N'DJAMENA, le 17 mars 2017− Ici comme dans les autres camps qui s’accumulent aux quatre coins du Tchad depuis quelques années, le regard des hommes, femmes et enfants ne peut laisser indifférent. Ils ont tout perdu dans leur fuite, et ont besoin de tout. « Nous avons tous laissé nos métiers derrière nous, nous ne pêchons plus, nous ne cultivons plus, nous ne faisons plus nos commerces habituels ; c’est très stressant de rester sans travailler », se plaint Ousmane Mahamat, chef du camp de réfugiés de Dar-es-Salam.
Quelque 8 000 personnes tentent désespérément de refaire leur vie dans ce camp de la localité de Bagassola, sur les rives du Lac Tchad. Eparpillées sur des kilomètres de tentes en bâches, estampillées à perte de vue aux couleurs de l’ONU, elles se remettent difficilement du traumatisme causé par les ravages de Boko Haram.
Plus loin, à l’extrême-sud du pays, la préfecture de Goré croule également sous le poids des réfugiés. « Ici l’ensemble des rapatriés et des réfugiés, ayant fui la guerre en RCA, représentent la moitié de la population autochtone. On compte jusqu’à 33% de réfugiés sans tenir compte des rapatriés », explique le Préfet de Goré, Augustin Gongtar. À l’Extrême-Est, située à cheval sur la frontière avec le Soudan, la région de Dar Sila accueille depuis 13 ans des réfugiés du Darfour, et plus récemment de la République centrafricaine (RCA). Là aussi, le général Moussa Haroun Tirgo, gouverneur de la région, dépeint une situation intenable : « notre région est fortement affectée par les crises du Darfour et de la RCA. Nous accueillons environ 54 000 réfugiés dans des conditions de vie difficiles, sans accès à l’eau et à des services sociaux de base, alors que par ailleurs nous sommes enclavés 5 mois de l’année à cause des inondations ».
Une mission conjointe pour aller au-delà de la seule action humanitaire
C’est dans ce contexte qu’une mission conjointe de la Banque mondiale, du HCR et de l’ONU s’est rendue au Tchad il y a quelques semaines. « L’objectif de ce déplacement sur le terrain est de poursuivre notre dialogue stratégique sur les déplacements forcés au Tchad avec le gouvernement et les principaux partenaires, dans le cadre de la reconstitution du fonds de l’Association internationale de développement (IDA 18) qui prévoit de dédier une enveloppe importante à l’aide aux réfugiés et à leurs communautés d'accueil » a expliqué Adama Coulibaly, représentant résident de la Banque mondiale au Tchad. La mission comprenait également Xavier Devictor, responsable du programme mondial sur le déplacement forcé, Jose Antonio Canhandula, représentant résident du HCR et Stephen Tull, coordinateur résident du système des Nations Unies au Tchad, coordinateur humanitaire et représentant résident du PNUD.
En échangeant directement avec ces femmes, hommes et enfants réfugiés, rapatriés ou hôtes, désormais obligés de cohabiter dans des conditions de vie difficiles, Xavier Devictor a été « impressionné par le langage d’accueil et d’inclusion » que tiennent malgré tout les différents interlocuteurs sur le terrain. Dans chaque endroit où s’est rendue la mission, populations d’accueil et autorités administratives ont en effet démontré une remarquable solidarité et hospitalité vis-à-vis des personnes déplacées de force, qu’elles ont accueillies dans leur région et avec lesquelles elles ont tout partagé. Et ce malgré la pauvreté extrême dans laquelle elles vivent parfois.
De quoi rassurer la mission qui réfléchit à de nouvelles interventions pour soutenir le Tchad. « Nous sommes déterminés à soutenir les efforts du Tchad, non pas pour dupliquer ce que fait déjà le HCR sur le terrain, mais pour aller au-delà de la seule prise en charge des réfugiés, en englobant une approche plus générale qui établissent une stratégie de développement pour l’ensemble de la population de la région », envisage Xavier Devictor
Aider les réfugiés sans délaisser les populations hôtes
Les premières conclusions de la mission ont clairement établi que les communautés d’accueil « subissent les conséquences de la pression démographique exercée par la présence des déplacés de force. Notamment sur l’environnement naturel. Elles reçoivent peu d’aide en retour, et paradoxalement, elles ont parfois un plus faible accès aux infrastructures et services de base, que les réfugiés et les déplacés », poursuit-il.
« Votre aide nous sera précieuse pour favoriser une insertion plus active des déplacés forcés et réduire la pression que cette situation exerce sur notre communauté. Nous partageons tout avec eux, hôpitaux, écoles, repas, champs sans y avoir été préparés. Par conséquent, la population d’accueil mérite aussi l’attention de nos partenaires au développement » souligne le Préfet de Bagassola, Sougnabe Dimougna en s’adressant à la mission.
Le HCR a déjà entamé des discussions avec les réfugiés afin de les préparer à une nouvelle approche dans leur prise en charge. Selon Antonio Canhandula, son représentant résident, « nous devons faire en sorte que le réfugié adopte une attitude plus active. Cela est important pour son intégration locale et son inclusion sociale ». De la sorte, ajoute-t-il « on aura adapté nos efforts au contexte, car en réalité nous avons affaire à 20% de problèmes humanitaires et 70% de problèmes de développement ».
Par ailleurs, le Projet d’aide d’urgence à l’élevage et à la crise alimentaire, financé par la Banque mondiale et mis en œuvre par le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’Organisation pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), a déjà permis à quelque 70 000 réfugiés d’être plus autonomes et de se reconstruire en se lançant dans des activités agricoles génératrices de revenus. Il s’agit maintenant de pérenniser ce type d’initiatives.