LIBREVILLE, le 20 juin 2016 - Alors qu’Internet et la téléphonie mobile se diffusent rapidement dans le monde, cet essor n’a pas encore conduit à une hausse de la croissance à la hauteur des attentes. Tel était le constat dressé au début de l’année 2016 par le Rapport sur le développement dans le monde consacré aux « dividendes du numérique ».
La publication de la Banque mondiale soulignait notamment le potentiel des technologies numériques pour un secteur comme la santé, sur le plan de l’inclusion, de l’efficacité et de l’innovation, tout en mettant l’accent sur les conditions à réunir pour qu’elles puissent tenir leurs promesses : une appropriation effective de ces outils par les pays, une bonne gouvernance et de fortes capacités institutionnelles et humaines.
Le projet e-Gabon, qui vise à accélérer le développement des services de santé électronique (ou « e-santé ») dans ce pays, est le premier à mettre en œuvre les recommandations du rapport.
Le Gabon dispose déjà d’une infrastructure relativement développée en matière de technologies de l’information et de la communication (TIC). C’est l’un des chefs de file régionaux dans les domaines de l’administration électronique et des réseaux haut débit. À présent, avec le concours de la Banque mondiale, le pays veut s’atteler à la transformation des services de santé publique. Selon les experts, la numérisation des services de santé permettra d’améliorer les soins de base mais aussi l’efficacité du système sanitaire. Elle créera également des emplois et favorisera l’innovation en ouvrant la voie à de nouveaux modes de gestion des besoins de soins.
« L’idée est de rendre le système plus efficace », explique Michel Rogy, conseiller en matière de politiques des TIC à la Banque mondiale. « Si vous disposez d’une base de données numérique qui rassemble toutes les données des patients et des ordonnances aux antécédents médicaux, cela facilitera le traitement et le partage de l’information. Nous pouvons également utiliser les TIC pour identifier des crises sanitaires potentielles et réagir plus rapidement en cas d’épidémie dans une zone rurale. »
Le projet e-Gabon comporte deux composantes principales :
- Le premier volet consiste à déployer un système national d’information sanitaire (SNIS), qui doit permettre d’améliorer l’accès aux soins et d’accroître l’efficience des dépenses de santé tout en renforçant la qualité des soins. Il faudra pour cela former les agents de santé aux TIC, le projet prévoyant notamment de mettre un accent particulier sur le personnel féminin.
- Le deuxième s’inscrit dans le cadre plus large de l’économie puisqu’il a pour objectif de promouvoir le développement de contenus, applications et services liés à la numérisation des informations de santé. La création d’un incubateur numérique dans la capitale, Libreville, et de dispositifs à plus petite échelle à Port-Gentil (la capitale économique) et à Franceville (où se trouve le Centre international de recherches médicales) vise à favoriser le développement d’un écosystème d’innovation numérique. L’objectif est de multiplier le nombre de start-up, en favorisant en particulier les entreprises dirigées par des femmes, et de créer des contenus, applications et services numériques locaux. Ce volet prévoit entre autres l’organisation de hackathons et de concours de projets d’entreprise.
Les agents et les usagers du système national de santé ainsi que tous ceux qui travaillent dans le secteur de l’économie numérique au Gabon pourraient être les grands bénéficiaires de ce projet. Si les autorités ont choisi le chantier de la santé, c’est, d’une part, pour faire la démonstration du potentiel que recèlent les e-services en termes de croissance, mais aussi, tout simplement, pour améliorer le système sanitaire. Le Gabon n’a en effet pas atteint les objectifs du Millénaire pour le développement en matière de santé et a du mal à optimiser ses dépenses dans ce domaine.
« Le nouveau système permettra d’améliorer la qualité des soins au Gabon en donnant aux médecins, aux infirmiers et aux autres agents de santé l’information dont ils ont besoin pour délivrer de meilleurs diagnostics et de meilleurs traitements. Il favorisera également les échanges de connaissances car l’information sera plus facilement partagée entre professionnels de santé, ce qui garantira une plus grande continuité, efficacité et rapidité des soins », explique Dominic Haazen, spécialiste principal des politiques de santé et expert en systèmes d’information sanitaire à la Banque mondiale.
L’accès facilité et à moindre coût aux services de santé, ainsi que l’offre généralisée d’applications dédiées à la santé sur les téléphones mobiles (notamment les smartphones), auront un impact sur l’ensemble de la population. Du côté des experts, on estime que les changements introduits auront même des retombées considérables sur le développement de l’économie numérique dans le pays. Les investissements dans la e-santé pourraient avoir pour effet de renforcer le secteur des TIC au Gabon, ce qui en retour pourrait générer de nouvelles idées, permettre la création de nouvelles entreprises, attirer des investissements étrangers et créer des emplois.
Mais, pour parvenir à de tels résultats, le Gabon devra d’abord améliorer ses réseaux haut débit et se doter d’une main-d’œuvre qualifiée, tout en continuant à développer le système lui-même. Aussi faut-il que les pouvoirs publics remédient aux problèmes suivants :
- une couverture réseau insuffisante en dehors des grandes villes ;
- la méfiance des investisseurs due à la dispersion démographique et le faible revenu disponible des ménages ;
- une main-d’œuvre peu formée à l’entrepreneuriat, à l’Internet et aux TIC ;
- le besoin de cadres législatif, financier et d’échanges de données à l’instar de ceux qui ont favorisé les économies numériques au Ghana, au Kenya, au Maroc et au Sénégal.
Au niveau de la population gabonaise, les investissements dans la santé en ligne seront synonymes de « meilleurs soins, de moins d’examens redondants et d’hospitalisations superflues, et de meilleurs diagnostics et traitements », affirme Dominic Haazen. Ces investissements pourraient aussi permettre d’apporter un coup de pouce à l’économie dans son ensemble, comme l’appelle de ses vœux Michel Rogy : « On espère que cela aura un effet d’entraînement au-delà du domaine des soins de santé et que cela servira d’exemple pour les autres pays d’Afrique subsaharienne ».