BANGUI, le 22 mars 2017–La scène est familière pour quiconque se rend en Centrafrique. Pioches ou pelles en main, hommes et femmes, jeunes ou moins jeunes, vêtus de gilets de construction orange vif, s’activent au bord des grandes artères ou à l’intérieur des quartiers : l’un rebouche des nids de poule, l’une pousse une brouette pendant qu’un autre défriche. Facilement identifiables grâce à leur vélo flambant neuf, bonus qu’ils obtiennent lorsqu’ils décrochent un emploi dans le cadre de ces travaux à haute intensité de main d’œuvre, ces travailleurs font désormais partie du décor centrafricain.
Conduits dans le cadre du Projet LONDO (« Debout » en Sango, la langue officielle de la RCA), ces travaux de réhabilitation des pistes, financés par la Banque mondiale, fournissent un emploi temporaire à de nombreuses personnes vulnérables, notamment les jeunes désœuvrés qui, par le passé, étaient parfois tentés de rejoindre les groupes armés.
À Bimbo, la banlieue la plus peuplée de Bangui, la capitale, qui a bénéficié de cette intervention mi-2016, le témoignage d’Albert Panga, sous-préfet de la zone, en dit long sur l’impact de LONDO: « Le projet a été très bien accueilli parce qu’il a créé 500 emplois dans ma zone et a eu un impact important sur l’assainissement, grâce au dégagement des rues bouchées, au curage des canalisations, à la collecte des déchets au bord des route, au nettoyage des places publiques et des centres administratifs »,assure-t-il.
Bertrand Barafa Wikon fait partie des bénéficiaires. Titulaire d’une maîtrise en droit privé, il a obtenu un poste de chef d’équipe à Begoua, et il s’en réjouit : « Le projet m’a beaucoup aidé parce que j’étais au chômage malgré ma maîtrise. Le peu de temps que j’ai travaillé m’a déjà permis de gagner suffisamment d’argent pour subvenir aux besoins de ma famille. Je me prépare même à monter ma propre affaire ». Au-delà de l’emploi que lui a fourni LONDO, Bertrand reste profondément marqué par la leçon qu’il a apprise en travaillant : « Grâce au projet, il existe maintenant une certaine cohésion sociale entre nous, les jeunes, alors qu’avant on ne s’acceptait pas. Les gens recrutés sur les chantiers du projet appartiennent à toutes les ethnies et religions. On est toujours ensemble du matin au soir, ça développe une certaine complicité entre nous», confie-t-il.
« LONDO est un projet pionnier qui a montré qu’il était possible d’œuvrer dans les zones les plus reculées du pays grâce notamment à une excellente collaboration entre la Banque mondiale et la MINUSCA, l’opération de maintien de la paix de l’ONU qui assure la sécurité dans les zones encore sous l’emprise des groupes armés», explique Jean-Christophe Carret, représentant résident de la Banque mondiale en Centrafrique. Ainsi, les travaux viennent juste de démarrer à Obo, zone où l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) sévit encore, et qui n’avait pas vu de projet de développement depuis 20 ans. Selon Jean-Christophe Carret, ce projet montre que les projets de relance économique sont une condition sine qua non pour établir une paix durable en Centrafrique.
« L’originalité du Projet LONDO tient également au fait que les bénéficiaires sont sélectionnés grâce un système de loterie publique innovant et transparent destiné à renforcer la cohésion sociale », explique Sophie Grumelard, spécialiste en développement social à la Banque mondiale et co-chargée du projet. Les bénéficiaires sont en effet sélectionnés par tirage au sort sur la place publique devant tous les villageois. Ajoute-t-elle.
Jean Kokadian, jeune habitant du quartier Castors, a quant à lui perdu son petit commerce pendant la guerre. Recruté par le projet comme manœuvre, il gagne 1500 francs CFA par jour. « Ce montant est suffisant pour aider mes frères et sœurs à la maison »,affirme-t-il. L’opportunité offerte par ce nouveau travail lui a permis de relancer ses affaire : « La dernière fois que j’ai perçu mon salaire – versé généralement toutes les deux semaines – j’ai pu acheter un sac pour porter mes fournitures scolaires ; j’ai aussi payé une table et des bouteilles d’eau minérale vides pour m’en servir pour vendre de l’essence et du pétrole au bord de la route. »
Carine Data, elle, est employée par le projet à Bouar (principale ville du Nord-Est). Comme les autres, elle gagne 30 000 francs CFA par mois avec lesquels elle s’organise pour vivre, « Ce que je gagne me permet de subvenir à mes besoins et de prendre en charge le reste de ma famille. Je suis orpheline de père donc je ne compte que sur moi-même. J’ai ainsi mis un peu d’argent de côté pour acheter un pousse-pousse à la fin de mon contrat. Avec le reste, je compte m’inscrire à un cours du soir pour préparer mon avenir. »
Augusto Ramos vit en RCA depuis plus de 20 ans. Conducteur de travaux dans l’une des entreprises bénéficiaires (GER), il est convaincu que LONDO a aidé à changer les mentalités dans le pays. « Voir des femmes avec des pioches et des pelles à la main, c’est une chose que je n’avais jamais vue avant dans ce pays. L’enseignement que je tire de ces travaux est qu’ils sont salvateurs pour le pays dont la population vit dans la plus grande précarité depuis la période très douloureuse qu’elle a traversée », commente-t-il.
«Le projet a redonné espoir à des populations meurtries par des années de conflit», estime Paul Bance, spécialiste principal des opérations et chargé du projet. Au total, le projet a versé près de 1,4 milliard de francs CFA (plus de 2,6 millions de dollars) de salaires au cours de distributions directes sur les chantiers. A ce jour, les 69 loteries publiques organisées dans 52 sous-préfectures du pays ont permis de recruter 24 500 personnes dont 33 % de femmes.
Le projet compte recruter 10 000 personnes supplémentaires pour doubler le nombre de routes réhabilitées.