Skip to Main Navigation
ARTICLE 03 octobre 2018

Le succès de l’argent mobile au Kenya pourrait inspirer le monde arabe

Image

M-Pesa est une plateforme qui propose des services financiers par téléphonie mobile aux Kényans, en particulier aux habitants des zones rurales isolées. Le succès de M-Pesa, qui a été aussi massif qu’immédiat, pourrait servir d’exemple aux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord en quête d’une nouvelle source de croissance et d’emplois.

Par François de Soyres, Mohamed Abdel Jelil, Caroline Cerruti et Leah Kiwara

Les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) ont un atout : une jeunesse nombreuse et technophile. En se convertissant aux nouvelles technologies qui transforment rapidement le monde, ils pourraient libérer ce potentiel encore inexploité. Pour y parvenir, ils devront mettre en place des « biens publics numériques » essentiels, dont notamment des services d’argent mobile, qui revêtent une importance capitale.

À l’ère du numérique, l’internet haut débit et les systèmes de paiement en ligne sont l’équivalent des routes et des ponts de l’économie traditionnelle. Ils relient les entreprises et leurs clients, ils ouvrent des marchés. Et pour que ces marchés numériques fonctionnent, il est indispensable que les entreprises comme les clients disposent de moyens électroniques de transfert d’argent.

Le monde arabe aurait ainsi intérêt à prendre exemple sur la réussite du service M-Pesa, car les facteurs qui ont contribué au succès de ce système d’argent mobile né au Kenya sont aussi présents dans le monde arabe : les jeunes de la région MENA sont férus de technologies numériques, ils sont actifs sur les réseaux sociaux et comptent parmi les plus gros utilisateurs de téléphones mobiles au monde.

La réussite du déploiement de M-Pesa s’est propagée dans le milieu des start-up africaines. Elle a été un catalyseur et a ouvert des horizons à de jeunes entrepreneurs du Kenya et de l’ensemble du continent africain : M-Pesa a montré que des idées novatrices pouvaient être mises en pratique avec succès en Afrique et générer à la fois des possibilités commerciales et de développement pour les communautés locales.

Mais le succès remporté en Afrique peut-il s’exporter au Moyen-Orient ?

M-Pesa, qu’est-ce que c’est ?

En mars 2007, le principal opérateur de téléphonie mobile au Kenya, Safaricom, lance le service M-Pesa et révolutionne la manière dont les habitants du pays gèrent leur argent.

Le premier service proposé est le transfert d’argent par SMS. À l’aide d’un téléphone mobile classique, les utilisateurs peuvent envoyer ou recevoir des fonds par voie électronique. L’échange physique de l’argent (dépôts et retraits) s’effectue par l’entremise d’un réseau d’agents qui jouent pour l’essentiel le rôle de « guichets automatiques ». Ce réseau d’agents M-Pesa est constitué de petits commerces, de stations-service, de bureaux de poste et même d’agences bancaires traditionnelles. Aujourd’hui, il y a plus de 110 000 agents M-Pesa au Kenya, soit 40 fois plus que le nombre de distributeurs automatiques de billets (a).

Le prix du service est fixé de manière à attirer le plus grand nombre possible d’agents dans le réseau. Les dépôts en espèces sont gratuits, mais une commission variable est prélevée sur les transferts électroniques d’argent. Les agents perçoivent une fraction du montant des dépôts et retraits qu’ils traitent. M-Pesa est accessible à tout le monde, mais les utilisateurs non enregistrés paient une commission nettement plus élevée que ceux qui disposent d’un compte, ce qui encourage les personnes à s’enregistrer sur la plateforme.

La gamme des services proposés par M-Pesa n’a cessé de s’élargir depuis 2007. Au début, elle se limitait à l’achat de minutes de communication mobile ou au paiement des factures d’eau et d’électricité ou des frais de scolarité. En 2012, M-Pesa a proposé un service permettant aux utilisateurs d’ouvrir des comptes d’épargne rémunérés et d’obtenir des prêts à court terme. Enfin en 2017, Safaricom a lancé une nouvelle plateforme grâce à laquelle de petits exploitants agricoles peuvent communiquer par téléphone mobile avec des fournisseurs (pour l’achat d’engrais, de graines ou d’aliments pour le bétail), avec des agronomes, des organismes d’information, ou encore avec des magasins pour vendre leur production.

