La réaction de Stephen Makoi après le meurtre de son frère, en 2016, en a surpris plus d’un : pendant plusieurs jours, il s’est rendu chez l’homme responsable de cet acte, pour discuter. Cette démarche a déconcerté et mécontenté sa famille en deuil, qui avait soif de vengeance, ainsi que plusieurs membres du clan du meurtrier.
Stephen Makoi est originaire de la communauté (payam) d’Amongpiny, une région du Soudan du Sud où les affrontements entre communautés ont fait des milliers de morts. En réagissant ainsi au meurtre de son frère, il a voulu empêcher la vengeance de son propre clan pour éviter de nouveaux bains de sang. Il a aussi permis la mise en détention du suspect par des agents de police et l’ouverture d’un processus judiciaire.
« Je l’ai fait parce que je veux montrer à mon peuple que nous pouvons gérer ces problèmes autrement », explique-t-il.
Une évolution positive des dynamiques de conflit
Stephen Makoi impute sa réaction au fait qu’il participe au Projet d’appui à la gouvernance locale (LGSDP) (a), qui bénéficie d’un financement de 50 millions de dollars de l’IDA, le fonds de la Banque mondiale pour les pays les plus pauvres. Fondé sur une approche de développement piloté par les communautés, le projet intègre gouvernance, fourniture de services, construction de la paix et participation des populations.
Le villageois reconnaît que, au départ, sa décision de ne pas venger le meurtre de son frère a sérieusement écorné son autorité de président élu du comité local de développement.
Mais Jonas Njelango, responsable du projet pour ACROSS, organisme partenaire de la Banque mondiale chargé de l’exécution du projet, constate le pouvoir transformateur de ce programme sur les dynamiques du conflit. Il voit évoluer les perceptions et les comportements à mesure que la participation des habitants au développement local augmente. « Le fait que cette affaire n’ait pas dégénéré en conflit est, en soi, une sacrée réussite », souligne-t-il.
Résolution des conflits par la communication
Lancé en 2013, le projet a été déployé dans sept des dix États originaux du Soudan du Sud. Les communautés participent à la planification à l’échelle de la payam et du comté (boma), à travers des comités qui identifient les projets qui les intéressent. Il s’agit souvent de petites interventions financées par des subventions pour améliorer les infrastructures et qui seront ensuite intégrées dans les plans et budgets de développement du comté.
Le processus contribue également à résoudre des conflits. « Nous avons réalisé que personne ne pouvait imposer de manière arbitraire ses besoins aux autres », explique Stephen Makoi. « Chacun doit pouvoir débattre et voter pour le projet qui l’intéresse. Ce faisant, nos communautés ont résolu quantité de problèmes de manière pacifique et constructive. »
Le programme organise en général une réunion au cours de laquelle les habitants analysent les racines du conflit et recensent les ressources locales avant de discuter des priorités de développement. La récurrence des hostilités intercommunautaires au Soudan du Sud rend cette cartographie des conflits vitale pour planifier le développement local. Et ce processus encadré favorise les interactions pacifiques et le respect mutuel.
James Biith, qui préside un comité local de développement dans la payam de Jiir, affirme qu’auparavant, les communautés d’Amongpiny, Jiir et Matangai étaient constamment en conflit. « Avant, il aurait été impensable que nous nous retrouvions assis ainsi à côté les uns des autres », rappelle-t-il. « Au bout d’un quart d’heure, c’était la fusillade assurée. Le projet a pris en compte les attentes de chacun, sans distinction, et a réussi finalement à nous réunir. »