Le nombre de filles indiquant avoir subi des rapports sexuels non désirés, en recul de pratiquement de moitié (de 14 à environ 8 %), est probablement un élément encore plus probant. Ce travail est le fruit d’une collaboration entre leLaboratoire d’innovation sur le genre et l’égalité des sexes en Afrique (a) de la Banque mondiale, la London School of Economics (a), l’université Bocconi (a), l’University College de Londres (a) et le BRAC.
Il s’agit là d’effets « importants et notables », comme le souligne Niklas Buehren, économiste à la Banque mondiale et coauteur de l’étude intitulée Women’s Empowerment in Action: Evidence from a Randomized Control Trial in Africa (a).
Pour le BRAC, ces conclusions traduisent la priorité accordée par les clubs à l’acquisition de « compétences pour la vie quotidienne », qui permettent aux jeunes femmes de se prendre en charge et de connaître leurs droits, explique Jennifer Kemigisha, responsable du programme : « Ce qui prime, à notre sens, ce sont tous les aspects entourant la sexualité, à savoir l’exploitation sexuelle, la santé de la reproduction et la planification familiale, parce qu’ils constituent pour les adolescentes de ce pays un enjeu majeur. »
Quelques chiffres (du Bureau des statistiques de l’Ouganda) donnent un aperçu de l’ampleur des problèmes : le taux de grossesse des adolescentes atteint 31 % ; 16 % environ des filles ont eu un rapport sexuel avant leurs 15 ans et 14 % des filles âgées de 15 à 19 ans sont victimes d’abus sexuels.
L’Ouganda fait partie des pays d’Afrique où l’exclusion des jeunes femmes de la population active est la plus élevée, autour de 86 % selon l’étude.
D’autres pays en développement rencontrent le même type de problèmes, avec des femmes qui sont de fait exclues du monde du travail et contraintes de se marier tôt, font des enfants et dépendent donc de leurs maris.
Le travail montre aussi que le fait de retarder la naissance du premier enfant, surtout chez les adolescentes, améliore leur parcours de vie mais aussi l’épanouissement de leurs enfants.
Reste à savoir si le fait de mettre les adolescentes sur les bons rails professionnels peut effectivement les aider à s’émanciper durablement sur le plan social et économique.
Pour Niklas Buehren, le programme du BRAC en Ouganda a offert « un cadre idéal pour répondre à cette question. Nous manquons d’éléments pour évaluer ce type de programmes, qui conjuguent l’acquisition de compétences pour la vie à des formations professionnelles, le tout dans les refuges que constituent ces clubs. »
La Banque mondiale a testé différentes approches pour favoriser l’émancipation des jeunes femmes à travers son Initiative pour les adolescentes (AGI), soutenue par l’Australie, le Danemark, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suède ainsi que la fondation Nike.
Elle a aussi évalué cinq des projets pilotes lancés en Afghanistan, en Jordanie, en Haïti, au Libéria, au Népal, en RDP lao, au Rwanda et au Soudan du Sud. Seul le projet du Soudan du Sud, également administré par le BRAC, suit le modèle des clubs ougandais.
Les programmes pilotes ont cherché à lutter contre les freins à l’entrée des jeunes femmes sur le marché du travail, en offrant un ensemble de services (notamment formation professionnelle et commerciale et acquisition de compétences pour la vie), avec des fortunes diverses, rappelle Sarah Nedolast, coordinatrice de l’AGI (a), qui a pris fin depuis : « L’un des éléments frappants dans tous ces programmes, c’est leur niveau exceptionnel de rétention. Cela prouve que les filles les appréciaient et que lorsqu’ils sont conçus pour répondre à leurs besoins, les obstacles à leur participation peuvent être surmontés. »
Retour à Kikaaya. Nous sommes en juin, les filles disputent une partie de volley-ball dans la cour, avant de se retrouver pour une séance de lecture. Il y sera question de viol et le récit sera choisi parmi plusieurs ouvrages abordant des questions délicates, comme les grossesses à l’adolescence, les maladies sexuellement transmissibles ou les dangers associés aux drogues illicites.
Jazirah Namukose nous explique combien le fait de rejoindre le club l’a aidée à sortir de sa coquille, tandis que ses camarades chantent à tue-tête par derrière : « Comme elles m’apprécient, j’ai appris à parler aux autres. J’ai aussi découvert que ce n’est pas parce qu’on a un handicap ou un problème qu’il faut avoir peur. Je compte bien devenir femme d’affaires et pouvoir aider ceux qui en auront besoin », conclut-elle.
Grâce au club, Belindah Malutoaya a obtenu de petits prêts pour son entreprise de volaille.© Stephan Gladieu/Banque mondiale
À quelques pas du club, nous partons à la rencontre de Belindah Malutoaya, 21 ans. Cette jeune mère célibataire élève 200 poules, dont elle vend ensuite les œufs et la viande dans des supermarchés. « D’ici cinq ans, je voudrais avoir une exploitation immense avec, pourquoi, pas, un millier de volailles. Oh oui, ce serait vraiment bien », nous confie-t-elle.
À 19 ans, Nakand Maimunah parraine quant à elle d’autres filles du club et se dit convaincue que les jeunes femmes ont plus de pouvoir qu’elles ne l’imaginent : « ici, dans le Buganda [un royaume au sein de l’Ouganda], les filles sont en général sous-estimées. On pense qu’elles sont incapables de faire certains métiers, comme le travail de bureau, qui serait réservé aux hommes… Et au nom de quoi certains postes seraient-ils exclusivement masculins ? Nous avons les mêmes droits et, ce qu’un homme fait, je peux tout à fait le faire. »