Les effets M-Pesa

Dix ans après son lancement, M-Pesa comptait 30 millions de clients dans 10 pays. Aujourd’hui, 96 % des familles vivant en dehors de la capitale, Nairobi, ont au moins un compte M-Pesa.

Selon plusieurs études, les ménages qui utilisent M-Pesa sont mieux à même de faire face à des baisses brutales de revenu, car ils peuvent plus facilement recevoir des transferts de fonds et parce qu’ils épargnent davantage. En outre, M-Pesa facilite l’autonomisation financière (a) des femmes et les aide à garder la mainmise sur leurs revenus. De ce fait, des femmes ont pu évoluer et passer de tâches agricoles à des emplois plus productifs.

L’adoption de M-Pesa a eu des effets considérables dans le monde des start-up de Nairobi. Au cours des dernières années, cet écosystème s’est développé très rapidement sur la base de modèles économiques inspirés de M-PESA. Selon le dernier rapport sur le financement des start-up technologiques en Afrique (a), les jeunes pousses kényanes ont reçu un total de 32,8 millions de dollars en 2017, soit le troisième plus gros montant levé par un seul pays du continent. Le Kenya compte aujourd’hui 38 start-up de technologie financière en activité.

Les raisons du succès de M-Pesa

La croissance de M-Pesa résulte de la conjonction de nombreux facteurs, dont la facilité d’ouverture d’un compte (qui est gratuite et ne nécessite qu’une pièce d’identité), la simplicité d’utilisation, le prix abordable, le taux élevé d’alphabétisation de la population et la forte pénétration de la téléphonie mobile.

Il faut aussi souligner un autre élément qui a favorisé le succès de ce système : il s’agit de la position réglementaire adoptée par la Banque centrale du Kenya (CBK) qui a décidé de ne pas s’opposer à l’arrivée de l’opérateur téléphonique dans le secteur financier, du moment qu’il offrait des garanties suffisantes. En se plaçant « au-dessus de la mêlée » en tant qu’organisme de réglementation, la CBK a autorisé l’expérimentation afin d’encourager l’innovation.

Grâce à sa position de leader, Safaricom a pu réaliser des investissements conséquents dans l’organisation des agents et le réseau mobile. En raison de la pression de ses concurrents, l’autorité de la concurrence du Kenya a ordonné en 2016 à Safaricom d’ouvrir son réseau d’agents M-Pesa à d’autres opérateurs téléphoniques proposant des services d’argent mobile. Un an plus tard, les opérateurs ont conclu un accord qui permet aux utilisateurs de transférer de l’argent même si les deux parties à la transaction n’ont pas le même fournisseur d’accès.

 

Les perspectives pour la région MENA

La région MENA pourrait facilement s’inspirer de l’exemple du Kenya et en tirer d’immenses bénéfices. L’adoption de systèmes de paiement mobiles rend les transactions moins chères, plus faciles et plus sûres. En simplifiant la façon dont les consommateurs peuvent acheter des biens et des services, ces systèmes aident les entreprises à toucher de nouveaux clients et favorisent l’expansion du secteur privé dans toute l’économie d’un pays. Par ailleurs, comme cela se produit souvent, cette innovation peut être exploitée et utilisée par d’autres nouvelles technologies et créer une dynamique positive dans le secteur des fintechs en général.

Pour cela, les gouvernements du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord devraient favoriser l’innovation numérique en adoptant des réglementations favorables et en mettant en place un cadre qui garantisse la sécurité des transactions tout en permettant des expérimentations. Cela stimulerait la mise au point et le déploiement d’innovations « disruptives ».

Aujourd’hui, la connectivité de l’économie repose sur le développement et l’harmonisation des réseaux de fibre optique, des équipements informatiques, des systèmes de paiement en ligne, des modes de transmission de l’information et des politiques de protection des données. Si la région MENA s’investit réellement dans ces domaines, elle pourra offrir de nouvelles perspectives (a) à ses habitants, en particulier aux jeunes, et mettre en œuvre une nouvelle stratégie de développement (a) adaptée au monde moderne.



Api
Api