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Pourquoi investir dans l’énergie solaire thermodynamique ? Retour d’expérience avec le cas du Maroc

26 octobre 2016


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Le problème est souvent le même avec les nouvelles technologies : comme leur véritable valeur ne s’impose que lorsque les gens commencent à s’en servir, rares sont ceux qui sont prêts à les tester tant qu’elles n’ont pas fait leurs preuves. Pour sortir de ce cercle vicieux et réunir des éléments probants, il faut des visionnaires, qui soient capables à la fois de repérer le potentiel inhérent à une nouvelle technologie et de prendre le risque de s’y aventurer.

C’est exactement ce qui s’est passé pour l’énergie solaire thermodynamique (ou CSP pour Concentrated Solar Power en anglais) dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA). Jusqu’à ce que le Maroc décide non sans audace d’investir dans cette technologie. La première tranche du projet NOOR, qui vise une production de 500 mégawatts (MW), a été achevée courant 2016 : en devenant opérationnelle, la centrale NOOR I, d’une capacité de 160 MW, va pouvoir démontrer tout l’intérêt de la CSP au reste de la région.

Tirer les enseignements du projet NOOR

Des responsables gouvernementaux et des experts de l’énergie et des finances se sont réunis à Casablanca (Maroc) voici quelques mois pour passer au crible ce projet. Le tout dans l’idée de partager les connaissances et d’établir des réseaux pour donner un coup de pouce à la CSP dans une région que son ensoleillement généreux rend idéalement adaptée à cette technologie. Cette conférence était organisée par l’Agence marocaine pour l’énergie solaire (MASEN), qui pilote la conversion du pays aux énergies renouvelables, les Fonds d’investissement climatiques (CIF) (a) et le Groupe de la Banque mondiale. Les CIF et la Banque se sont associés dans le but de soutenir la création de capacités à hauteur de 1 GW de CSP dans la région, à travers le plan d’investissement dans la CSP de la région MENA du Fonds pour les technologies propres (CTF), doté de 750 millions de dollars.

Dans ses remarques liminaires, le président de MASEN, Mustapha Bakkoury, a insisté sur le premier enseignement, à savoir que le Maroc n’avait pas privilégié telle technologie par rapport à telle autre. Les autorités cherchaient simplement une solution pour s’affranchir de leur dépendance aux combustibles fossiles importés et lutter contre le changement climatique. D’où l’objectif d’assurer 42 % de la production d’énergie par des ressources renouvelables à l’horizon 2020 — une ambition que le pays a portée à 52 % en 2030 lors la dernière conférence sur le climat, à Paris. C’est au cours des réflexions sur les moyens de satisfaire les besoins énergétiques actuels et futurs du pays dans ce cadre que la CSP s’est imposée comme une option envisageable.

Lors de l’étude de marché réalisée par MASEN, la compagnie nationale d’électricité a souligné que les pics de demande étaient enregistrés en début de soirée, juste après le coucher du soleil. Grâce à ses capacités de stockage thermique, la CSP pouvait donc répondre à ces besoins. En revanche et malgré des coûts d’équipement bien moindres, l’énergie photovoltaïque ne peut produire de l’électricité qu’en plein jour, quand le soleil brille. Conscientes de la supériorité de la solution CSP, les autorités marocaines étaient disposées à investir.

Et c’est là qu’intervient le deuxième enseignement : l’importance des financements concessionnels, à court et moyen termes, pour assumer les coûts d’investissement plus élevés associés à cette technologie. Grâce à un financement concessionnel de 435 millions de dollars accordé par les CIF, le pays a pu lever plus de 3 milliards de dollars auprès du Groupe de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement et d’autres établissements financiers européens. Pour les institutions financières internationales, ce projet était l’occasion de soutenir l’essor d’une nouvelle technologie susceptible de jouer un rôle critique dans la mutation de la planète vers le bien public mondial que constituent les énergies vertes. Les investissements dans cette technologie, en particulier dans la région MENA, contribueront fortement à faire baisser le coût de la technologie CSP dans le monde. L’ensoleillement et les températures caractéristiques du Maroc permettront de rentabiliser beaucoup plus qu’ailleurs les investissements consentis. En plus de contribuer à affranchir la planète de sa dépendance aux combustibles fossiles, cette technologie verte va permettre au Maroc d’exploiter ses ressources naturelles au service d’un objectif d’indépendance énergétique nationale reposant sur un intrant propre et fiable.


