Mindanao (Philippines). Nhor Momin savoure la fin de sa journée de travail. Les clients ne viendront plus à présent et elle peut fermer les robinets d’eau en les bloquant avec un cadenas. Elle récupère les recettes de la journée, hèle un scooter et rentre chez elle.
L’accès à l’eau potable fait désormais partie du quotidien des habitants d’Upper Campo Islam. Il n’en a pas été toujours ainsi : pendant vingt ans, le village a été privé d’eau salubre. À l’instar des nombreuses localités prises dans le conflit qui a sévi dans l’île de Mindanao, Upper Campo Islam a pendant longtemps pâti de graves carences dans l’infrastructure, les services de base et la gouvernance locale.
« C’était très dur de vivre sans accès à l’eau [potable] », se souvient la jeune femme. « Il fallait aller dans d’autres villages, payer 12 pesos philippins [0,25 dollar] par bidon et payer en plus pour le transport. En y allant trois ou quatre fois par jour, la facture de transport nous coûtait entre 70 et 80 pesos [1,25-1,67 dollar]. Mais 80 pesos, c’était beaucoup trop cher pour nous. »
Le village d’Upper Campo Islam est situé dans la municipalité de Labangan, dans le sud de Mindanao. Guerre de clans, violence à caractère politique et insurrection armée : comme le reste de la province, Upper Campo Islam a été en proie à ces trois types de conflit. Nhor a été victime du premier, une forme de vendetta qui prend le nom de rido aux Philippines.
« On tue un membre de votre famille et, en représailles, vous tuez un membre du clan adverse, qui se venge à son tour… [Même après avoir déménagé] deux de mes frères ont été tués à cause de ce conflit interfamilial. L’un deux a été assassiné devant notre maison. »
Après dix années d’exil au Moyen-Orient, où elle a travaillé comme employée de maison, Nhor est rentrée à Upper Campo Islam en 2007. N’en pouvant plus du manque d’eau, elle a bataillé avec les autres membres de l’association des villageois pour mettre en place un projet d’adduction d’eau dans la localité. Ce projet fournit à présent de l’eau potable à environ un millier d’habitants dans la municipalité, par le biais de robinets publics et privés.
« L’eau, c’est la vie. Quand on a ouvert les robinets pour la première fois, c’était la fête ! Les gens étaient heureux et j’étais la plus ravie d’entre tous. J’en ai pleuré, car j’avais conscience d’avoir accompli quelque chose de bien pour la communauté. »
Ce projet d’adduction d’eau est mis en œuvre sous l’égide de la Bangsamoro Development Agency (BDA), la branche « développement » du Front Moro islamique de libération (MILF). À la suite d’un accord conclu entre le gouvernement philippin et le MILF en 2001, la BDA a pour mission de définir, conduire et gérer elle-même les projets de remise en état et de développement dans les zones touchées par le conflit.