vaste campagne de vérification des compteurs. Cela permet certes de compenser une partie des pertes, mais cela ne règle pas les problèmes de fond.
Au Comores, la Banque mondiale (à travers le programme Genre et énergie en Afrique de l’ESMAP) et la Société nationale de l’électricité des Comores (SONELEC) ont opté pour une stratégie différente, mêlant sciences sociales, analyses de genre et principes de modification des comportements.
Grâce à une culture sociopolitique unique associant traditions matriarcales bantoues et religion musulmane, les femmes comoriennes sont des membres influents de la communauté et sont considérées comme les chefs de famille. Cette spécificité explique la décision de les responsabiliser davantage pour en faire des agents de changement à l’échelle locale dans le but de réduire les vols d’électricité et améliorer le règlement des factures.
Avant l’intervention, les recettes de la SONELEC étaient plombées par le non-règlement des factures, les défauts de paiement et l’absence de nouveaux raccordements officiels, au point que la viabilité de l’entreprise était menacée. Trois mois plus tard, l’argent des usagers commence à rentrer et les vols d’électricité diminuent.
Une approche méthodique
La Banque mondiale a commencé par réaliser une évaluation d’impact genrée sur la pauvreté et la situation sociale, afin d’évaluer l’impact des réformes politiques sur différents groupes de la population. L’étude a conclu que, du fait du régime matrilinéaire qui veut que les femmes soient propriétaires de l’habitation et enregistrent les contrats d’électricité à leur nom, les ménages dirigés par des femmes avaient davantage tendance à consommer de l’électricité sans la payer. Cependant, la communauté considère souvent que les femmes sont de meilleurs payeurs, à la fois plus fiables et plus transparents.
La Banque mondiale a également collaboré avec des experts en sciences comportementales afin de conduire un audit des comportements et de mieux comprendre les motivations, les normes sociales et les enjeux structurels à l’origine des pertes commerciales. Ce travail a mis au jour un certain nombre de freins au paiement des factures (notamment contraintes financières, factures qui ne parviennent pas au client, absence de compteur ou d’alimentation électrique et longueur des files d’attente pour procéder au paiement). Il a montré que les particuliers, constatant que les employés de l’entreprise et leurs pairs étaient les premiers contrevenants (non-paiement et raccordements illicites par exemple), ne voyaient pas pourquoi ils ne feraient pas la même chose, puisque cela semblait être la norme.
D’où la volonté d’insister sur les bons comportements exemplaires. Avec le soutien du programme de la Banque mondiale sur le Leadership collaboratif au service du développement (CL4D), une cartographie des parties prenantes sensibles au genre a été réalisée pour analyser en fonction du genrele rôle potentiel des différentes parties prenantes dans la réduction des vols d’électricité et la hausse du paiement des factures. Cet exercice a révélé que les hommes, parce qu’ils occupent des postes politiques à responsabilité dans le secteur de l’énergie, sont perçus par la population locale comme des dirigeants nommés en raison de leurs connexions politiques plus que pour leurs compétences. En revanche, parce qu’elles sont peu présentes dans la sphère politique, les femmes ne sont pas associées à ces images négatives et sont donc mieux placées pour promouvoir la transparence et les valeurs civiques de respect des obligations légales par le consommateur.