Le problème est souvent le même avec les nouvelles technologies : comme leur véritable valeur ne s’impose que lorsque les gens commencent à s’en servir, rares sont ceux qui sont prêts à les tester tant qu’elles n’ont pas fait leurs preuves. Pour sortir de ce cercle vicieux et réunir des éléments probants, il faut des visionnaires, qui soient capables à la fois de repérer le potentiel inhérent à une nouvelle technologie et de prendre le risque de s’y aventurer.
C’est exactement ce qui s’est passé pour l’énergie solaire thermodynamique (ou CSP pour Concentrated Solar Power en anglais) dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA). Jusqu’à ce que le Maroc décide non sans audace d’investir dans cette technologie. La première tranche du projet NOOR, qui vise une production de 500 mégawatts (MW), a été achevée courant 2016 : en devenant opérationnelle, la centrale NOOR I, d’une capacité de 160 MW, va pouvoir démontrer tout l’intérêt de la CSP au reste de la région.
Tirer les enseignements du projet NOOR
Des responsables gouvernementaux et des experts de l’énergie et des finances se sont réunis à Casablanca (Maroc) voici quelques mois pour passer au crible ce projet. Le tout dans l’idée de partager les connaissances et d’établir des réseaux pour donner un coup de pouce à la CSP dans une région que son ensoleillement généreux rend idéalement adaptée à cette technologie. Cette conférence était organisée par l’Agence marocaine pour l’énergie solaire (MASEN), qui pilote la conversion du pays aux énergies renouvelables, les Fonds d’investissement climatiques (CIF) (a) et le Groupe de la Banque mondiale. Les CIF et la Banque se sont associés dans le but de soutenir la création de capacités à hauteur de 1 GW de CSP dans la région, à travers le plan d’investissement dans la CSP de la région MENA du Fonds pour les technologies propres (CTF), doté de 750 millions de dollars.
Dans ses remarques liminaires, le président de MASEN, Mustapha Bakkoury, a insisté sur le premier enseignement, à savoir que le Maroc n’avait pas privilégié telle technologie par rapport à telle autre. Les autorités cherchaient simplement une solution pour s’affranchir de leur dépendance aux combustibles fossiles importés et lutter contre le changement climatique. D’où l’objectif d’assurer 42 % de la production d’énergie par des ressources renouvelables à l’horizon 2020 — une ambition que le pays a portée à 52 % en 2030 lors la dernière conférence sur le climat, à Paris. C’est au cours des réflexions sur les moyens de satisfaire les besoins énergétiques actuels et futurs du pays dans ce cadre que la CSP s’est imposée comme une option envisageable.
Lors de l’étude de marché réalisée par MASEN, la compagnie nationale d’électricité a souligné que les pics de demande étaient enregistrés en début de soirée, juste après le coucher du soleil. Grâce à ses capacités de stockage thermique, la CSP pouvait donc répondre à ces besoins. En revanche et malgré des coûts d’équipement bien moindres, l’énergie photovoltaïque ne peut produire de l’électricité qu’en plein jour, quand le soleil brille. Conscientes de la supériorité de la solution CSP, les autorités marocaines étaient disposées à investir.
Et c’est là qu’intervient le deuxième enseignement : l’importance des financements concessionnels, à court et moyen termes, pour assumer les coûts d’investissement plus élevés associés à cette technologie. Grâce à un financement concessionnel de 435 millions de dollars accordé par les CIF, le pays a pu lever plus de 3 milliards de dollars auprès du Groupe de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement et d’autres établissements financiers européens. Pour les institutions financières internationales, ce projet était l’occasion de soutenir l’essor d’une nouvelle technologie susceptible de jouer un rôle critique dans la mutation de la planète vers le bien public mondial que constituent les énergies vertes. Les investissements dans cette technologie, en particulier dans la région MENA, contribueront fortement à faire baisser le coût de la technologie CSP dans le monde. L’ensoleillement et les températures caractéristiques du Maroc permettront de rentabiliser beaucoup plus qu’ailleurs les investissements consentis. En plus de contribuer à affranchir la planète de sa dépendance aux combustibles fossiles, cette technologie verte va permettre au Maroc d’exploiter ses ressources naturelles au service d’un objectif d’indépendance énergétique nationale reposant sur un intrant propre et fiable.