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Chaque nouvelle centrale solaire contribue à la diminution du prix de l'électricité générée


Réfléchir en termes de « valeur » plutôt que de « coûts »

Chaque nouveau projet faisant appel à l’énergie solaire thermodynamique permet d’affiner cette technologie et de faire baisser son prix. NOOR I peut stocker l’équivalent de trois heures d’énergie, tandis que NOOR II et III offriront un stockage de sept heures. Ailleurs dans le monde, la centrale Redstone (a), en Afrique du Sud, dont le plan a été dévoilé en 2015, devrait pouvoir stocker l’équivalent de 12 heures d’énergie. NOOR II, III et Redstone utilisent toutes les trois un dispositif de refroidissement sec qui permet de minimiser l’utilisation d’une autre ressource naturelle précieuse : l’eau.

Il faudra certes mobiliser d’autres financements concessionnels mais, pour augmenter les investissements dans la technologie CSP et attirer d’autres bailleurs de fonds, le secteur privé devra absolument être associé. Acwa Power fait partie d’un consortium qui a remporté des appels d’offres pour les projets NOOR et Redstone. Son patron, Paddy Padmanathan, était présent à Casablanca. Il a expliqué que le kilowattheure produit par la centrale NOOR I revenait à 24.5 cents, et qu’en tenant compte des financements concessionnels, à 18 cents/kWh, sachant que ce tarif passera à 19 cents/kWh avec NOOR II et à 17.5 cents/kWh avec Redstone.

Compte tenu du nombre de projets en préparation, le prix de la CSP devrait continuer de baisser. Actuellement cependant, ce facteur reste un obstacle important, ce qui incite pas mal de décideurs à opter pour les énergies photovoltaïques et éoliennes qui, grâce à une diminution plus rapide des coûts d’investissement, coûtent actuellement moitié moins cher que la CSP. Pour Luis Crespo, président d’ESTELA, il s’agit là d’une politique à courte vue, qui ignore la valeur même de la CSP, à savoir son aptitude à fournir de l’électricité à la demande, la nuit comme le jour. Cette propriété en fait l’équivalent de l’énergie produite par des centrales conventionnelles à combustibles fossiles, émissions nocives et facture salée en moins. Du fait de ses nombreux autres impacts positifs, la CSP offre, toujours selon M. Crespo, un bon rendement pour chaque dollar de financement concessionnel investi.

Souvent construites dans des zones isolées, les centrales CSP apportent aux communautés démunies qui y vivent emplois et développement. Le président de MASEN, Mustapha Bakkoury, a évoqué les retombées pour l’économie locale, affirmant que le projet NOOR avait incité les industries manufacturières impliquées dans la production de ses composants à monter en gamme : 30 % des produits ont été achetés localement. Le projet NOOR II entend porter ce chiffre à 35 %.

Sans oublier les nombreuses applications industrielles envisageables grâce à un sous-produit de cette technologie : la vapeur d’eau. Aujourd’hui, elle sert à l’extraction de pétrole dans des gisements difficiles à atteindre, mais elle pourrait également rendre d’importants services à la région, pour la désalinisation de l’eau par exemple. Paddy Padmanathan a cité le cas d’une entreprise agricole en Australie-Occidentale qui pompe la vapeur produite par la centrale CSP pour alimenter ses serres et faire ainsi mûrir des tomates. En lieu et place des contrats d’achat d’électricité, en général associés à la construction de la plupart des centrales, le projet a été sous-tendu par un contrat d’achat de tomates…

La conférence s’est achevée sur un dernier enseignement : rien ne justifie que la région persiste dans un certain attentisme. Le Maroc a su faire le premier pas, malgré les risques, et a démontré tout l’intérêt de cette technologie. Depuis l’annonce du projet NOOR, voici quatre ans, le coût de cette technologie n’a cessé de baisser tandis que ses performances sont toujours plus convaincantes. Les CIF, le Groupe de la Banque mondiale et d’autres institutions sont prêts à aider les pays, par le biais de financements concessionnels et de conseils techniques, pour qu’ils investissent, malgré son prix, dans une énergie renouvelable aussi fiable que les combustibles fossiles qu’elle est vouée à remplacer.

Si tous ces arguments ne parviennent pas à emporter la mise, peut-être que la promesse de tomates juteuses et charnues le fera !



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