Bachatt Ould Boughrou est l’un des villages ciblés par le programme de transferts sociaux Tekavoul (solidarité en arabe) mis en œuvre par le gouvernement mauritanien —qui a investi 10 millions de dollars de son budget national dans ce programme déployé sur une durée de cinq ans— avec le soutien de la Banque mondiale (à hauteur de 15 millions de dollars), du Département de développement international britannique (DFID) (à hauteur de 4 millions) et de l’Agence Française de Développement (AFD) qui vient d’investir 2,5 millions de dollars. Objectif ? Améliorer le quotidien et investir dans le capital humain des ménages les plus vulnérables via l’octroi de filets sociaux tout en incitant à des changements de comportement de la part des participants.
Tous les trois mois, 22 309 ménages dans le besoin, dans six départements parmi les plus pauvres du pays, reçoivent la somme de 1500 ouguiyas (soit environ 42 dollars). Pour recevoir leurs paiements, ils doivent cependant assister à des séances de promotion sociale (comme celle dispensée par Moustapha et Hawa) qui couvrent des sujets variés tels que la nutrition, l’hygiène et le développement de la petite enfance. « D’ici 2020, le programme ciblera pas moins de 100 000 ménages et s’étendra à l’ensemble du territoire », précise Mohamedou M’Haimid, coordinateur du Programme National Tekavoul.
« L’un des objectifs affichés du programme est d’investir dans la génération future et de casser le cycle de la pauvreté en s’attaquant à la pauvreté intergénérationnelle », explique Matthieu Lefebvre, spécialiste en protection sociale à la Banque mondiale et chargé du projet. « Il y a donc à la fois un impact à court terme –les ménages pouvant utiliser l’argent pour leurs besoins immédiats, généralement l’accès à la nourriture et aux services de base— et un impact à plus long terme, ces transferts monétaires permettant aux ménages de mettre un peu d’argent de côté et d’investir dans leurs moyens d’existence et leur bien-être. De plus, les transferts monétaires aux plus pauvres ont également un impact démultiplicateur démontré sur les économies locales et profitent ainsi à l’ensemble de la communauté", ajoute-t-il.
Mariam Samba Sow, 42 ans, mère de cinq enfants, bénéficie de ce pécule additionnel depuis plus d’un an et assiste assidument aux séances de promotion sociale. « Avant, je négligeais l’hygiène, » explique-t-elle. « Aujourd’hui, j’incite ma famille à se laver les mains, je balaye ma maison et au village nous constatons déjà un impact car il y a moins de maladies comme les diarrhées ou les maladies de peau, » assure-t-elle. « J’ai également compris quels aliments il fallait réunir pour mieux nourrir mes enfants ».
Selon Penda Sow, maire adjointe de Forum Gleita, le village voisin, l’impact du programme est double : il permet aux femmes (les principaux récipiendaires du programme car ce sont elles qui s’occupent des enfants) d’acquérir une certaine autonomie financière pour subvenir aux besoins des enfants tout en permettant à ces derniers de s’épanouir.
Afin de réaliser ces transferts de manière efficiente et sécurisée, l’agence Tadamoun qui gère le programme Tekavoul a déployé un réseau d’agents qui utilisent des terminaux portables pour réaliser les paiements (chaque bénéficiaire détenant une carte de paiement à puce).
Le programme national de transferts sociaux (Tekavoul) n’est cependant que l’un des trois piliers du Projet d’appui au système de filets sociaux qui comporte également le déploiement d'un registre social, base de données établie dès 2015 afin d’identifier les ménages les plus pauvres en Mauritanie et de permettre un meilleur ciblage des programme sociaux. Ce registre est utilisé par un ensemble d’acteurs du développement comme l’ONG Oxfam, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) ou encore le Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA). Enfin, le projet appuie également un mécanisme de réponse aux chocs —baptisé Almaouna (entraide)— mis en œuvre par le CSA qui consiste en des transferts monétaires saisonniers (et non conditionnels) ciblant les ménages affectés par des chocs tels que la sécheresse.
Dans le département de M’Bout, 1014 ménages ont déjà bénéficié de tels appuis, chaque bénéficiaire recevant 34.000 ouguiyas (environ 95 dollars) par mois pendant les trois mois de soudure, période entre l’épuisement des réserves et le début de la récolte. Cette année, 3 537 ménages dans le département voisin de Barkewol, durement touché par la sècheresse, recevront ces transferts monétaires « réactifs aux chocs ». Une aide financière qui permettra par exemple aux bénéficiaires de ne pas vendre leur cheptel et conserver le peu de biens qu’ils possèdent.
A travers un certain nombre de programmes et d'outils l’objectif ultime du programme de filets sociaux en Mauritanie est de briser le cycle de la pauvreté en s’attaquant à certaines causes structurelles de la vulnérabilité économique et sociale, insiste Matthieu Lefebvre, chargé du projet pour la Banque mondiale.