Avec les perturbations de ces dix dernières années, les femmes ont eu leur lot de pressions et de frustrations. Dans tout le pays, les mères des milieux les plus défavorisés ont dû assurer le bien-être et l’éducation de leurs enfants sans avoir les informations et les moyens financiers nécessaires. Celles qui dépendent de leurs maris se sentaient encore plus dépossédées et impuissantes, obligées de joindre les deux bouts avec les maigres sommes qu’ils leur allouaient tout en se voyant souvent dénier le droit de prendre des décisions regardant les achats du ménage.
« Dès que j’ai entendu parler du programme, j’ai demandé à y participer et, depuis, les transferts monétaires nous ont aidés dans de nombreux domaines, y compris pour instruire nos filles », raconte Sabreya, de Marsa Matrouh. Sa fille confirme : « Pour moi, tout le monde devrait avoir droit à l’éducation et personne ne devrait être obligé de rester à la maison. Ici, les gens ont peur qu’en sortant de chez elle pour aller à l’école, […] une fille se mette en danger. Mais c’est faux. La police protège tout le monde et de plus en plus d’enfants font des études. »
En plus d’avoir offert une instruction à ses enfants, Sabreya apprécie d’avoir pu épargner suffisamment d’argent pour acheter une chèvre et des pigeons, afin d’améliorer l’ordinaire : « Je suis très reconnaissante au programme pour ça. Quand je n’ai pas de travail, je peux vendre de la viande ou de la volaille. C’est un bon projet. »
Le projet Takaful et Karama a été mis en place un an après le lancement d’un grand programme de réformes visant à stabiliser l’économie égyptienne, créer des emplois et installer une croissance durable. Si les retombées positives de ces réformes commencent à se faire sentir, leurs effets négatifs à court terme, comme la hausse des prix, ont frappé de plein fouet les populations vulnérables. Pour aider les autorités égyptiennes à atténuer ces effets, la Banque mondiale a financé en 2015 l’opération Takaful et Karama, à hauteur de 400 millions de dollars.
Il s’agit de transferts monétaires conditionnels, c’est-à-dire que les ménages ne touchent leur allocation mensuelle de 325 livres égyptiennes que s’ils ont respecté des conditions clairement définies. Il faut, entre autres, que tous les enfants du foyer âgés de 6 à 18 ans effectuent au moins 80 % de leur scolarité ou que les mères et les enfants de moins de 6 ans passent quatre contrôles de santé par an dans un dispensaire local. Mais le programme suit aussi la croissance des enfants, par exemple.
« Grâce à la pension Takaful, j’ai pu démarrer mon petit commerce de boulangerie à la maison. J'ai acheté deux sacs de farine et j'ai commencé à cuire du pain. Les gens viennent acheter du pain chez moi, je n’ai pas besoin de sortir de ma maison ", a déclaré Sabah, une femme de Qena.
En plus de couvrir 10 % de la population égyptienne, le programme a des effets remarquables sur l’émancipation et l’inclusion économique des femmes, comme le note une récente évaluation d'impact indépendante réalisée par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) :
- amélioration du pouvoir de décision des femmes au sein du ménage, puisque ce sont elles les cibles du programme ;
- renforcement de l’estime de soi et de la confiance des femmes bénéficiaires, qui peuvent s’approprier l’argent reçu ;
- diminution des querelles provoquées par le stress financier et, partant, des violences domestiques, ce qui crée une atmosphère plus stable pour élever les enfants ;
- sentiment d’appropriation et d’espoir, nourri par les effets secondaires que sont l’accès des enfants à l’éducation et une amélioration de la situation sanitaire et alimentaire ;
- inclusion financière accrue grâce aux cartes à puce, qui incite les femmes à ouvrir des comptes en banque, épargner et emprunter davantage ;
- amélioration de la consommation et de la nutrition et, par ricochet, de l’état sanitaire puisque les bénéficiaires peuvent acheter de la viande, du poulet, des légumes et des fruits et donner ainsi à leurs enfants de meilleures chances de mener plus tard une vie prospère et productive.
Bénéficiaire du programme, Om Tarek, de Halayeb, apprécie, elle aussi, d’être maîtresse de son budget : « C’est vraiment bien que les transferts soient faits aux femmes. Comme ça, nous pouvons aller récupérer l’argent au moment où ça nous arrange le plus. »
Désireux de poursuivre une approche globale pour faire progresser encore davantage l’autonomisation des femmes, le ministère de la Solidarité sociale s’appuie sur la base de données du programme Takaful et Karama afin qu’elles puissent bénéficier d’autres offres intégrées de protection sociale.
Le volet « Zéro alphabétisation » du programme Takaful, mené en coopération avec le ministère de l’Éducation et de la Formation technique, s’emploie ainsi à éradiquer l’illettrisme chez les femmes bénéficiaires. De même, le dispositif « Deux, ça suffit » entend sensibiliser, avec le soutien du ministère de la Santé et de la Population, les familles ayant déjà deux enfants à l’espacement et au contrôle des naissances, en subventionnant leur accès à des moyens contraceptifs et à l’information.
Âgée de 25 ans et vivant à Menoufiya, Riham se sent libérée par le programme : « Si je dois acheter quelque chose pour la maison, je prends mon argent et je vais faire les courses. Je gère aussi mes achats personnels. » Elle explique également que, grâce aux transferts, sa « situation s’est améliorée ».